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La tête de poisson (Roger Ikor) I

Par Hiram33

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La tête de poisson (Roger Ikor)

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Les sectes : un mal de civilisation

Introduction : des civilisations et des hommes

C’est par la tête que pourrit le poisson, assure un proverbe que nous dirons chinois. C’est par la tête, en tout cas, que pourrissent les civilisations. Selon Ikor certaines sociétés ont toutes chances de se perpétuer inaltérées jusqu’à la fin des temps. Avec l’Evolution, une civilisation qui réussit parfaitement son adaptation au milieu se fixe, n’ayant plus besoin d’évoluer, dans ses traits essentiels et se prolonge ainsi indéfiniment sauf accident extérieur. Tant que l’adaptation est imparfaite, l’évolution se poursuit. Les changements peuvent aller jusqu’à une transformation complète. En sort une civilisation nouvelle, pendant que l’ancienne s’évanouit. La civilisation industrielle est devenue incompatible avec toutes les autres et elle est destinée à envahir la planète. Les civilisations peuvent succomber à deux types de causes accidentelles : l’agression brutale de l’extérieur, et la maladie. Lorsqu’une civilisation submergée par une autre persiste, parfois pendant des siècles, et resurgit en l’emportant sur celle qui politiquement la domine, c’est parce qu’elle se sent de qualité supérieure. Ainsi les Grecs gardèrent leur langue et les plus cultivés des Romains ont adopter le grec. La civilisation industrielle finira par se substituer à toutes les autres car elle propose une vie matérielle de niveau incomparablement plus élevé que tout autre.

1ère partie : détournement majeur

1 – un néo-totalitarisme

En 1981, Roger Ikor avait publié « Je porte plainte » un livre dans lequel il parlait déjà des sectes. Ce livre était adressé au président de la République. Mais les pouvoirs publics n’avaient pas réagi. Le fils d’Ikor était dans une secte, le Zen macrobiotique. Giscard n’avait pas pas répondu mais Mitterrand avait assuré Ikor de son soutien. Heureusement, les médias avaient relayé le cri d’Ikor. Ikor reçut beaucoup de lettres de victimes de sectes. Alors il décida de se battre en créant le Centre contre les manipulations mentales. Ikor estimait à 600 000 le nombre des adeptes de sectes en France. Cela mérite considération, si on veut empêcher que le pourrissement ne devienne en lui-même dangereux. Mieux vaut étouffer Khomeiny ou Hitler avant qu’ils aient le pouvoir qu’après. La secte attaque la jeunesse, les jeunes les plus altérés d’idéal. Les sectes prolifèrent. Le terrain social est réceptif. Le propre de l’esprit sectaire, c’est de chauffer l’individu au maximum. Ikor indique à quelles difficultés se heurte toute tentative de définir ce qu’est une secte. Mais Ikor estime que chaque homme a le droit au non-conformisme et qu’il combattrait toute loi qui se dirait spécifiquement anti-secte car on ne ruse pas avec la liberté. Le droit à l’erreur de l’homme doit être sauvegardé si on ne veut pas sombrer dans un totalitarisme abominable. Il faut juger les seces d’après leurs actes, non d’après leurs dogmes. Les Témoins de Jéhovah vous harcèlent avec des citations de la bible d’ailleurs neuf fois sur dix truquées : cela ne mérite pas les foudres de l’Etat. Mais quand ils refusent la transfusion sanguine qui sauverait leur enfant, il faut passer outre, cela est clair, et tant pis pour leur liberté. Les sectes ont le droit de penser ce qu’elles veulent. Elles n’ont pas le droit de faire ce qu’elles veulent. Ikor distingue quatre motivation des sectes : foi religieuse, écologisme, politique et argent. Le quadrant religieux se subdivise lui-même en trois : chrétien , hindouiste et philosophique. Ikor évoque la secte Moon qui est un syncrétisme chrétien mélangé de croyances orientales. Moon pratique un anticommunisme virulent. Moon est aussi une puissance financière. Krishna est teinté d’hindouisme et de christianisme et de prescription diététiques. Ikor explique les mécanismes d’une secte en prenant l’exemple d’une communauté organisée autour d’un professeur de philosophie qui se serait retirée à la campagne, travaillant beaucoup et mangeant peu. Le professeur devenant gourou et partageant sa couche avec ses jolies disciples. Il est rare qu’on puisse décider avec certitude que cet homme-ci est un illuminé sincère, cet autre un escroc. Mais le plus cynique des gourous finit pas se prendre au sérieux. Ikor reprend l’exemple du professeur. Dans une salle de classe, l’esprit critique de ses élèves ne saurait être étouffé. Tout change quand le professeur se retire, avec les plus exaltés des jeunes gens, dans la solitude de sa campagne. Le groupe vit en vase clos et le monde extérieur devient l’ennemi. L’autorité vire en despotisme et la soumission des disciples est aveugle, la secte est née. Quand le pouvoir enivre une tête aussi peu solide que celle d’un gourou déjà chauffé par un fanatisme religieux forcené, la démence éclate. Ikor évoque la secte de Jim Jones qui poussa près de mille personnes au suicide au Guyanna. Chez Moon et Krishna, le pouvoir du gourou n’est pas contesté. Il décide de tout pour le mariage, qui doit se marier, quand, la cadence des coïts. Ikor reste sans voix devant la totale soumission des esclaves. Toute secte s’inscrit dans le monde du totalitarisme. Tout est suspendu à un individu. Dans le Zen macrobiotique, le gourou s’appelle Professeur, le « professeur » Ohsawa. Rien, sinon sa conviction intime, ne l’a désigné pour cette fonction. Il s’est décerné tout seul, sans ombre de diplôme, le titre de professeur. On compte plusieurs centaines de sectes, dont une quinzaine peut-être sont importantes. La secte a pour objectif de faire partager sa foi à l’humanité entière. Quand elle y sera parvenue, le gourou sera maître du monde. Seuls les élus auront droit au salut. Le reste ira au néant.

