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Lucian Freud. L'atelier

Publié le 01 mai 2010 par Myriam

Freud - Large interior, Paddington, 
1968-1969

Lucian Freud, voici un peintre qui ne laisse pas indifférent, agaçant profondément certains, suscitant de l'enthousiasme ou de l'empathie pour d'autres. Figure de la peinture contemporaine, petit-fils de Sigmund Freud, le Centre Pompidou lui consacre actuellement une exposition jusqu'au 19 juillet 2010 avant la rétrospective prévue à la National Gallery de Londres en 2012.

Avec le fil rouge de l'atelier, celui de Paddington, de Holland Park, puis de Notting Hill, une cinquantaine d'œuvres sont exposées depuis les années 1960 jusqu'aux grands tableaux récents, les Large Interiors.

Regroupés autour de quatre thématiques, "Intérieur/Extérieur", "Autoportraits", "Reprises" et "Comme la chair", on entre peu à peu dans l'univers de ce peintre décrit par le critique d'art Herbert Read comme "l'Ingres de l'existentialisme".

Autour d'éléments permanents, un sofa fatigué, un lit en fer forgé, un lavabo blanc, une lucarne de grenier, une plante verte (comme dans "Large Interior, Paddington", 1968-1969 ci-contre), avec l'horizontalité du parquet et la verticalité des murs maculés de peinture tels la palette du peintre (comme ci-dessous, Ib and her Husband, 1992) se construit l'univers de l'artiste qui peint très souvent ses proches et connaissances. Et même lorsqu'il sort de l'atelier, tout semble nous ramener à cette espace intérieur, les toits du quartier W11 (à gauche), la cour jonchée d'ordures à Paddington (à droite) n'existent que parce qu'ils sont (a)perçus depuis l'atelier.

Freud - Two Irishmen in W11, 1984-1985

 

Freud - Ib and her Husband, 1992
Freud - Wasteground with Houses, Paddington, 1970-72 (Terrain vague avec maisons, Paddington)
 

Cette importance de l'espace clos, d'ailleurs nous la retrouvons dans le cadrage retenu, en plongée ou en contreplongée, pour la plupart du temps dans ces tableaux, comme si Freud essayait d'utiliser tous les recoins utiles de cet espace limité, de la toile.

Obsession du nu, de la chair, de la carnation, luxuriance de la végétation, présence canine sans poil, crudités des poses, scénographies audacieuses (ci-dessous à gauche, "Evening in the Studio", 1993 - de façon incongrue, au premier plan, une femme bouillonnante de chair vole la vedette à une scène intimiste à la Vuillard), narration étrange (au centre, "Sunny Morning - Eight Legs", 1997 - une paire de jambes apparaît sous le lit), Freud ne s'intéresse pas au nu académique, il peint sans concession des corps figés, très souvent dans des positions inconfortables, obèses ou élancés (à droite, "Nacked Man, Back View", 1991-92), des chairs affaissées ou distendues, au delà de l'apparence et du carcan social imposés par les vêtements. Il fait voir un monde que nous connaissons mais que les conventions sociales nous retiennent de voir et qui est de l'ordre de l'intime.

 

Freud - Evening in the Studio (Soirée dans l'atelier), 1993
Freud - Sunny Morning. Eight Legs (Matinée ensoleillée. Huit Jambes), 1997
Freud - Nacked Man, Back View, 1991-92

Botaniste dans la représentation de la végétation, j'irai jusqu'à dire qu'il y a presque un côté biologiste dans la représentation de ces corps comme arrêtés en mouvement, dont les membres sont tendus et crispés, mais que l'on évite le côté morbide du médecin légiste grâce à la couleur. Luminosité de la carnation (ci-dessous, à droite, "Standing by the Rags", 1988-89), chair qui va jusqu'à se fondre dans la matière murale (à gauche, "Girl in Attic Doorway", 1995), toutes ces toiles sont dans des tons doux de bruns, de gris, d'ocres, réhaussés de blanc de krems très lumineux et on ressent la vie : "Je ne veux pas qu'une seule couleur se remarque. Je veux que la couleur soit celle de la vie, de sorte qu'on remarquerait une anomalie si elle était modifiée" (1).

Freud - Girl in Attic Doorway, 1995
Freud - Standing by the Rags, 1988-89
Finalement ce qui m'interpelle le plus dans ces œuvres ce n'est pas la violence des corps nus, la représentation sans fard des organes génitaux, l'obsession de cette chair tumultueuse et parfois décrépie, c'est l'absence de regard.

Regard fuyant, distrait, détourné ou inexistant, le modèle ne nous regarde pas, c'est le corps et son animalité qui ressort : "Ce qui m'intéresse vraiment chez les gens, c'est le côté animal. C'est en partie pour cette raison que j'aime les peindre nus. Parce que je vois davantage de chose" (1). Et l'âme semble étrangement absente ...

(1) Propos de Lucian Freud

(2) Parcours de l'exposition Dossier Pédagogique sur "Lucian Freud. L'Atelier" du Centre Pompidou

(3) Deux billets intéressants de blog, Freud, pétrisseur de chair par La Dilettante et Lucian Freud par Helenablue


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