Retour vers le futur.
La projection d'Avatar lors de sa sortie en salle constitua l'une de mes plus belles expériences de cinéma.
45 minutes avant le début de la séance, la salle est déjà presque pleine. Les quelques fauteuils encore libres ne le restent plus bien longtemps. Les spectateurs
manipulent avec impatience leurs paires de lunettes 3D. Les minutes s’égrènent. La salle est alors bondée. Tout le monde est prêt. Et les lumières s’éteignent, enfin…Un message s’affiche sur
l’écran, enjoignant le public à mettre les fameuses lunettes. Avatar va enfin se révéler.
Le nouveau film de James Cameron aura suscité une attente telle que la projection prendra des allures de véritable libération, tant l’impatience et les espoirs auront été nourris non seulement
par la qualité des précédents films du metteur en scène, mais également par l’ambition du projet et les images diffusées sur le net.
On nous annonçait une révolution cinématographique. Non seulement c’en est une, mais Cameron balaye au passage tous les essais passés en matière de 3D au cinéma.
L’utilisation du relief est ici pensée en termes de narration, et non d’effets racoleurs, le réalisateur usant du procédé pour faire naître une immersion telle que la distance séparant le
spectateur de l’écran est totalement annihilée. Le monde de Pandora s’offrant à nos yeux devient palpable, physique, sensoriel.
La faune et la flore, d’un niveau de détail inouï (impossible de tout percevoir tant cet univers est riche), nous enveloppent totalement, subjuguant les yeux, l’ouïe, l’épiderme, en un mot, nous imprégnant 2h45 durant.
Avatar raconte l’histoire de Jake Sully, ancien marine immobilisé dans un fauteuil roulant et envoyé sur la planète Pandora, où un groupe industriel souhaite mettre la main sur un
minerai rarissime. L’atmosphère de Pandora étant toxique, le programme Avatar a été créé, permettant à des humains de lier leur esprit à l’avatar d’un autochtone de Pandora (un Na’vi). Sous cette
forme, Jake reçoit pour mission d’infiltrer le peuple Na’vi, ce dernier constituant un obstacle à l’exploitation du fameux minerai. Mais sa rencontre avec la sublime Neytiri va changer le cours
de son existence.
L’on pourra bien entendu voir dans Avatar une relecture de Pocahontas, mais le film va bien au-delà de la rencontre de deux êtres que tout sépare. En effet, Cameron livre avant tout une
œuvre profondément animiste, tissant un lien étroit entre chaque être vivant, reliant arbres, animaux et indigènes dans une même énergie (voir ici la magnifique idée de la tresse permettant de
relier les esprits), et soulignant le caractère profondément précieux de toute chose vivante. Cameron ne situe jamais son film sur le terrain de l’écologie (contrairement à ce que l’on a pu lire
ici ou là). En effet, il ne livre à aucun moment de manifeste, d'étude ou de discours moralisateur, mais élève au contraire sa thématique vers la poésie pure, le mystique, la métaphysique, loin
de tout substrat pédagogique ou scientifique, loin de tout message. Comme le disait justement Godard, pour envoyer des messages, il y a la poste. Le metteur en scène célèbre la vie, sa
valeur, sa fragilité, et ne fait jamais tomber son récit dans la vulgarité du pamphlet facile.
Avatar s’avère également une œuvre profondément humaniste, anéantissant purement et simplement toute idée de racisme et de différence. A ce titre, la scène
finale constitue la plus belle illustration cinématographique que l’on ait pu voir sur ce thème, représentation ultime de l’acceptation de l’autre comme son semblable.
Formellement, James Cameron reste ce réalisateur d’exception que l’on a quitté en 1997 avec Titanic, gérant ses scènes d’action comme ses séquences de dialogues avec une fluidité et une
efficacité visuelles qui forcent le respect. D'autre part, le metteur en scène a poussé dans ses derniers retranchements la technique du perfomance capture, procédé permettant
d’enregistrer grâce à des capteurs les mouvements et les expressions des acteurs pour les traiter ensuite numériquement. Les Na’vi, ainsi créés grâce à ce procédé, sont d’une véracité qui relève
du jamais vu dans le genre. Impossible de déceler la moindre différence entre les personnages humains et les habitants de Pandora.
Par ailleurs, certains ont reproché à Cameron le caractère manichéen de certains points du scénario (les puissants contre les faibles, le bien contre le mal). Ce serait faire bien peu de cas
de la maestria avec laquelle le réalisateur les exploite pour les mener vers des cimes insoupçonnées, transcendant son postulat avec une classe visuelle et une force émotionnelle
époustouflantes. Preuve qu'un scénario simple peut s'avérer extrêmement efficace thématiquement et visuellement.
Le générique de fin défile. Les lumières se rallument. La salle applaudit. Les spectateurs retirent leurs lunettes, les yeux remplis d’images, le cœur débordant d’émotion, le souffle coupé
et la gorge nouée. James Cameron, une fois de plus, nous aura offert une oeuvre d'une puissance phénoménale, un nouveau jalon dans le cinéma de science-fiction, en un mot, une date.