2 Un néo-obscurantisme

La persuasion se fonde sur la sensibilité. Elle prétend prouver mais ce qu’elle veut en réalité, c’est entraîner. Persuader n’a de sens que pour engager non pas l’esprit de l’autre, mais son âme et son corps. Ce qui importe pour le succès du persuadeur c’est l’impression qu’il donne, non la réalité qu’elle cède. L’insistance est un autre ressort de la persuasion. Le persuadeur ne se fâche jamais. Il garde en toutes circonstances le sourire pur et l’inaltérable suavité du martyr. Ikor explique le fonctionnement de la manipulation mentale. Tout esprit vigoureux est enclin à peser sur un esprit plus faible et à emporter ses décisions. Le manipulateur use de techniques élaborées prêtes d’avance pour toutes situations et dont il fait application à chaque cas particulier qui se présente. Le manipulateur traite le manipulé en objet. Il s’estime supérieur à l’autre : la manipulation intervient toujours dans un contexte de maître à esclave. Il existe des techniques scientifiquement élaborées et délibérément employées. L’homme manipulé se voit libre. Le prisonnier états-unien au Vietnam se croyait communiste. Les adeptes des sectes ont été infiltrés par un virus. Les sornettes qu’ils profèrent leur paraissent de ce fait prodigieusement vraies, les actes absurdes qu’ils commettent merveilleusement libres. Dans 99% des cas ce ne sont pas les adeptes qui vont à la secte mais la secte qui vient à eux. Chez Moon et Krishna, on use surtout de l’attaque foudroyante; à la scientologie ou à la Méditation transcendantale, de l’infiltration lente et sournoise. La scientologie distribue aux passants des prospectus proposant des tests gratuits de personnalité. Les Krishna ne se gênent pas pour distribuer des bonbons aux enfants et les amener ainsi au « temple »... en compagnie de leurs parents. Chez Krishna, une fois la victime cueillie, jamais on ne la laisse seule, elle pourrait s’ennuyer ou se ressaisir ! Dans l’étape ultérieure, sera consommée la rupture avec la famille, avec les amis. La captation de la victime suit plusieurs procédés. Il y a le repérage de la victime correspondant à un profil préalablement défini, l’approche. Le sujet doit être traité à l’abri de toute interférence. Il doit ressentir que les méchants sont dehors. Il y a la pression de groupe qui à elle seule est suffisante pour réussir un premier conditionnement. Il y a les procédés psychiques qui tendent à isoler le sujet. La scientologie baptise « suppressif » l’adepte fautif : l’excommunication se double ainsi d’une menace implicite de mort. Dans la plupart des sectes, l’adepte est imprégné en profondeur par une peur permanente : peur de fauter, peur d’être chassé, peur d’être dénoncé. Il existe des procédés psycho-somatiques. L’un des principaux consiste à répéter interminablement des sons dénués de sens : ce qui produit un effet hypnotique. Chez Krishna, chaque adepte doit psalmodier chaque jour 1328 fois de suite la prière Hare Krishna. A la Méditation transcendantale il faut regarder fixement sans ciller pendant dix minutes la flamme d’une bougie. Les procédés somatiques sont la privation de sommeil et les carences alimentaires. Ikor évoque les procédés de séduction de la scientologie. Elle prépare de multiples associations culturelles ou sur les droits de l’homme sans afficher son nom. Elle avance masquée. Le masque de la scientologie est aussi verbal. Hubbard a inventé un langage qui empêche l’adepte de réfléchir. De plus, chaque science a nécessairement son vocabulaire spécial; en ayant le sien, la scientologie se donne à bon compte une belle apparence scientifique. Selon Hubbard, la scientologie vise à libérer dans l’homme le « thétan » qui l’habite et qui, dégagé du corps et devenu « opérationnel », acquiert, ou plutôt retrouve des pouvoirs aussi extravagants que l’invincibilité ou la toute-puissance sur la matière. Le manipulateur ne respecte pas l’authenticité de l’autre. Pour Ikor, les procédés techniques de la captation de retrouvent dans la publicité, dans la propagande des partis politiques et dans les religions.

