Bruit des langues mourantes
À propos de :
Jérôme Lhuillier : En cette grande
époque (Flammarion, 2008)
Ce livre intitulé En
cette grande époque n’a pas été lu. Il est paru il y a deux ans. Je ne l’ai
ouvert moi-même que récemment.
Il fait désormais partie de ma bibliothèque, sur l’étagère des incontournables
Auxeméry
Certaines
évidences de l’esprit se perdent, et si l’on n’y prend garde, disparaissent
sitôt nées, dans le grand gouffre de la distraction et de l’oubli – la
dramatique partition que joue l’esprit, précisément, avec le temps, avec la vie
& avec la mort de tout ; certaines œuvres, toutes sans doute, mais
certaines plus que d’autres, car plus évidentes que le tout-venant, sont
obscurcies par cet autre jeu, celui de l’offre à foison, et de la demande sans
autre raison que le désir de combler du vide par de la substance comestible,
bref, par le jeu vicieux du marché comme il va – de travers, depuis toujours,
mais affecté d’un exposant très précis de décomposition rapide, désormais :
le marché des biens de consommation est définitivement, on le voit bien dès
qu’on fréquente d’un jour sur l’autre les vitrines en passant, l’antichambre de
la poubelle universelle ; les égouts du ciel morne de l’époque sont
alimentés par la nécessité incessante de passer à autre chose, avant même
d’avoir, pas même épuisé ce qui fleurit, mais goûté à ce qui naît. Glissade
instantanée vers la pourriture, vers le rebut, vers l’inane, et le dégradé.
Permanence de l’impermanent, royauté du déchet. Ersatz à tous les étages :
devise fiérote de l’ère du naufrage, où toute signification en devenir se voit
intimée d’obéir à l’objurgation : « Brille et flambe à l’instant –
dans l’absurde potlatch universel où se tarit toute volonté de saine survie, ou
bien crève – à l’instant –, crevure que tu es, d’avance. ».
Un ouvrage de l’esprit est donc, en notre grande époque de bruyant néant en
instance de réalisation, un objet de consommation dont la durée de vie visible
touche à peu près instantanément à la date de péremption, et pour peu que
personne n’ait eu le courage de se dessiller les yeux durant la brève saison où
le marché a consenti à roter cette parcelle de sens, de regarder avec un peu de
précision tel ouvrage où ce sens est venu déposer, l’affaire est entendue. La
comète est passée, et va s’enfouir dans le firmament indistinct des gloires et
des nullités, des objets transitoires brillants ou caducs. Noir intense, ce
firmament, sans plus de possibilité de redonner le coup de talon qui sauve,
quand le fond est atteint. Et le cours des choses se poursuit. Le rien murmure
son chuchotis d’œuvres percluses de rhumatismes neuronaux : sitôt pondues
sitôt portées aux nues, sitôt flasques & intégrées à la vase du lit des
océans sidéraux. Il y a donc ainsi, me dit-on, comme il y a un marché de
l’automobile ou du portable, un « marché de la poésie », en
effet : la dictature du message à ingestion et déjection rapides a réussi
à faire que cela soit, aussi… ! J’avoue que je suis assez loin de ces
étals, personnellement. Mais sans aucun doute ai-je très tort, n’est-ce pas.
par Auxeméry
Pour lire l'intégralité de l'article, cliquer ici pour ouvrir le document PDF