"Et tout cela est à l'intérieur de moi."

Cl.I. Rambaud, Plaque émaillée, Japon (Musée du septennat,Château-Chinon)
Le terme de patrimoine est si bien associé aux biens matériels et surtout aux produits financiers que cette notion ressort prioritairement à toute interrogation faite sur les moteurs de recherches : conseils en placement, investissements en bourse, réduction d'impôts et autres expertises fiscales y fleurissent comme cerisiers au Japon.Ma comparaison n'est pas gratuite, vous allez voir. Je viens de terminer le très extraordinaire roman de Haruki Murakami "Kafka sur le rivage" (Belfond 2005), contre-indiqué aux esprits rationnels, aux comptables de la vie, aux traders acharnés... ou au contraire très indiqué en traitement de choc !L'auteur nous fascine avec des héros hors normes, en particulier un jeune homme en fugue et un vieillard illettré, doué d'un don merveilleux puisqu'il parle aux chats et aux pierres.La bibliothèque "privée commémorative Komura" est au centre du livre avec sa porte ancienne, son jardin bien entretenu, ses livres précieux. Un havre pour l'imaginaire et ses délires. C'est là que se déroule le dialogue suivant :" Qu'est-ce que c'est, un "type qui a un patrimoine important " ?- Un homme riche, quoi.- Mais quelle est la différence entre un homme riche et un homme qui un patrimoine important ?Hoshino inclina un peu la tête.- La différence ? Euh, moi non plus, je ne sais pas trop, mais il me semble que le type qui a du patrimoine est plus cultivé que le richard ordinaire.- "Cultivé" ?- Il suffit d'avoir de l'argent pour être riche, d'accord ? Même toi et moi, si on avait de la thune, on serait riches. Mais on aurait pas un patrimoine important pour autant, tu vois ? ça prend un peu plus de temps."La simplicité de cet échange ouvre des horizons sur le rapport ancestral entre le patrimoine, la culture et l'argent et sous-entend que le patrimoine authentique ne peut se réduire à de l'argent, si grande en serait la quantité. Par déduction, le patrimoine qui fait l'homme cultivé et le différencie du "richard" qui accumule les espèces sonnantes et trébuchantes (aujourd'hui très trébuchantes), c'est une recherche de biens qui apportent par eux-mêmes autre chose que des zéros cumulés : livres, tableaux, oeuvres d'art, monuments historiques... voire biens plus immatériels encore, d'ordre spirituel ou imaginaire. Quelque chose aussi qui se bâtit dans la durée. Il n'est pas innocent que dans ce roman le jeune homme soit en rupture avec son père et cherche par lui-même à se construire, d'abord en s'isolant puis en rejoignant les autres. Son chemin initiaque lui fait combattre ce qu'il croit être la malédiction paternelle et qui n'est que sa culture personnelle. Patrimoine, paternité, héritage, durée.
Tout le roman est une métaphore sur la culture et sa transmission. Avec de belles estampes poétiques comme celle-ci : "Je me lève, je vais à la fenêtre et regarde le ciel.Et je pense au temps qui ne reviendra pas. Je pense aux rivières, aux marées. Je pense aux forêts et aux sources. A la pluie et aux éclairs. Aux rochers. Aux ombres.Et tout cela est à l'intérieur de moi."
Comme un homme "qui a un patrimoine important". Le Japon est-il un pays si différent du nôtre ?
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