Jean VeberQu'il suscite, dans une arabesque alerte et railleuse, la frise mouvementée des grotesques actuels, hommes du jour, cabotins, maîtres et valets littéraires, ou que fatigué d'eux et dompté par une fantaisie plus ardente il dépasse ce monde et s'enfonce aux ombres du rêve et du cauchemar pour y évoquer des gnomes plus divinement difformes, toujours, se révèle intensément expressif et français. Jean Veber, dont la face maigre et creuse, aux yeux brûlés de rêverie et d'acide ironie, retient une amertume au pli rieur des coins de lèvres. Pâle, pensif et non sans quelque égarement élégant, il m'apparaît comme un de ses masques lui-même, railleusement penché sur un siècle en dérive ; et sur la mascarade bigarrée qu'il cerne et définit par le japonisme simple et sûr de son trait, descendant des crépuscules désespérés et tragiques dont la lumière sulfureuse hallucine son œil en blêmissant son teint de prometteur lunaire. Outre qu'en ce tumulte il reteint la plus bouffonne et cinglante iconographie de la suffisance moderne, ce sceptique est un tendre, et rêve et souffre aussi : l'homme des foules, évoqué par Edgar Poë, dut être ainsi, jeune homme. En vain regarde-t-il avec l'acuité du caricaturiste les foules qu'il transcrit dans ses journaux ou albums, encadrant les textes délicatement frondeurs de son frère par d'innombrables croquis incisifs et légers : son âme se refuse à croire à leur réalité entière, et les mêle déjà au monde chimérique de nains et de lutins qu'elle désire, et où elle est constamment prête à entrer de plain-pied sans savoir qu'elle a quitté celui-ci. Là, parmi les forêts où meurt la magnificence d'un soleil de féerie, l'imagination de Jean Veber se complaît à grouper des farfadets et des monstres selon l'horreur pittoresque où les songea l'enfance, afin que soudainement les subjugue le geste pur de quelque princesse aux paons, tremblante ou amusée sous les velours brodés et la couronne d'or. La laideur et la rage, notées dans la vraie vie par l'artiste attristé, deviennent ici fantastiques, et atténuées par l'atmosphère même du conte de fées, comme ces bons dragons formidables qui devront toujours être vaincus à l'issue de la légende, au point que la flamme terrible qu'ils vomissent soit tout au plus le feu de Bengale propre à faire plus noblement scintiller les pierreries de la captive ou l'armure du héros. Aussi Jean Veber diapre de tons chatoyants et précieux des paysages enchantés où s'alternent les héroïnes et les monstres. Qu'il promène son âme charmante et changeante de Thaïs (1) à Cendrillon (2), de la Cité dormante (3) à l'Homme aux poupées (4), aux tristes villes où les estropiés se battent pour une pièce d'or, où luttent sauvagement des femmes nues et monstrueuses, qu'il soit ému, violent, baroque ou souriant, c'est avant tout ma joie de retrouver en ses toiles décoratives, d'un métier sérieux et d'une harmonie heureuse, la rêverie lyrique de Perrault et celle du cher et délicieux Théodore de Banville : ce jeune homme va au devant de leurs ombres légères et connaît leurs sylphes familiers.Extrait de La Chronique des Livres, "Quatre médaillons d'artistes", N° 6 du 10 septembre 1900.Camille Mauclair.
(1) La page de titre de Thaïs est illustrée en lithographie couleur et or par Jean Veber : Comédie Lyrique en 3 Actes et 7 tableaux, de Jules Massenet, livret de Louis-Marie Gallet, d'après le roman d'Anatole France. Heugel & Cie, 1894. (voir illustration)
(2) Cendrillon : Opéra en 4 actes de Jules Massenet livret d'Henri Cain, (Opéra-Comique, 1899), je n'ai pas trouvé d'illustration correspondantes à cette oeuvre, pourtant Jean Veber, est l'auteur d'une série de peintures inspirées des contes de fées, qui lui furent commandées par Edmond Rostand pour sa propriété de Cambo (cf Corinne Van-Eeck, Contes et fables dans les livrets de salon, Romantisme, 1992, N° 78). La B.N.F. possède une série d'illustrations intitulée Conte de Fée, sans origine. Il exposa au Salon de 1894 un tableau intitulé Conte de Fée, une scène fantastique « une fée attrapant un dragon avec une sorte de hameçon » (cf Corinne Van-Eeck).
(3) La Cité dormante nouvelle de Marcel Schwob, parue dans le Roi au masque d'or. Jean Veber est l'auteur de l'illustration de couverture de Mimes du même Schwob, mais je n'ai pas trouvé d'illustration pour La Cité Dormante.
(4) Jean-Louis Renaud [Louis Janot et Louis Lacroix]: L'homme aux poupées. dessins de Jean Veber. H. Floury, [ca 1899]. Réédition : Ludd, 1988, avec une préface de Sylvain Goudemare.
Illustrations de Jean Veber extraites de Contes des Dix mille et deux nuits par Félix Duquesnel. Flammarion, s.d.
Jean Veber sur Livrenblog : Coup de Filet par Les Veber's et compte-rendu de Willy pour Les Veber's. Les Veber : Joviale Comédie. X... Roman impromptu (à dix mains). Les Veber's par Jules Renard. L'Armoire aux poètes vidés. Jean Veber et Félix Duquesnel.