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Rendre la présence du divin manifeste. Voilà le sens des édifices religieux d'Europe, des sanctuaires de l'âge du Fer jusqu'aux joyaux titanesques de l'art gothique français. Dans l'antiquité européenne, le templum latin, héritier du temple étrusque, est un lieu inauguré, c'est-à-dire offert à la divinité, et il devient sa résidence ; on y sent la présence du dieu. Le temenos grec recouvre la même conception, comme le nemeton gaulois, qui "s'offre" à la divinité, alors que l'atos, enclos sacré, était la propriété des dieux comme des hommes.Les églises chrétiennes, malgré tout ce qui sépare au plan spirituel le christianisme des religions antérieures, relèvent de la même logique : un lieu qui appartient à Dieu, consacré à un patron, comme l'ancienne cathédrale de Lisieux, sur la terre des Lexoviens, était consacrée à Saint Pierre. Et ce lieu est véritablement consacré par l'évêque, offert à Dieu et à son intercesseur.
Ce lieu, propriété de Dieu, ne peut donc être que magnifique, reflet de la magnificence du souverain des Cieux et de la Terre, de celui vers qui tout converge. Et cette finalité -exprimer Dieu-, l'art français du Moyen-âge finissant s'en est approché plus que tout autre : les édifices gothiques n'expriment rien d'autre que l'infini, ce qui est sans commencement et sans fin, ce qui donne le vertige à l'individu ; ils sont la matérialisation la plus aboutie de la transcendance. Car, une fois l'entrée passée, déjà rendu humble par la puissance de la façade, le visiteur qui se trouve face à la nef de l'un de ces édifices ne peut percevoir de début ni de fin dans les inombrables courbes qui se dessinent tout autour de lui, et ce qu'il a devant lui se présente comme une voie sans terme. Et la lumière qui perce à travers les hautes baies, les couleurs qui semblent se diffuser depuis la pierre même, ont véritablement quelque chose de divin.Grandeur et humilité devant le monde tout ensemble, voilà ce que ressent celui qui prend le temps de voir.