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Karl-Heinz Ott, Que s'ouvre l'horizon, Phébus, traduit par Françoise Kenk

Publié le 15 avril 2010 par Irigoyen
Karl-Heinz Ott, Que s'ouvre l'horizon, Phébus, traduit par Françoise Kenk

Karl-Heinz Ott, Que s'ouvre l'horizon, Phébus, traduit par Françoise Kenk

Je vous ai déjà parlé ici-même de Karl-Heinz Ott à la sortie de Enfin le silence, roman qui racontait comment un homme finissait par envahir la sphère privée du narrateur. Il y a quelques semaines, la même maison d'édition, Phébus, a publié ce roman dont la quatrième de couverture nous apprend qu'il s'agit en fait du premier opus de ce bien singulier auteur allemand.

Un homme apprend la mort très prochaine de sa mère. Il se rend alors dans son village d'enfance, en terre souabe, pour accompagner sa génitrice dans ses derniers instants de vie. Très vite, on retrouve ici la thématique de l'étouffement que l'écrivain avait si bien développée dans Enfin le silence. Étouffement qu'un enfant, même parvenu à l'âge adulte, peut encore ressentir vis-à-vis de celle qui l'a mis au monde. Mais pas seulement vis-à-vis d'elle. Car tout, dans cette terre d'enfance, empêche le narrateur de respirer.

Je viens juste de me promettre de ne plus jamais quitter Mère, mais plus je mets de détermination à me contraindre à rester et plus une force aveugle m'entraîne irrépressiblement au dehors.

Karl-Heinz Ott pourrait être un parent proche de Thomas Bernhard dont la détestation pour l'Autriche n'avait rien de légendaire. Sauf que, ici, nulle place pour le haussement de voix, l'indignation, la colère. Non. Ott préfère montrer. Montrer par exemple l'emprise de la religion catholique dans cette zone « coupée du monde » avec ses codes, ses « valeurs » :

Les gens d'ici aiment les situations claires parce que les racines, en quoi ils ont foi, sont pour eux synonymes de devoir à suivre et de garantie.

Plus loin :

Encore aujourd'hui on évite tous ceux qui n'ont pas de sol ferme sous les pieds comme s'ils avaient des maladies contagieuses.

Pas étonnant que cette mère, demeurée au village malgré le regard malveillant de certains des autres habitants posés sur cette femme sans mari, ait été contaminée elle aussi :

L'opinion générale continue d'avoir pour elle valeur directrice, comme s'il lui était interdit de tirer ses propres conclusions de son expérience personnelle.

S'agit-il pourtant d'un sentiment de haine ? Non. D'ailleurs, quand le narrateur fait référence à L'Etranger de Camus, dont il va voir une adaptation cinématographique, il signifie un autre type de filiation. Le personnage de Meursault n'est pas un personnage empli de haine mais plutôt un être inquiet de sa propre indifférence. Il y a de l'indifférence chez ce narrateur qui s'installe avec le temps. Pas lors de ses premières années de vie :

Par lui s'exprime un enfant en pleurs, qui hurle quand Mère ferme la porte derrière elle. Il voudrait l'en punir par la mort et en même temps la garder pour toujours à côté de lui.

Ott montre comment, de façon sournoise, inconsciente, le fils intègre le seul modèle familial qui lui soit donné dans un environnement où le conservatisme interdit tout écart.

Les forces qui gouvernent les sentiments de Mère se sont introduites dans mon âme. Quoi que je fasse, quoi que je pense, tout est en liaison avec ses pensées inexprimées. Quel que soit notre éloignement, elle dirige ma volonté et ma conscience, pour chaque décision je me mets à sa place pour anticiper son hochement de tête, désapprobateur ou approbateur, son gloussement de joie. Au fond de moi je lui réponds, alors qu'elle ne me pose pas de question.

Le retour au village s'accompagne d'une prise de conscience que le titre sous-tend déjà.

On ne peut appeler son « pays » un lieu que l'on évite, à moins d'interpréter le rejet comme une forme intense de lien affectif.

La délivrance personnelle, ou du mois, l'ouverture à autre chose, s'opère à la fin du roman quand survient le décès de la mère. Pas de pathos ni de sentiment excessif qui aurait fait naître un doute sur l'attitude du narrateur. Celui-ci vit le décès avec distance, certes, mais qui laisse malgré tout paraître une tristesse légitime.

La comparaison avec le sommeil profond est trop élégante et sous-entend que la mort est un dieu protecteur qui conserve, et non pas une puissance brutale qui extermine la vie.

Et puis, il y a ces lignes d'une force inouïe qui questionnent avec habileté la notion d'éphémère existence.

Morcelée, déchiquetée, détruite comme unité, elle ne se conserve dans ma mémoire que sous forme de fragments qui ne se composent plus en un tout. Ainsi, elle glisse effectivement dans l'insaisissable et en s'évanouissant devient un être qui, comme la lumière et la vague, ne consiste plus qu'en pur mouvement. Les souvenirs, troublants, trompeurs, ne produisent aucune cohérence, ils alignent, à la manière imprévisible des rêves, une scène de film après l'autre.

Une telle franchise face au tabou que demeure la mort me laisse sans voix.


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