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Le béret et la baguette: stéréotype ou identité ?

Publié le 04 mai 2010 par Savatier

 Maintenant que le débat sur l’identité nationale est clos, il devient plus facile d’évoquer l’image du « Français » typique sans immédiatement déchaîner les passions. Ce Français archétypal n’existe naturellement pas, mais il suffit d’avoir – je me reporte ici à une expérience personnelle – longtemps voyagé de par le monde pour savoir que persiste une série de stéréotypes d’un supposé Français qui résiste à tout examen objectif. Sans doute cette image universelle et, il faut bien l’avouer, peu gratifiante, doit-elle beaucoup au monde anglo-saxon et particulièrement aux clichés longtemps colportés par les Britanniques et les Américains, clichés qui ont laissé des traces jusqu’en Asie.

Il serait toutefois vain de jeter la pierre à nos voisins d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. Car, si la création de stéréotypes est, par essence, dangereuse, dans la mesure où elle se fonde sur l’ignorance de « l’autre » et n’existe que pour tenter de qualifier une différence dont on ne saisit pas l’origine, c’est un comportement profondément humain, inévitable, que seules la réflexion et la prise de conscience de l’altérité peuvent réduire. Le besoin de juger avant même de comprendre, voire de juger pour s’éviter la peine d’analyser, se confond avec les origines de l’humanité. De ce besoin, naissent les religions et les idéologies, avec leurs rassurantes (et illusoires) perspective de normalisation théocentrées ou ethnocentrée et leurs dérives plus ou moins nauséabondes, qui vont de la simple plaisanterie dont les voisins géographiques font les frais à la négation ou réification de cet « autre » que l’on refuse de considérer comme un semblable parce que ses croyances ou sa culture diffèrent. Comme il est écrit dans le Talmud, nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont, mais telles que nous sommes. Ce qui revient à dire, sans pour autant se montrer pessimiste à l’excès, que l’altérité sera rarement perçue sous ses aspects les plus positifs. Le stéréotype se fondera donc sur une série d’idées reçues défiant la logique (même si, parfois, elles reposent sur un fond de vérité plus ou moins mince) dont le résultat ressemblera d’aussi près que possible à une caricature.

Une simple observation en apporte la preuve : dans l’imaginaire collectif mondial, l’image du représentant du pays de Voltaire, de Beaumarchais, de Delacroix, de Debussy et de Sacha Guitry ne s’apparente en rien à un personnage cultivé, spirituel et raffiné. Le Français est, encore aujourd’hui, perçu comme un homme plutôt petit, brun, portant moustache et béret, souvent cocardier, grincheux, débrouillard, volontiers égrillard, amateur de vin rouge, d’escargots et de camembert, l’éternel mégot vissé au coin des lèvres et la baguette de pain solidement coincée sous le bras. On le voit en outre arrogant, peu enclin au travail et d’une hygiène relative. Bref, un curieux mélange de Paul Préboist, Jean Carmet et Noël Roquevert… Les Françaises ne sont guère mieux servies par les stéréotypes, bien que leur réputation toute faite de légèreté – de la grisette à la femme fatale – leur confère un réel sex-appeal aux yeux des habitants mâles des cinq continents. Dans les deux cas, le fantasme l’emporte largement sur la réalité.

Le cinéma anglo-saxon, du Port de l’angoisse à Marathon man, en passant par Moulin Rouge n’est sans doute pas étranger à cette image. Je me souviens, au début des années 1990, du désarroi de lycéens du Wisconsin devant lesquels, invité au débotté par la direction de leur collège alors que j’effectuais un voyage d’affaires, j’avais dû improviser une conférence de deux heures sur la France. Ils avaient face à eux un Français improbable, habillé comme n’importe quel businessman, s’exprimant, qui plus est, dans leur langue, alors qu’ils s’étaient clairement attendus à voir débarquer un clone de Jacques Marin ! Cet excellent comédien, qui joua les seconds rôles dans une centaine de films, représentait si bien le Français archétypal ci-dessus décrit qu’il était devenu l’acteur fétiche de Hollywood, où il fut engagé, pendant plus de vingt ans, par les plus grands réalisateurs, John Berry, John Huston, Richard Fleischer, Gene Kelly, Anatole Litvak, Stanley Donen, John Frankenheimer, William Wyler, Blake Edwards, John Schlesinger et quelques autres. Pour l’Américain moyen, il incarnait donc… le Français moyen.

Aujourd’hui, en dépit du développement du voyage de masse et des nouvelles technologies de communication, cette image perdure, même si la France demeure le pays le plus visité au monde par les touristes. On pense ainsi à ce portrait charge de la France pendant l’Occupation, impitoyablement brossé par David Croft et Jeremy Lloyd dans la série humoristique Allô, Allô qui fit les riches heures de la BBC dans les années 1980-1990. Sa diffusion dans notre pays resta confidentielle (sur Canal+ en 1989) et l’on en comprend vite la raison en visionnant quelques-uns de ses épisodes hilarants (on en trouvera ici un extrait). Tous les clichés y sont réunis, du bistrot, qui constitue le décor principal, au tenancier (René Artois), aux accortes serveuses Yvette et Maria avec lesquelles, naturellement, le bistrotier entretien une liaison, en passant par le policier, les résistants à béret, la vespasienne qui orne la place et le générique qui n’est autre – on l’aurait parié – qu’un air d’accordéon.

Plus près de nous, un duo assez déjanté d’auteurs-compositeurs-interprètes néo-zélandais, Flight of the Conchords, a réalisé une vidéo autour d’une chanson supposée symboliser une ambiance typiquement française, et curieusement intitulée Foux du Fa Fa (que l’on pourra voir à partir de ce lien). Avec humour, les deux chanteurs, dont les aventures aux Etats-Unis font l’objet d’une série produite par HBO, égrainent des symboles de la France (l’éternelle baguette, la « soupe du jour » et même une daurade savoureusement nommée : « Jacques Cousteau »). Selon l’un de mes étudiants néo-zélandais qui m’a indiqué ce duo, Foux du Fa Fa aurait connu un large succès auprès de ses concitoyens…

Longtemps, dans les universités allemandes, il était du dernier chic de porter un béret, de rouler en 2 CV et de fumer des Gauloises bleues. Cela faisait « typiquement français » – une expression qui, à leurs yeux, englobait aussi bien le Français moyen que le milieu intellectuel germanopratin. Aujourd’hui encore, ce fameux béret noir ou bleu marine reste très prisé des étudiants étrangers, alors qu’il n’est plus que l’apanage de quelques anciens combattants et d’habitants plutôt âgés du monde rural. On n’échappe pas à ces clichés ; si bien que rares sont les livres et les guides touristiques traitant de notre pays qui en font l’économie. Il n’est qu’à prendre la couverture de l’édition russe de la célèbre méthode Assimil pour s’en convaincre. Et ce n’est sûrement pas le succès mondial du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, film nunuche à souhait et abondamment césarisé, qui aura contribué à modifier cette image de la société française. La vision idéalisée, bonniste, carte postale et passéiste que ce long métrage colporte de la Capitale n’est pas sans rappeler celle d’Un Américain à Paris.

Illustrations : Le “French survival kit” - Noël Roquevert (à droite) dans La Ligne de démarcation, film de Claude Chabrol - Jacques Marin - Couverture de l’édition russe de la Méthode Assimil “langue française”. 


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