Magazine Culture

Franquin (Pierre-Yves Bourdil) II

Par Hiram33

<>

L’optimisme

L’optimisme demeure tant qu’on a des choses à découvrir. Le comte de Champignac invente. Franquin finira par mettre en cause la valeur du vrai monde. Spirou et Fantasio évoluent sur un territoire réservé, celui qu’imaginent leurs lecteur de dix ans.

Bref discours sur la publicité

La publicité se substitue sans l’avouer à la morale. Spirou et Fantasio n’ont entrepris aucun effort pour acquérir leurs deux Turbotraction. Chacune fut un cadeau. C’est bien ainsi que la publicité nous annonce ses produits. Magiques dans leurs effets, ils possèdent une séduction optimale quand ils sont offerts. La publicité érige la jouissance en règle de vie. Elle en fait une drogue. C’est elle qui transmet la nouveauté comme jadis les messies transmettaient la bonne parole. Elle justifie publiquement l’égoïsme. Suggérer que l’âge classique de Franquin est de nature publicitaire revient à dire qu’il nous présente un monde que nous attendons pour bientôt. Ce monde a la figure fascinante des Etats-Unis. Franquin dessine un nombre d’automobiles d’apparences yankee sans rapport avec le nombre effectif d’entre elles qu’on rencontre à Bruxelles. Dans les premières aventures de Spirou, les policiers sont indiscutablement belges. Très vite, ils seront déguisés en uniformes d’un genre états-unien. Plus tard, lorsque le rêve se sera usé, ses policiers endosseront l’uniforme français. Gaston et l’agent Longtarin ne vivront plus sans mal dans l’utopie. La BD elle-même n’a plus la foi.

Du marsupilami à la Turbotraction

Le marsupilami est apparu en 1951. C’est une fable, un thème du discours. Le marsupilami ne peut être dressé. Il faut le faire rire pour l’amadouer. Sa première caractéristique qu’on aperçoit c’est sa queue démesurée. Pour accentuer sa vraisemblance, Franquin évoque les moeurs de l’animal dans le Nid des Marsupilami. Franquin a regretté les tentatives faites pour le doter à chaque épisode d’une qualité inédite.

La turbotraction est l’Auto avec une majuscule. Elle est incomparable. En renonçant à la Turbotraction, Spirou a beaucoup perdu. D’autant qu’il abandonne en même temps une partie de son uniforme de groom. Son image de marque se délite, c’est la fin d’une époque.

Le cousin Zantafio et l’ombre du Z

Zantafio est l’ombre énigmatique de Fantasio, comme Zorglub est le pendant équivoque du comte de Champignac. Il n’est pas vraiment mauvais. Il demeure un marginal de la société de consommation. Il n’est méchant que pour arriver plus vite à ses fins. Il est jaloux de Fantasio qui n’a guère de problèmes financiers ou de Spirou que la morale récompense à tout coup. Zantafio pense que la morale est sélective car on pardonne les erreurs des héros mais pas les siennes. Quand la morale qui s’oppose au progrès sera définitivement usée, on reconnaîtra à chacun la noblesse de l’égoïsme. La publicité pour Zorglub et le fascisme pour Zantafio procèdent au fond d’un esthétisme de même nature. Tous les deux séduisent les foules, technologiquement pour l’un grâce à la Zorglonde, rhétoriquement pour l’autre grâce à la politique.

3 – Le commencement de la fin (1955-1968).

Peut-être la crise est-elle devenue plus aisément manifeste parce que franquin a dû mener de front trop de séries, limitant par la force des choses l’influence modératrice de la réflexion qui prend son temps. Le gorille a bonne mine et le Nid des marsupilamis apposent un monde plutôt désenchanté à un monde idyllique c’est l’ambiance du premier d’entre eux qui finira par l’emporter. Franquin n’aime pas le second Ce qui est en train de parasiter le monde de Franquin, c’est le vrai monde sournoisement politique. La société mercantile commence à tomber le masque. L’atmosphère cesse progressivement d’être convenable. L’ombre du z est nettement représentative de cette tendance. Le monstrueux envahit les cases. Pour du dérisoire, Gaston naît dans le dérisoire. Le temps qu’il fait, les chaussures à porter, une cigarette à fumer : on ne compte plus les anecdotes banalissimes dont ce héros prétendument sans emploi tirera argument pour occuper ses journées. Gaston représente l’Ennui avec une majuscule. Ce que l’oeuvre de Franquin semble haïr le plus, c’est l’obstination des choses et des hommes. Un objet fragile, un contrat mal signé, une rencontre inopinée, un inconvénient qui dure sont autant de signes intolérables de la mauvaise volonté du sort. Plus l’ambition est vive, plus celui-ci semble contrariant. Franquin montre avec Zorglub que ce qui rend la publicité, sinon acceptable, du moins tolérable, c’est la capacité du destinataire de ne pas céder à ses avances. Dès lors que cette liberté lui est interdite, non seulement il devient esclave, mais la logique consumériste le conduit à l’imbécilité la plus crasse. Et ce qui ne va plus, c’est qu’on réalise que le but ultime de la modernité n’était pas de nous faire plaisir, et moins encore de nous rendre heureux mais de vendre. Le fric mène le surmoi du monde. On ne dira jamais assez vertement que l’argent-roi ne trouve à s’assouvir que dans l’agression généralisée de tous contre tous.

