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Du salon de coiffure aux salons littéraires

Par Tichapo

  Je viens de lire sur le site Africultures une nouvelle qui a remporté le prix Mark Twain organisé par l'ambassade US à Kinshasa (RDC). L'auteure s'appelle Bibish Marie-Louise Mumbu, et la nouvelle s'intitule Moi et mon cheveu. Une femme, plaquée il y a de cela plusieurs mois au profit d'une plus jeune, au motif officiel que son gars et elle ne sont pas de la même tribu, tient sa vengeance, et cette dernière tient à un cheveu, ou plutôt à une coiffure, une nouvelle coiffure à laquelle la narratrice confère toute son attention et tous ses espoirs. Une bonne partie de la nouvelle nous livre donc l'ambiance qui règne dans un salon de coiffure pour dames, un temple des tresses, greffes et autres rajouts, où les rivalités vont bon train. Un régal dont je vais livrer ici un extrait (la nouvelle est en lecture libre sur le site Africultures), et qui me confirme dans mon goût pour les récits qui s'inscrivent dans ce genre d'ambiance quotidiennes et publiques (les transports en commun, ici le salon de coiffure, pourquoi pas les marchés, les fêtes, les cérémonies religieuses en tous genres). Je suis sûr que malgré les différences culturelles, des lectrices haïtiennes pourront se reconnaître dans plusieurs aspects de ce récit. Mais voyez plutôt:


      Bref. Je sors donc de mes rastas. J'ai été chez Bégonias pour me faire faire les soins dimanche dernier, j'ai passé 5h au salon ! Fort heureusement pour moi, c'était un dimanche. Y a moins de monde. Et aujourd'hui, je suis ici. Africa Rasta fait plus office de salon de tresses que de salon de coiffure. Ses clientes ? Elles viennent de partout et trouvent tout sur place. Alors bonjour les conversations !
      Celles que je préfère, moi, en termes d'histoires, c'est les conversations visuelles.
      La 1,80 mètres assise là, avec ses lunettes de star et son pantalon taille basse, est la cliente qui a appelé il y a quinze minutes. Elle vient des States. Venue pour les vacances, on lui a parlé de l'endroit. Pas la boite de nuit au centre-ville qui s'appelle l'Endroit, non, je parle du salon de coiffure. Elle a trop chaud, elle veut une bouteille d'eau minérale "Canadian pure" et pas de l'eau pure en sachet surtout, elle insiste. Elle le dit au gamin qu'elle envoie dans un lingala approximatif, un peu francisé et dans un ton américanisé. "Eau minérale hein, kozua eau pure té stp !" Elle ne voudrait sûrement pas ramener des maladies congolaises au pays de l'oncle Sam… Je souris discrètement dans mon coin, perchée sur mon tabouret et entre les mains expertes de ma coiffeuse, elle me fait un tissage.
      La petite mince dans son boubou, elle, habite juste à côté on dirait. C'est elle qui est passée tout à l'heure en voiture avec ce type qui l'a descendue, petite jupe et talons, de sa grosse Jeep vert olive. Un gars de l'armée, qui sait ? Là, elle vient de se changer… Elle toise la "Statoise", et siffle, elle, le petit vendeur d'eau pure. "Mibale, petit, moyi eleki ! Deux sachets, petit, le soleil tape fort !"
      Et vite, sans stade ni arbitres, se profile à l'horizon deux camps et commence alors un duel sans raison dans ce salon de coiffure. Un délicieux match, dis donc.
      Les "Bana mboka", enfants du pays, contre les "Diaspora", ceux qui se sont exilés.
      Eau pure en sachet contre Eau minérale en bouteille. Saison des pluies contre Hiver. Resté contre Parti. À pied contre En voiture. Boubou contre Pantalon taille basse. Un truc sans tête ni queue quoi ! Bon, installée sur mon tabouret, laissant faire ma coiffeuse, je suis prête à suivre la partie.

   Evidemment, j'invite celles et ceux que la curiosité aurait piqués à se rendre là : Moi et mon cheveu pour suivre le match, ou plutôt les matchs qui s'engagent dans ce récit.

   Il m'est arrivé d'imaginer un concours de nouvelles prenant comme thème les transports publics, mais il me semble également que le salon de beauté pourrait constituer un cadre propice à de nombreux récits fort révélateurs sur les sociétés. Avis aux amateurs, il existe d'autres chemins à défricher à travers les forêts de cheveux féminins, d'autres routes à emprunter des salons de coiffure aux salons littéraires.



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