3 – Le piège écologiste ou la nostalgie des cavernes.

La plupart des sectes imposent à leurs adeptes des régimes alimentaires rigoureux et carencés. Le sens critique est ainsi affaibli et ils acceptent la servitude sans se rebeller sans en avoir conscience. Les religions anciennes ont souvent imposé à leurs fidèles des réglementations alimentaires à base d’interdits. Avec le progrès des Lumières, les gens éprouvent le besoin de trouver des justifications raisonnables à ce qui n’en a pas. Jusqu’à une époque récente, le végétarisme n’avait aucun lien particulier avec le naturisme ou il était imposé par la pauvreté et accepté faute de mieux. Il relevait d’un choix personnel, de conscience ou de goût. Aujourd’hui, le végétarisme, cessant de se présenter comme une nécessité ou une obligation morale, prétend se justifier par la nature humaine et par la conformité à la loi de la nature. Ikor condamne le végétarisme lorsqu’il est enrobé dans une gangue de de justifications pseudo-médicales, pseudo-écologiques. A nous les fausses sciences et les vraies superstitions, avec leurs bataillons de cuistres ignares, d’illuminés fanatiques, de guérisseurs intéressés et d’escrocs à l’affût de la bonne affaire. C’est ainsi qu’on rentre dans le domaine des sectes. Le zen macrobiotique a été inventé par le Japonais Sakurazawa. Il eut une révélation ; il comprit comment l’homme devait s’alimenter pour vivre une très longue vie dans la santé, la joie et le bonheur. Suffisait pour cela de renoncer aux  vilaines nourritures occidentales et de revenir aux saines pratiques des ancêtres japonais. Il s’en fut répandre la bonne parole aux Etats-unis car les Japonais étaient séduits par les mauvaises nourritures occidentales. Sakurazawa enroba la « diététique » de ses ancêtres dans un voile religieux, un zen de sa composition. Il vint en France et changea de nom. Il s’appela Ohsawa. Il s’était déclaré professeur. A son ancestrale nourriture japonaise, il avait donné un nom tiré du grec : macrobiotique, grande vie. Il n’avait jamais suivi d’études médicales. La macrobiotique est l’art de manger et de boire pour guérir toute maladie, même incurable. Ohsawa distingue dix étapes de son régime pour finir par un régime tout simple : 100% céréales et boire le moins possible. Ikor cite des passages du livre d’Ohsawa pour démontrer sa bêtise et sa prétention. Curieusement c’est la librairie philosophique Vrin qui a publié son livre. Paris-Match en a fait la promotion. Comme tous les gourous Ohsawa pensait que ce qu’il croyait devenait parole d’Evangile. Ikor en veut aux médecins de ne pas dénoncer la macrobiotique. La macrobiotique ne recourt pas au lavage de cerveau car il y a un terrain favorable dans la population à ses théories. C’est l’explosion de l’écologie qui a ouvert les esprits vers un mode de vie différent. D’étude de la nature, l’écologie est devenue une défense de la Nature identifiée au Bien. La ville, devenue Mégalopolis, se charge de tout le négatif de notre civilisation industrielle, la campagne, identifiée à la Nature avec majuscule, devient symbole du positif, santé, liberté, joie de vivre. Ikor reproche à cette nouvelle forme d’écologie son côté passionnelle et non raisonnée. Le bonheur n’est pas d’essence écologique; il tient à notre chair et à notre affectivité, non à notre intelligence. L’ignorer et emmêler le tout pousse très vite à dénoncer l’intelligence comme trouble-fête,  à glorifier contre elle la part viscérale de l’être et finalement à renier l’homme dans ce qu’il a de plus haut, son effort pour échapper à l’animalité. L’intelligence écologique nous dit que la vie, quelle que soit sa forme, animale ou végétale, est en elle-même pouvoir de compétition, de conquête et de destruction. Ikor distingue naturisme et écologie vraie. L’écologie exige de l’homme qu’il sache désormais se limiter lui-même pour assumer le gouvernement de la planète alors que le naturisme c’est renoncer à son pouvoir, à son intelligencen démissionner ainsi de sa qualité d’homme et redescendre à l’animalité; en somme, se suicider intellectuellement pour que la planète vive matériellement. C’est ce que veut la macrobiotique. Trois traits principaux caractérisent le pays des sectes : le totalitarisme, l’internationalisme et le primitivisme. L’ensemble, parfaitement cohérent, se présente comme obscurantisme, mais alors radical. Bonheur animal ou joie humaine : le vrai débat pourrait bien être là.