4 – La désillusions (1968-1985)

Gaston, qui est le personnage principal que Franquin anime encore, a donc tout du provincial maladroitement monté en graine. Il se montre parfois roublard, parfois simplet. Pierre-Yves Bourdil n’accorde plus de crédibilité aux dernières aventures de Spirou créées par Franquin. Il estime que Panade à Champignac est un délire destructeur, voire profanateur et troublant. Spirou et Fantasio répètent avec une automaticité pathologiquement provinciale ce qu’ils ont toujours fait, sans plus se demander pourquoi c’est comme ça. Ils n’espèrent plus.

Qu’est-ce qu’une gaffe ?

Il semble impossible de conduire valablement des histoires continues de Gaston. La bonne gaffe exige la surprise inopinée. En rompant franchement les ponts avec le personnage de Spirou, Franquin libérera les tempéraments, bridés jusque-là.

La corruption des valeurs

Au commencement, il y avait la stabilité tranquille. Nous l’avons perdue. A la place de la morale, voici les impératifs du marché. L’argent tend à justifier tout. Si quelque chose est encore « drôle » dans les ultimes recueils de Gaston, c’est l’absurdité d’une crédulité forcée à la quiétude. Il n’y a pas de révolution chez Franquin. Pour que la révolution s’impose, il faut un minimum de conscience collective qui n’existe plus, et qu’il ne veut à aucun prix ressusciter.

Mademoiselle Jeanne

Les amourettes de Gaston Lagaffe et de mademoiselle Jeanne commencent sur le mode parasite, ainsi qu’il convient chez Franquin. Aux éditions Dupuis où toutes les secrétaires sont pimpantes, elle est de loin la plus moche. Elle serait à la « femme » ce que la guimbarde de Gaston est à la Turbotraction. Bientôt, et jusqu’au dernier épisode, ce sera l’amour, pour Jeanne à tout le moins, Gaston est trop potache dans l’âme pour montrer autre chose qu’un plaisir de dragueur lorsqu’il est en public. Il n’empêche qu’ils sont aussi fidèles l’un à l’autre que le plus provincial des ménages. M’oiselle Jeanne perdra sa difformité pour devenir sinon belle, du moins, très supportable.

Un chat fou et une mouette rieuse.

Hors m’oiselle Jeanne, les seuls complices compréhensifs que Gaston trouve sont les animaux. Si Gaston adopte une mouette rieuse, c’est qu’il doit penser que le rire est le cri le plus plus sympathique, celui-là même qui nous avait valu les grâces du marsupilami. S’il adopte un chat, c’est qu’il s’agit d’un animal joueur. Rire et jouer sont les caractères fondamentaux du monde selon Gaston.

IV Les idées noires, en guise de conclusion

On peut comprendre la paresse de Franquin. Pourquoi restaurer un monde qui serait tellement imaginaire que nul n’y croirait plus ? L’idée des Idées noires lui est venue pendant qu’il animait un supplément de Spirou : le Trombone illustré. Il fallait parasiter tout ce qui pouvait l’être. Surtout les bonnes intentions. Il fallait se montrer vulgaire. Pour faire laid, il dessine quelques monstres. Les idées sont noires parce que la mort en est le thème. Les meilleurs sentiments ne sont que des cruautés déviées. Les mondes ne sont que des enfers. La politesse est une vomissure déguisée et parfumée par l’habitude. Si on se souvient que Spirou se donnait des alliés chargés de le protéger des coups, assez longtemps pour qu’il ait le temps de réfléchir et de préparer une réaction intelligente, les idées noires se caractérisent par l’impuissance manifeste de quelque protection que ce soit.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Hiram33 70 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines