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Interview de Joss Doszen sur le Clan Boboto

Par Gangoueus @lareus
Interview de Joss Doszen sur le Clan BobotoJoss Doszen est l'auteur de deux romans, dont Le clan Boboto que je viens de chroniquer. Un troisième roman est en préparation. J'ai bien aimé ce roman sur une famille dans la tourmente d'un quartier sensible de France. Ce jeune franco-congolais a la gouaille de ses personnages, ricane sur certaines questions, mais finalement, mérite qu'on s'arrête sur son travail. A vos marques! En gras mes questions et en italique, les réponses de Joss Doszen.


Joss Doszen, vous commencez votre roman par un prologue où vous revenez sur l’historique de ce quartier «La Zone négative », les flux passés et la composition actuelle de la population de cette cité. Est-ce un déterminisme justifiant la posture et l’évolution de vos personnages ?
Il était important pour moi de montrer à tous ceux qui de loin voient les « cités » comme des zones de guerre ne produisant que des clones d’échecs que même en étant du même endroit( ?). De plus j’ai écrit ce prologue suite à une longue discussion avec un amoureux de l’urbanisme qui m’a raconté l’émergence des cités du côté de Lille et de l’Est parisien et ça ressemblait de façon effrayante à un reportage vu deux ans plutôt sur l’histoire de la ville de Liverpool. J’ai eu envie de raconter les histoires de ces ville-espoirs devenus des cloaques.
On sent que les mots ont un sens important chez vous que ce soit en français ou lingala. Vous désignez cette cité par « La zone négative ». Pourquoi pas « La zone interdite » ?
La zone négative n’est qu’un clin d’œil à mon enfance de passionné de comics américains. C’était un univers parallèle dans lequel les 4 fantastiques voyaient leurs pouvoirs se décupler… Donc rien de très « littéraire » comme référence (sourire). Mais c’est vrai que le sens est là. Cette expression n’est pas là par hasard.
Je reviens sur ce concept de « zone négative » par lequel vous désignez le quartier des Boboto. Elle contient en elle une symbolique très forte. Est-ce l’idée que vous vous faites de l’impact des quartiers dits « sensibles » en France : une influence essentiellement négative tant pour la collectivité nationale que pour les habitants qui les habitent ? 
Là, 100% oui. En France le mot « banlieue » est essentiellement lié à des choses sombres, échecs, violences, trafics, chômage… Et malheureusement cela n’impacte pas que ceux qui sont en dehors de cette « zone négative » mais aussi et plus encore ceux qui vivent dedans qui se dévalorisent encore plus que d’autres. Moi j’ai toujours vécu dans des quartiers populaires que se soit en Afrique ou en Europe et je ne me suis jamais senti concerné par ces zones négatives.
Vous avez choisi dans ce roman de présenter au travers de cette famille, plusieurs figures de la banlieue : le sans-papier, le chef de gang, le camé, le grand frère. Est-elle crédible cette famille selon vous?
Rires. Je ne cherche pas la crédibilité. Ceci est un roman, pas une biographie ou une œuvre sociologique. Je ne cherche rien d’autre que de donner quelques heures de lectures agréables tout en essayant de faire passer des messages simples. Il faut voir ce livre comme un bon film de gangsta type Boyz’n the hood, Scarface ou New Jack city. Rien d’autres. Et si, en même temps, je peux dire aux gens « hé les gars, faites un tour dans la tête de ce sans papier qui cours après un mariage blanc, peut-être verrez-vous que c’est un homme simplement, et pas une espèce de monstre étrange », pourquoi me priver ?
Bien qu’appartenant à un clan relativement soudé, les éléments de la fratrie ont des parcours singuliers, des difficultés propres et extrêmement  cloisonnés. Même si certains choix malheureux ont des impacts sur le clan. Est-ce votre idée de la famille africaine en Europe, à savoir chacun même sa barque dans son coin tout en essayant maintenir un lien vital avec la famille ?
Non l’idée n’est pas là. L’idée était surtout de dire que nous pouvons être de la même famille, avoir eu la même éducation mais « recevoir » son quartier et sa vie de façon totalement différente.
La seconde chose que je voulais mettre en avant c’est aussi le fait que même dans les familles qui semblent les plus soudées, chacun a son jardin secret, ses blessures et les gens peuvent vivre ensemble sans jamais vraiment se connaitre.