2è partie : l’inversion de courant

1 – Du libéralisme au laxisme

Ikor évoque la liberté. Pour lui, la liberté ne tolère qu’une limite, celle que lui impose la loi. Dès que la liberté tombe sous l’emprise, si mince soit-elle, de la force d’un autre, elle n’est plus. Il condamne ceux qui prennent en otage des innocents pour que leur ennemi cède  à leurs revendications. Ils usent de la force et ne respectent ni la justice ni l’humanité mais exigent que leur ennemi renonce à la force et obéisse à l’humanité et à la justice. La prise d’otage et le contraire du combat. Ikor reproche à l’humanité de s’être enveloppée d’un duvet de souriante indifférence et de ne plus réagir aux actes odieux. C’est pour lui du laxisme. C’est une lassitude de notre courage. A trop s’abriter dans son duvet protecteur, chacun en vient à se replier sur soi, à ne se soucier que de soi, à n’obéir qu’à soi, à son intérêt, à ses pulsions; et le monde extérieur s’annule. Sous cet éclairage, le phénomène des sectes trouve un sens : dans quelle mesure leur attrait totalitaire ne tient-il pas à notre réaction instinctive contre le danger de dissolution du bien social même ? Quand le totalitarisme règne, l’exigence de liberté individuelle devient irrésistible; quand la société menace de se désagréger, une panique viscérale grandit et jette les hommes vers tout pouvoir qui se propose. Ikor que la société est constituée par un étagement de groupes ou le plus étroit s’emboîte, physiquement, dans le plus large. Mais il pense que c’est le plus étroit qui l’emporte sur le plus large. C’est la primauté de l’intérêt sur le sens moral. Dans ce Grand ensemble qu’est la civilisation industrielle, les hommes sont de plus en plus isolés l’un de l’autre, de plus en plus solitaires au milieu de leur foule. Il n’ y a pas de solidarité si quelqu’un se fait agresser dans la rue. Ikor pense que l’existence de la morale dépend de celle de la société mais il affirme qu’il existe des sociétés sans morale et qu’elles sont viables. La loi de la force les régit seule. On les rencontre dans le monde animal. Les combats de contestations, sont soumis à des règles. Ils se terminent rarement par la mort du vaincu; tout un rituel de soumission permet au plus faible de reconnaître sa défaite, ce qui arrête instantanément l’attaque du vainqueur. Le modèle ainsi produit est clair. Inégalitaire dans son principe, il est de structure monarchique et féodale. A aucun niveau ni d’aucune manière il  n’appelle à la libre adhésion de l’individu; il ne requiert que son obéissance. Aujourd’hui, le mouvement de l’humanité vers l’animalité est plus descendant qu’ascendant; la morale universaliste recule et le code de la force s’affirme. Ikor estime que la recrudescence des manifestations les dessert et qu’à force elle emmerdent le populo. Il donne l’exemple de paysans bloquant la route un 31 juillet. Il parle de prise d’otage pour les grèves de transports ce qui est la rhétorique de droite contre les fonctionnaires. Il se met du côté de l’Etat contre celui du droit de grève. Cela est décevant concernant un homme qui se bat contre le totalitarisme des sectes. Il pense que l’intérêt des grévistes est un intérêt particulier contre l’intérêt général ce qui est faux car si les fonctionnaires ou les ouvriers acceptent de perdre leurs emplois ou leurs droits c’est toute la société qui se durcit et l’emploi qui devient fragilisé. Mais Ikor ne veut voir que l’usage de la force contre la justice (mais quelle justice ?). Il remarque que la foule d’automobilistes ne réagissait pas face à la poignée de paysans car une une foule amorphe ne tient pas devant une unité sociale structurée comme l’étaient les paysans. Ikor évoque une autre secte naturaliste, Ecoovie, qui comme la macrobiotique affaiblit ses adeptes avec une alimentation carrencée. Il reproche aux autorités de laisser agir cette secte sans la condamner.


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