Que la bête meure ( 1969 ), l'un des grands Chabrol avec La femme infidèle et Le boucher, est l'adaptation d'un roman policier de Nicholas Blake par le scénariste complice du metteur en scène, Paul Gegauff. Le cinéaste en profite pour se livrer à quelques exercices hitchcockiens, mais très vite trace son trait d'une cruauté rare et développe une atmosphère très chabrolienne. L'histoire est la suivante : sur la place d'un village breton, un petit garçon, qui s'en revient de la pêche à la crevette, se fait renverser et tuer par un automobiliste qui, pris de panique, s'enfuit. Le père de la victime jure de se venger et de retrouver le chauffard. Dès lors, Charles Thénier ne vit plus que dans l'espoir de recueillir les indices nécessaires qui le conduiront jusqu'à l'homme qu'il entend abattre sans pitié. Le hasard aidant, il découvre une piste, et va s'approcher de Paul Decourt à pas de loup, d'abord en séduisant Hélène sa compagne, puis en entrant peu à peu au sein de la famille, savourant le plaisir qu'il aura bientôt à anéantir le monstre. Car Paul est selon lui un monstre abominable : un jouisseur, un profiteur, imbu de sa personne, implacable dans ses jugements, cynique dans ses propos, sachant tirer profit de cette société de consommation où il s'ébroue à l'aise. D'ailleurs ses attitudes ont fini par lui valoir la haine de son propre fils Philippe, qui le déteste en silence et va, bien entendu, faire de Charles son ami.
Interprété par un Jean Yanne fantastique ( comme il le sera dans Le boucher), Paul, garagiste de Quimper, est filmé par la caméra de Chabrol comme un insecte malfaisant qu'il étudie à la loupe ( un peu grossissante, il est vrai ), tellement le cinéaste semble fasciné par cet individu sinistre ; il en surprend les conversations qui trahissent les sentiments les plus vulgaires et en souligne les attitudes qui transpirent l'auto-suffisance la plus médiocre. Or le portrait de cet individu méprisable a curieusement pour toile de fond la douceur des paysages de la Dordogne que baigne une lumière dorée et où se trouvent les grottes sur les parois desquelles figurent les signes d'une préhistoire encore mystérieuse. Le choix de ces lieux n'est pas un hasard, mais bien la volonté du cinéaste qui semble chercher, jusque dans les profondeurs de la terre, l'explication d'une humanité aussi rustre et primitive. Car, malgré les apparences, il y a dans chaque être de bien étranges zones d'ombre, où les malheurs du plein jour peuvent se tapir, avant de surgir à nouveau lors d'un événement imprévisible. A partir de ce thème, Chabrol emprunte à Hitchcock certains mouvements de caméra, ainsi qu'une manière d'insinuer la peur sous les cieux les plus cléments. L'art de peindre les vallons verdoyants ou le calme des sous-bois selon Mais, qui a tué Harry ?
Avec cette oeuvre cruelle et poignante, Chabrol confirme la maîtrise de son art au service d'un narratif incisif et précis et pose, à la manière de Fritz Lang, à qui il est fait référence, une interrogation provocante et anxieuse sur la culpabilité.
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