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Etat de vide et ménagement de l'écrivain selon Hillesum

Par Manus

Etat de vide et ménagement de l'écrivain selon Hillesum

Etat de vide et ménagement de l'écrivain selon Hillesum

Hier soir, je relisais quelques passages de Etty Hillesum "Une vie bouleversée" (v.billet sur ce sujet : Etty Hillesum : "Une vie bouleversée") et je suis tombée sur un texte qui m'a plongée dans des questionnements et réflexions que j'aurais aimé partager ici.

Voici le passage :

"Le soir.  Et puis revoilà de ces instants où la vie vous paraît d'une difficulté désespérante.  Dans ces moments-là, je suis violente, inquiète, fatiguée à la fois.  Cet après-midi, moments d'intense émotion créatrice. Après quoi, je suis retombée dans un état d'épuisement, comme si j'avais répandu ma semence.

Il ne me reste plus qu'à m'allonger immobile sous mes couvertures et à attendre patiemment que cet abattement, cette "petite mort" se détachent de moi et me quittent.

Autrefois, dans le même état, je faisais des bêtises, je buvais avec des amis, je songeais au suicide ou je passais des nuits entières à lire sans ordre cent livres à la fois.

Il faut accepter les moments où la créativité vous déserte; plus cette acceptation est sincère, plus ces moments passent vite.  Il faut avoir le courage de se ménager une pause.  Il faut oser parfois être vide et abattu.- "

Elle m'amuse, Etty, lorsqu'elle parle ainsi.  Ces émotions et ses troubles de l'âme filent immédiatement de ses doigts sur le papier, comme si elle écrivait avec son sang.

Cette personne (juive) qui autrefois souffrait d'une condition physique fragile, s'est révélée avec le temps et dans les camps de concentration d'une telle force d'âme, que son corps suivait ce mouvement de ressourcement intérieur.

J'aime songer à ces désespoirs d'écrivains, à ses moments de lassitude où elle tente, vaille que vaille, de remonter la pente, et de tendre vers la voie de la sagesse.  "Autrefois" dit-elle, elle se bourrait la gueule, faisait la conne avec ses potes, mais aujourd'hui, elle apprend à se connaître, se consulte comme un médecin ferait avec ses patients, et elle se suggère d'être patiente avec elle-même, et de s'écouter un peu, sans rejeter ce que son intimité et son corps tentent de lui dire.

Elle écrivait beaucoup, Hillesum, intensément.  Se rêvait écrivain.  

Et voici qu'elle décrit cet abattement qui caractérise, je crois, pas mal d'écrivains.  Cette sorte de torpeur de l'âme qui nous pousse à vouloir nous retrancher ailleurs, quelque part dans un coin de notre être où personne ne pourrait avoir accès.  Etats d'âmes, qui conduisent des auteurs à boire plus que de coutume, à prendre des risques en moto ou en voiture, à se jeter dans le vide en riant pour tout et pour rien, exultent ainsi une sorte de désespoir passager, mais pourtant récurrent.

Combien d'écrivains n'ai-je pas rencontré qui avaient ces symptômes ?

Et puis qui se relevaient, exsangues de s'être escaladé pour atteindre leur propre sommet, et recommencer à vivre, ce qui se traduit pour Etty et ces écrivains, par la possibilité d'écrire à nouveau, et de renaître sous l'impulsion de l'écriture.

J'aime croire que ces passages à vide de l'écrivain - Etty en particulier - sont le reflet d'une sensibilité telle, que son être absorbe la vie comme une éponge.  C'est vivre intensément.  Et vivre de la sorte, induit le risque de non seulement connaître de grandes joies et de grandes passions, mais également de prendre de plein fouet les douleurs, dont découlent forcément les questions, qui pour ces personnes là, deviennent essentielles, existentielles, prioritaires.

Ces questions, qui lui fendent l'âme et la déchirent - qui troublent l'écrivain qui vit ces interrogations de manière entière et absolue - la basculent dans ces moments d'abattement qu'elle décrit si bien.  Là où réside sa force, c'est qu'elle n'en n'élude aucune, de questions.  Sa tête s'ordonne peu à peu au fils des réponses qu'elle esquisse, de la sagesse qu'elle commence à toucher, et son être se renforce, au fur et à mesure de ses abattements qui la grandissent et la poussent, sans qu'elle le réalise elle-même, vers l'état de Juste.

Si tous les écrivains pouvaient plonger comme elle au plus profond de leur être, le monde littéraire ne proposerait que des chefs-d'oeuvre.

Panthère.


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