Un personnage a retenu mon attention. Scotie. Doué, ambitieux et audacieux, il réussit une intégration économique pour le moins inattendue dans le système capitaliste ambiant Après le racket, la drogue et le proxénétisme, il tente de faire basculer son business dans le recyclage de  l’argent sale. Pouvez-vous revenir sur ce personnage ?
Rires. Scotie c’est mon délire. Scotie c’est d’abord ma culture films ghetto US. Ma culture New Jack city ou La cité de la peur. J’ai pris un plaisir incroyable à écrire ce chapitre car je me suis lâché et j’ai même dû me censurer pour garder un certain équilibre avec les autres personnages. Rires.Mais Scotie c’est aussi celui qui dit aux gens que la banlieue n’est pas synonyme de manque d’intelligence. Scotie c’est aussi celui qui ne subit pas son environnement. Contrairement à ses frères il ne rêve pas de « se barrer de la cité ». Il n’est pas dans ce cliché français de penser que tous les banlieusards sont dans Alcatraz et n’ont de cesse de vouloir partir. Scotie c’est aussi celui qui choisit. L’intelligence n’a pas de moral, la morale ne se transmet pas génétiquement. Paradoxalement je crois qu’il est plus désespéré que Mina par ce dead-end qu’ont vécu les parents. Il a choisi la façon optimum de ne pas suivre leur.C’est en plus quelqu’un qui est en retrait, c’est un observateur qui ne s’implique pas, qui ne se dévoile pas, mais qui aime tirer les ficelles. Il ne cherche pas les lumières de la gloire et sait se mettre en arrière-plan. J’adore ce personnage, je pourrais en parler des heures !
L’émancipation de Scotie est peu orthodoxe, celle d’un maffieux des cités qui fait évoluer son business vers le CAC 40, mais correspond-t-elle à une réalité sur le terrain ?
Rires.  Ceci est un roman. Il ne faut pas chercher de réalité ou de véracité. Kaizer Sauzée n’existe pas ! Rires.Plus sérieusement je ne crois pas que les vrais bandits du CAC40, tous issus des grandes écoles pour les français ou des grandes universités privés chez les anglais par exemple, – en plus d’être d’une certaine bourgeoisie  – laisseraient aussi aisément la place à un banlieusard aussi doué soit-il.
Vous semblez avoir une maîtrise du sujet tant votre transcription de vos personnages sonne juste. Est-ce du vécu ? Une observation acérée du quotidien ou une imagination fertile ?Un peu des trois. Je ne fais pas science-fiction, je suis un hyper curieux et j’ai toujours été un rêveur. Ensuite, c’est le rôle de comédien du stylo – et du clavier – de faire le reste.

La voûte de cet édifice que constitue le clan Boboto semble être soutenue par Mina, ce frère aîné qui supplante son père parti en Afrique, mais s’il y a un reproche à faire à ce roman, c’est le vide que vous laissez concernant les ressources de ce personnage. Il n’y a pas un legs entre lui et son père et pourtant il prend ses responsabilités. Mina, personnage de fiction ?

