Magazine Beaux Arts

Soutine (1)

Publié le 02 décembre 2007 par Marc Lenot

Il y a quelque chose d’assez jubilatoire à aller voir, grognon, une exposition en attendant le pire, parce qu’un critique de renom en a dit pis que pendre et parce qu’on a été un peu déçu par la précédente en ce lieu, et de réaliser au fil des salles qu’on visite, somme toute, une belle exposition. Certes, on est en sous-sol, certes la luminosité n’est pas excellente, certes les cimaises sont colorées, mais cette exposition à la Pinacothèque (jusqu’au 27 Janvier) rend hommage à Chaïm Soutine de manière intelligente. Ce peintre n’a pas eu de grande exposition parisienne depuis longtemps (mais je me souviens d’une, très belle, à Céret en 2000), l’expressionnisme n’est guère “à la mode”; bien des toiles proviennent de collections privées et ont rarement été montrées.

Ce qui est fascinant chez Soutine, c’est la violence avec laquelle il aborde le monde, qu’il s’agisse de sa manière de peindre ou de ses rapports avec sa peinture. Artiste délibérément maudit, en marge de tout, malheureux partout, il ne vit pas dans son temps ou presque; son oeuvre ne traduit guère les préoccupations de son époque, un panneau de l’expo fait justice de son étiquetage comme “artiste juif”, son développement artistique, avant qu’il ne vienne à Paris, s’est justement fait en réaction contre la tradition judaïque. Son attitude par rapport au succès a toujours été ambivalente; il crève de faim pendant des années, puis, quand Barnes le remarque et lui achète près de cent toiles, Soutine, enfin à l’aise, semble se haïr d’avoir “réussi”, en être honteux. Il détruit alors un grand nombre de ses tableaux.

La violence dans sa peinture, elle, se traduit par un basculement du monde, un tourbillon qui emporte tout, un sol qui se dérobe, des verticales qui se tordent, des horizontales qui tanguent. Tout est tourmenté, déformé, torturé, ses natures mortes, ses paysages, ses portraits. Ci-dessus un détail, le chou rouge, de la toile ci-contre, Nature morte au chou rouge de 1918: la touche est grasse, pleine, courbe, le chou semble ruisseler, se décomposer, grouiller, s’animer presque : on peut dans l’exposition, s’en approcher à quelques centimètres, s’y engloutir.

Dans ce Mistral, Paysage avec figures, de 1920/22, peint à Céret, le vent emporte tout avec violence et démesure, tout se perd dans un tourbillon insensé. Les cyprès de van Gogh paraissent si paisibles en comparaison. Le nez sur la toile, on ne voit plus que la peinture, les coups de brosse, un entrelacs de touches épaisses, le cataclysme. Comme avec Leroy bien plus tard, il faut s’éloigner, cligner des yeux, trouver la bonne distance, pour percevoir les lignes du paysage, les formes des personnages. C’est un exercice passionnant que de regarder ainsi une par une les toiles de Soutine de cette période, leur fulgurance exacerbée, leur violence sans bornes.

La suite bientôt.

Photos provenant du catalogue, très bien fait, avec de belles photos de détails des toiles. Chaïm Soutine copyright ADAGP : les photos seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.


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