Ce qui fonde la poésie c’est la forme obscure, justement,
qui la sépare du discours. Chaque système, chaque forme de l’écriture s’offre
au regard comme une monstration qui, du même coup, signe son identité et son
message, et se referme aussitôt sur un secret initial. Voilà ce que nous sommes
exactement – dit-elle – et comme nous devons rester : toujours à
découvrir. Toujours énigmatiques à nous-mêmes.
Nous pourrions suggérer que l’écriture de la poésie n’a rien d’autre à exprimer
que cette contradiction entre la pensée et son expression esthétique et
littérale. La poésie est probablement l’une des garanties – parmi les plus dangereuses
et les plus sûres – qui empêche notre monde de s’abandonner à l’uniformité. Il est
possible de déceler dans sa forme et sa composition les éléments qui la relient
aussi bien à notre origine qu’à notre possible futur. De toutes les façons que
nous considérions l’aventure du langage et de la pensée, il faut en convenir,
malgré la prétention des docteurs et des pédagogues, l’écriture de la poésie
demeure entre les mains de ses artisans.
Paul Louis Rossi, Visage des nuits,
Flammarion, 2005, pp. 13 & 14