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"Derniers fragments d'un long voyage." Christiane Singer

Par Manus


J'ai tendance, lorsque je lis un livre sur lequel je me concentre particuličrement - tel est le cas pour l'heure avec HHhH - ŕ sortir de ma bibliothčque d'anciens livres lus jadis, plus légers, et dont je me remémore les sensations, les souvenirs que cette écriture évoquait.  Un peu comme l'enfant qui monte furtivement, un soir d'été, dans le grenier, ouvre une malle poussiéreuse, et feuillčte, une ŕ une, les pages jaunies d'un album de photo d'un autre temps.

"Derniers fragments d'un long voyage" est un livre édité déjŕ il y a trois ans, en 2007, chez Albin Michel.

Christiane Singer y tient, pas ŕ pas, les pages de son journal intime, plutôt un carnet de bord dans ce cas précis, oů elle relate l'évolution de sa maladie, le cancer.  Les médecins lui ont dit qu'il ne lui restait plus que six mois ŕ vivre.  Au lieu d'ętre abattue, elle s'accroche et vit au travers d'une lumičre qui lui procure force et courage.  Au travers de ces lignes, c'est la splendeur de son ętre qui est profondément dévoilé : source de paix et de sérénité qui s'abreuve en un amour qu'elle nommerait Dieu.  Chrétienne sans ętre pour autant dogmatique, elle a marqué des générations entičres par ses oeuvres en quęte de spiritualité et de questions existentielles.

La mort, elle l'aborde avec le sourire.  La souffrance, elle semble la vivre presque avec joie.

Le lecteur ne pourra rester indifférent ŕ ce genre de livre.  Soit il l'adulera au nom de je ne sais quel besoin de recevoir la confirmation que Dieu existe, soit il la rejettera, ressentant cette écriture transpirant les bons sentiments comme étant irréels et ŕ côté de ce qui est.

Il me parait difficile d'accepter un tel ouvrage avec enthousiasme.  Certes, cela peut apaiser les consciences de se dire que Dieu existe, et que tout prend sens, mais qu'en est-il, de ces gens qui souffrent ŕ en ętre déchirés, lorsqu'ils lisent ce genre de lignes ?

Imaginons que vous ayez un proche, une femme par exemple, qui se meurt ŕ vos côtés, fauchée par un cancer foudroyant.  Elle est ravissante, a menée une vie de dingue, battante, débordante d'énergie, vivante, rencontrant le succčs au tournant de chaque projet porté, et puis un jour, cette jeune femme se retrouve en soins palliatifs, comme Christiane Singer.

Et vous lisez Singer.  Et vous voyez que votre amie se meurt.  Qu'elle s'accroche ŕ la vie qu'elle a adoré, plus męme, qu'elle a abordé avec rage.

Et vous vous dites que vous l'aimez cette amie.  Que vous aviez vécu des choses incroyables, inoubliables, relevant presque de l'impossible, tellement cette amitié était solide et dégageait une énergie hors norme.

Alors, le livre de Singer, vous le regardez, et vous avez envie de le jeter au feu, de le brűler, et surtout que son visage sur la couverture, si pur et en odeur de sainteté, crame vif.

Les phrases qui émanent de ce carnet de bord sont insupportables pour ceux qui restent en vie.

Nous, les vivants, nous aimons, nous vivons avec rage, passion męme.  Alors, la question nous effleure, d'abord doucement, puis grandit avec colčre : cette Singer, elle n'est finalement qu'un monstre d'égoďsme qui se complait ŕ sublimer sa souffrance, le nez sur son nombril, tâchant de donner une image d'elle de perfection, voire de Sainte.  La pensée tombe, las.  C'est sorti.  Ceux qui vont mourir ne sont que de sales égoďstes qui ne pensent qu'ŕ eux, oublient les autres qui crčvent de les voir partir, qui se demandent quel sens l'amour peut encore avoir si c'est de toutes façons pour le perdre, alors mieux vaut ne plus aimer, rester enfermé dans sa cage, pour ne plus souffrir de perdre, de se sentir abandonné, oui, ne plus aimer, c'est sans doute la seule solution.

Alors qu'elle, cette amie, qui est en train de mourir et qui est si jolie, elle ne parle pas d'elle, elle veut qu'on la fasse rire, blague, et nous regarde de ses yeux verts, ces plaines dans lesquelles on chevauche dans un grand éclat de joie.  Et surtout, elle n'emmerde pas son monde avec Dieu.

Cela a-t-il plus de sens que de mourir comme Singer en se déclarant suintant d'amour et heureux de passer ŕ trépas, plutôt que de mourir en blaguant, en s'esclaffant avec ses potes parce que la vie goűte encore quelque chose, un quelque chose de puissant pour cette personne qui ne retient plus cette vie que du bout des doigts ?

Christiane Singer ?

Lisez-lŕ, puisque tout le monde dit que c'est magnifique.

Mais moi, je considčre que si la vie, on l'aime vraiment, on ne part pas de cette façon lŕ, comme si c'était cool et qu'on allait trouver un autre chose plein d'amour plus loin.  On aime jusqu'au bout, sans concessions, avec force et convictions, car de vie, on n'en a qu'une.

Panthčre.


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