Le roman à l’origine était conçu autour de Mina puis les autres personnages ont fait leur apparition et c’est vrai qu’au final, je me suis focalisé sur l’histoire du clan et Mina s’est un peu dilué dans l’ensemble. Je n’effleure que le parcours de Mina qui est celui qui se pose le plus de question sur sa place en Europe, son africanité, sa responsabilité de grande-frère « à l’africaine » qui assume son rôle, quitte à ce qu’il l’enferme un peu. Ce n’est pas non plus un superman capable de tout faire tout seul. Il a le soutien de Schearo, sa mère, Chico… J’avoue qu’avec le recul je pense avoir sacrifié Mina au profit du Clan. Mais n’est-ce pas son destin ?
Si on note un abus du point virgule dans votre texte, une ponctuation discutable, ce qui pourrait embarrasser le lecteur ou la lectrice  se trouve dans une expression très crue des états d’âme vos personnages masculins. Approche quelque peu inquiétante, voir violente que l’on retrouve chez la plupart des auteurs issus de la banlieue. En gros, la jeunesse de banlieue a-t-elle le monopole d’une certaine vulgarité ? Qu’est-ce-que cela signifie pour vous de transmettre les états d’âme de vos personnages par cette forme de langue ?
Concernant la ponctuation il y a simplement le fait que je sois nul dans son utilisation. Rires. Mais aussi le fait que j’écris comme si j’étais dans une réunion et que j’étais chargé de faire le procès verbal. Il faut que je note au fil de l’eau et je n’ai pas le temps pour les fioritures. Les mots me viennent vite, en torrent et il faut que je les sorte sinon je les oublie. Ensuite c’est la galère pour essayer de « redresser » le texte en utilisant la ponctuation à bon escient.J’utilise le « je » tout au long de mon roman car je SUIS le personnage. Et si je suis dans ma tête je ne filtre pas mon langage. L’intelligence social consiste à adapter son vocabulaire en fonction de son auditoire, mais quand on est son propre auditoire on ne s’applique pas de filtre, donc on utilise toute la palette de vocabulaire que l’on a. « Que nenni » côtoie sans honte « c’est relou » parce que l’on est seul dans sa tête. Et quand on a entre 16 et 20 ans, que l’on est dans un environnement violent, que l’on est dans une période de stress dans sa vie (exemple Bany), le langage fleuri n’est pas vraiment de mise.Quand au sexe omniprésent, je rappelle que les personnages ont entre 15 et 20 ans et à cet âge là, ils ne doivent pas être rares ceux qui pensent énormément au sexe.
Le passage d’un  personnage à un autre se fait par le biais d’un poème, d’un slam voir d’un rap, d’une parole exprimée en anglais, en français ou en lingala. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche originale ?

