Magazine Culture

5 questions à Carl Aderhold

Par Sophielit

Carl Aderhold est né en 1963. Directeur éditorial chez Larousse dans le domaine des sciences humaines, il a publié Mort aux cons et Les poissons ne connaissent pas l’adultère.

1. VOUS ET la lecture ?

Au grand désespoir de mes parents, je ne lisais pas lorsque j’étais enfant. Cela m’est venu après le bac, parce que j’étais amoureux d’une fille qui pendant les vacances travaillait dans un supermarché. Dans la journée, en l’attendant, je me suis mis à lire. Ma passion pour elle aura duré moins longtemps que celle pour les livres qui est toujours d’actualité !J’ai eu une boulimie de livres pendant une dizaine d’années, j’ai tellement lu que je suis devenu une éponge, je ne pensais presque plus par moi-même.Je lis aujourd’hui surtout des livres d’histoire pour les besoins de mon métier d’éditeur. Pour un roman, je lis 4 livres d’histoire. Quand je prépare un roman, je ne suis réceptif qu’à ce qui tourne, de près ou de loin, autour du sujet de mon livre, lectures comme films ou informations.

Je déteste les livres d’occasion. Par chance, mon métier me permet d’en avoir des neufs – gratuitement ! Je les annote, ce qui fait qu’il m’est difficile de les prêter ensuite. Alors j’en rachète des neufs, que j’offre.Je ne suis pas un fétichiste de l’objet livre. Et, travaillant dans l’édition, je n’ai pas l’obsession d’avoir une bibliothèque immense.

Je pense que le livre électronique va révolutionner notre façon de lire, et de penser. Je ne crois pas que l’on va perdre le goût de l’effort de la lecture. Au contraire, ce support très pratique va permettre de se concentrer sur l’essentiel – du moins pour les ouvrages qui ne sont pas des romans. Car on entretient un rapport particulier avec les romans, un rapport affectif qui ne sera plus possible. Mon exemplaire de « Belle du Seigneur », par exemple, correspond à une période précise de ma vie, des souvenirs particuliers. C’est ce livre que je veux relire, pas la version électronique du texte.Livre classique et livre électronique pourront coexister. Ma génération aura du mal à se défaire du premier, les plus jeunes ne seront pas gênés.

2. VOUS ET les livres ?

En ce moment, je lis « Nostradamus s’en va-t-en guerre, 1914-1918 » de Jean-Yves Le Naour, et « Le Quai de Ouistreham » de Florence Aubenas. Je trouve sa démarche intéressante, et cela, ajouté à la façon dont elle narre son expérience, en fait un livre fort, marquant. Souvent, il y a une thèse derrière les témoignages ; là ce n’est pas le cas, Florence Aubenas est ouverte, du coup elle subit les choses de plein fouet.De la même façon, j’ai aimé « Ici-bas », de Sylvie Caster, parce qu’il y a dans son livre une véritable dimension littéraire, au-delà de l’aspect photographique du document - et aucun apitoiement (je déteste cela).

J’ai une grosse pile de livres en attente, dans laquelle je pioche sans ordre précis. On y trouve beaucoup de bouquins de sociologie sur le travail, et des romans : « Une histoire d’amour et de ténèbres » d’Amos Oz, « Des hommes » de Laurent Mauvignier, sur la Guerre d’Algérie, ainsi que tous les romans d’Alejo Carpentier (dont « La danse sacrale ») que j’ai achetés après avoir découvert et aimé « Le Siècle des Lumières ».

Je crois qu’il y a une mode pour les façons d’écrire et de présenter les choses comme pour les thèmes explorés : après la Seconde Guerre Mondiale, on cherche désespérément le prochain traumatisme fondateur – et il semble que ce soit la Guerre d’Algérie.

Le fait qu’un livre soit primé n’est pas un argument pour moi, ce n’est ni répulsif, ni attractif. « Mort aux cons » a d’ailleurs été sélectionné pour plusieurs prix, dont celui du Premier roman de Draveil. Souvent, le roman primé est celui qui va valoriser le jury, plutôt que celui que le jury préfère…

3. VOUS ET l’écriture ?

Je suis parvenu à trouver un rythme qui tienne compte de mes contraintes familiales et professionnelles : le week-end, j’écris le premier jet d’une scène, d’un dialogue, que je retravaille ensuite les soirs de la semaine. Et quand vient l’été, je prends trois semaines ou un mois de vacances pour rassembler le tout, le structurer, construire la base de ce qui deviendra un roman.Delacroix disait qu’il devait faire une esquisse dès qu’il avait une idée de tableau, car s’il ne peignait pas, l’idée disparaissait. J’ai compris en vieillissant que c’était la même chose pour les mots. Il faut les noter tout de suite, figer les scènes. C’est de cela que naissent la véracité et la force d’un passage.

