La société Internet n’est pas différente de la société dont elle est originaire.
Le titre ne serait qu’un coup marketing s’il n’était aussi étonnamment juste. L’histoire de La Marseillaise a ses zones d’incertitudes : est-ce vraiment Rouget de L’Isle qui l’a composée ? Qui l’a réellement commanditée ? Le baron de Dietrich, maire de Strasbourg ou le maréchal de Luckner qui commandait l’armée du Rhin? Peu importe, ce sont les Fédérés marseillais qui l’entonnèrent lors de leur arrivée aux Tuileries le 30 juillet 1792 et c’est la foule parisienne qui lui donna son nom. Le message, de local, se fit global. C’était une bouffée d’oxygène qui tournait une page de l’histoire. La nouveauté est que ce qui se passait il y a plus de deux cents ans au niveau d’un pays, opère désormais au niveau mondial par une information instantanée qui passe toutes les frontières — où un coup de pistolet en Iran retentit dans le monde entier.
L’essai de Christophe Ginisty n’a pas pour but de prêcher les vertus d’Internet, mais de raconter un état de fait irréversible : la liberté d’expression a changé d’échelle et en changeant d’échelle, elle a changé de nature. Aucun pouvoir ne peut la juguler, sauf à recourir à des acrobaties (sans doute précaires), comme en Chine. Dans nos démocraties, qu’est-ce que cela veut dire ? Que les dirigeants ne peuvent plus faire de la politique comme avant, protégés par les appareils de partis, les rituels convenus, les notoriétés acquises ou les filtres médiatiques institutionnels. Les gens sont là, qui dans l’intimité de leur cuisine se lient avec des gens comme eux et les connaissent même mieux que s’ils les croisaient au supermarché ; ils rejoignent des groupes d’activistes qui partagent la même cause que la leur et avec lesquels ils discutent souvent plus librement que dans une salle de réunion du quartier (où celui qui parle le plus fort intimide souvent les autres). Leur cause, pas nécessairement nationale, pas nécessairement “politique” au sens traditionnel du terme, mais c’est leur cause à eux qu’ils veulent faire entendre – et à laquelle les politiques ont intérêt à prêter plus qu’une oreille distraite s’ils ne veulent pas se faire dégager. S’il est vrai que l’Internet ne saurait conduire à une démocratie directe tant les voix qui s’y expriment sont diverses, les démocraties représentatives sont mises en demeure de représenter autre chose que leurs propres structures, et à déceler les grandes tendances qui se tissent dans les conversations des internautes. Le challenge est évident. Internet n’est pas un lobby à amadouer ou stigmatiser, ce sont des gens dispersés dont les voix peuvent créer des effets d’écho exponentiels. Moralité : « Il ne sert à rien de nier les révolutions profondes induites par l’arrivée d’Internet et il est plus malin, politiquement et économiquement, de s’y adapter.»
Et s’y adapter n’est pas s’adapter à un monde technologique qu’il faudrait « maîtriser ». C’est finalement s’adapter au monde tel qu’il est. L’un des points intéressants de cet essai est d’insister sur le fait que la vie sur Internet n’est pas une vie « virtuelle ». C’est l’expression réelle de gens qui existent en chair et en os même si le media fait évoluer les conventions linguistiques. Si certains internautes sont parfois outranciers, c’est souvent parce qu’ils se libèrent de frustrations accumulées. Dans les faits, l’internaute n’est pas nécessairement (et est même rarement) un être en colère et il est probable qu’un malotru sur Internet est un malotru tout court. Internet n’est pas un monde « virtuel », et pour provoquer « un brutal retour sur terre », « la société Internet n’est pas différente de la société dont elle est originaire ». Donc pas d’acharnement législatif dupliquant ce qui existe déjà !
Un livre facile à lire, qui débarrassera définitivement les gens qui sont nés avant 1980 de certaines phobies conscientes ou inconscientes. C’est un fait que « la révolution est en marche » et qu’ « Internet est la première révolution citoyenne planétaire ». Mais ce livre n’est pas le manifeste d’un révolutionnaire sur la révolution. Aussi énorme que soit la révolution Internet, elle n’est pas violente. Elle menace, certes, les autocrates et les oligarchies anachroniques, mais aussi les dirigeants des démocraties occidentales qui ont utilisé Internet au cours des dernières années comme un moyen de se faire élire (en tirant parti de la relative nouveauté du phénomène), et ne voient toujours pas que c’est désormais une plateforme populaire où les gens ont des choses à dire et demandent des explications à ceux qui les représentent.
Marylène Delbourg-Delphis http://delbourg-delphis.com/
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