J’écris beaucoup de textes. Slam, rap, poème, qu’importe le nom qu’on leur donne. Mais je ne me sens pas le talent de publier un recueil de texte complet. Donc je les insère dans mes romans pour faire une sorte de respiration entre 2 chapitres. S’ils ont l’air de plaire, j’en suis heureux sinon, le lecteur passe au chapitre suivant.J’aime le fait de pouvoir dire des choses différentes en utilisant des langues différentes. En lingala je peux utiliser des images impossibles à retranscrire en français et le côté direct de l’anglais permet une expression très dynamique. Le français reste la langue avec laquelle je peux le plus facilement jouer, créer.
Le retrait des parents a un impact important et négatif dans le développement des éléments de ce clan. Vous ne faites pas porter l’entière responsabilité des situations scabreuses à la seule « cité » ? Est-ce le regard général que vous portez sur ces banlieues, à savoir la faillite des parents comme éléments clef d’explication de la violence d’une certaine jeunesse.
On me dit souvent « c’est parce que tu n’as pas d’enfant que tu dis ça », parce que je suis capable de dire d’un gamin de 2 ans « ce petit est une future racaille » rien qu’en voyant ses parents. Quelques soient les raisons de leur démission, pour moi la première responsabilité des enfants qui « partent en cacahuète » est celle des parents. Le contexte est important, décisif. C’est une des conditions nécessaires à l’échec d’éducation, mais la seule condition suffisante c’est le facteur « parent ».
Boboto signifie « bonté » voir « amour » en lingala. Vous désignez par ce nom, ce clan dont vous décrivez les membres qui dépassent les simples liens du sang. Dans la dureté de ce quoi doivent faire face les Boboto, ce sentiment semble être le seul ciment qui empêche l’édifice de s’écrouler. Vous y croyez ?
J’y crois très fort. Je crois au fait que la famille c’est plus que le sang. Les liens du sang dans nos cultures africaines sont parfois étouffants, et parfois nous font oublier que le « prochain » peut-être le pharisien. Dans ce livre il y a beaucoup de personnages « secondaires » qui sont d’une importance capitale dans la maison Boboto. Aucun n’est à négliger ou à enlever.
Vous avez un style très particulier, très direct, très collé à l’humeur de personnages et leur contexte. C’est une approche éloignée d’une narration classique. Pouvez-vous vous exprimer sur les influences sur votre écriture, quelles sont les auteurs qui vous inspirent ?
En premier lieu j’aime ce jeu de rôle qui consiste à me glisser dans la peau d’un personnage. Au lieu de « raconter » les situations sentiments on s’oblige à les vivre et à les faire vivre à celui qui lit. C’est risqué car le lecteur à tendance à perdre de vue la limite entre le conte et le conte et vous identifie à vos écrits. Mais je trouve qu’il y a plus de force dans le « je », au risque de passer pour un narcissique.Dans mes lectures je n’ai pas vraiment de référence. Je suis un passionné de space opéra et d’héroic-phantasy depuis mon adolescence. L’étrange destin de Wangrin est mon livre de chevet depuis mes 17 ans. J’ai encore en mémoire « le soleil des indépendances » de Kourouma et je crois avoir lu tous les Guy Des Cars, Agatha Christie… Je suis un boulimique de la lecture. Je dirais pourtant que de lire, enfin, des auteurs anglo-saxons en version originale m’a décomplexé. Entre Richard Wright, Alex Wheatle, Iceberg Slim ou Naiwu Osahon il n’y a absolument rien en commun. Même pas la langue tellement ils l’utilisent tous de façon différente. Ils écrivent comme ils sont avec les mots de leur éducation, de leur culture sans chercher à rentrer dans des codes littéraires. Grâce à eux j’ai compris que si je voulais écrire dans un roman « je vais te chicoter » ou « faut pas me chercher palabre », je pouvais.
Il s’agit d’une auto-édition. Par choix ou par obligation ?
Les deux. Mon premier manuscrit de « Pars mon fils va au loin et grandis » a été envoyé à 1é éditeurs. Je n’ai reçu que 3 réponses « positifs » via des courriers qui me disaient – pour aller vite – « votre livre sera vendu 16 euros, vous toucherez 8% de la somme à partir du 500e exemplaires vendus. Signez la et faites nous un chèque de 5000 euros ». Je venais de faire connaissance avec les éditeurs à compte d’auteur et j’étais dans une période ou je tirais le diable par la queue (pour rester poli). J’étais un peu choqué de voir que dans ce pays, en gros, si on n’a pas d’argent on n’a pas le droit d’être lu. J’aurais pu aussi envisager le fait que j’étais complètement nul, mais je suis trop narcissique pour ça (rires).Aujourd’hui c’est un choix. Je ne cracherai pas sur un diffuseur le jour où j’aurai le chiffre de vente d’un best-seller, mais vu mon rythme de vente, je sais gérer. De plus, à partir du moment où je me suis décidé à tout faire moi-même j’ai commencé à apprendre – difficilement – un nouveau métier. J’ai appris à négocier mes devis avec les correcteurs, les imprimeurs, les graphistes ; à faire du porte à porte – sans beaucoup de succès – auprès des libraires, à tenter d’attirer (sic) l’attention des gens médiatiques. En fait, aujourd’hui je fais exactement ce que j’aurais voulu qu’un éditeur fasse pour moi pendant que moi, alors pourquoi courrai-je après eux ? C’est sur que ce n’est pas comme ça que je deviendrai millionnaire, mais bon… (Rires)
Pourriez-vous proposer 5 ouvrages de référence que vous aimeriez faire découvrir  aux lecteurs de ce blog ?Je ne serai pas très original :Brixton rock de Alex Weathle, un britannique d’origine jamaïcaine dont l’écriture suinte les rues de Brixton,PIMP de Iceberg Slim, ancien macro américain. Attention, âme sensible s’abstenir, mais c’est très jouissif !L’étrange destin de Wangrin de Hampaté Ba. Pour moi c’est aussi nécessaire de l’avoir lu que de connaitre l’histoire des quatre mousquetaires de Dumas ou Hamlet de ShakespeareLe portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde que je cite surtout pour la préface. Magnifique. J’y ai pioché mon slogan « To reavel art and conceal the artist is the art’s aime »Icone urbaine que je lis en ce moment, de Lauren Ekué. Ça ressemble un peu à du « sex and the city » raconté par une afro-européenne. Je découvre.    

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