Je suis incapable d’écrire le matin. Je m’y mets le soir. Je trouve plus stimulant d’écrire lorsque les gens dorment, cela me donne l’impression d’être un veilleur de nuit. Je viens d’un milieu de comédiens, la vraie vie était la nuit.L’écriture chez moi obéit toujours au même rituel : 7 ou 8 cafés, 2 cigarettes, une partie de solitaire sur l’ordinateur sont nécessaires pour que j’atteigne le degré de concentration qui permet de me ‘lancer’. Car il ne s’agit pas juste d’être réveillé, il faut aller au-delà de ça, avoir une vraie conscience de chaque mot. Cela me prend à chaque fois 1h, 1h30 pour arriver à une telle concentration. Mon rituel me permet de contourner l’angoisse – non pas celle de la page blanche, mais celle de ne pas arriver à écrire ce que j’ai en tête.

Avant, j’écrivais à la main, maintenant je n’utilise plus que le clavier. Quand je suis lancé, la pensée va tellement vite que la plume ne pourrait suivre. Et comme j’ai fait de la dactylo étant jeune, je tape plus vite que je n’écris.

4. VOUS ET Internet ?

Je n’ai ni site ni blog, par choix. L’important n’est pas moi, mais ce que j’écris. Si j’osais, je publierais chaque roman sous un nom différent. Mes états d’âme n’intéressent que moi. Un comédien n’aime pas se montrer sans maquillage, de la même façon je préfère donner mes romans finis, pas leurs brouillons sur un blog…

Néanmoins, je consulte les blogs. A la parution de « Mort aux cons », je cherchais les critiques. C’est grâce à Internet que s’est créé le buzz autour de ce roman. Pour « Les poissons ne connaissent pas l’adultère », je ne cherche plus, on m’envoie régulièrement ce qui est écrit sur moi.Je suis extrêmement sensible aux critiques, car je n’ai aucune confiance en ce que je fais, je suis traversé de tellement de doutes…Sur les blogs, j’ai lu de tout : on m’a mis au même niveau que Flaubert ici, tandis que là on écrivait « mon neveu de 9 ans aurait fait mieux »… Ce qui me choque, sur Internet, c’est que les gens qui prennent la parole n’ont pas forcément de culture littéraire. Aujourd’hui, tout le monde peut dire ce qu’il pense. Or, dire « j’aime/j’aime pas » ne présente pas beaucoup d’intérêt. Cela devient intéressant si c’est construit.Mais cette tendance vient de la presse magazine, qui, quand elle ne renvoie pas des ascenseurs ici et là, ne fait guère mieux. « Mort aux cons » était truffé de pastiches de romans du XVIIIème siècle, personne ne l’a remarqué (certains ont même fait des papiers entiers juste sur le titre du livre !) ; pour « Les poissons… », j’ai attribué un temps différent à chaque personnage, en lien avec les positions de chacun, et cela aussi est passé inaperçu.A l’inverse, certains blogs viennent compenser cette carence ; je pense que le tri se fera naturellement parmi eux, avec le temps. Internet encourage ‘l’impunité’, n’importe qui peut facilement ‘flinguer’ un auteur, tout en n’ayant aucune compétence pour le faire…

5. VOUS ET vos projets ?

« Mort aux cons » vient d’être traduit en italien (sous le titre « L’hécatombe des imbéciles » !). Le public attendait un « Mort aux cons II », je suis arrivé avec « Les poissons ».Je travaille en ce moment à un prochain roman sur le monde du travail (d’où les ouvrages de sociologie sur le sujet). J’aimerais parvenir à faire un roman social léger, grinçant mais pas dramatique, comme savent très bien le faire les Anglais.

J’étais le week-end dernier au Salon du Livre de Montaigu, je serai le 25 avril à celui de Limoges et le 5 juin à Metz.

Je me garde aussi du temps pour écrire et profiter de ma famille.

Et puis, je fais toujours des rencontres autour de « Mort aux cons », liées à des sélections comme ’Attention talent’ (Fnac…).

J’essaie pourtant de me détacher de ce premier roman. Je ne veux pas être rester ‘l’auteur de « Mort aux cons »’, comme d’autres ont été les chanteurs d’un seul tube…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Sophielit 272 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines