Les conseils du Pr Mihalyi Csikszentmihalyi
Qu’il s’agisse de s’exprimer dans une discipline artistique, une profession, un nouveau mode de relation ou une façon de vivre, chacun de nous a potentiellement l’énergie psychique nécessaire pour mener une existence créative. Mais, selon le professeur Csikszentmihalyi, vétéran du département psychologique de l’université de Chicago, quatre obstacles classiques bloquent souvent ce potentiel :
1°) Trop de travail, de charges, de responsabilités, de soucis peuvent nous épuiser et nous mettre en manque d’énergie créatrice ;
2°) Nous pouvons avoir du mal à nous concentrer et à canaliser cette énergie ;
3°) La paresse, l’esprit de procrastination, l’absence de discipline peuvent dilapider notre élan ;
4°) Enfin notre motivation et nos objectifs peuvent s’avérer trop flous pour conduire une création à terme.
Ces obstacles peuvent être levés progressivement en quatre étapes :
1. Réveillez votre curiosité
• Le premier pas vers un réveil de la créativité consiste à cultiver volontairement votre curiosité, c’est-à-dire à consacrer de l’attention aux choses pour elles-mêmes. Chaque jour, laissez-vous surprendre par quelque chose. Ne partez pas du principe que vous savez déjà tout de cette chose ou qu’elle ne vous intéresse pas de toute façon. Ouvrez « les yeux qui sont dans vos yeux », comme dit le Talmud. Soyez ouvert à ce que vous dit le monde.
• Inversement, chaque jour, essayez de surprendre une personne au moins. Rendez-vous compte de vos routines. Elles peuvent être excellentes, pour économiser votre énergie. Mais elles vous rendent prévisible. Amusez-vous à rompre avec telle ou telle habitude. Par exemple, invitez quelqu’un à sortir dans un endroit où vous n’êtes jamais allé. Ou changez d’apparence.
• Ensuite, notez chaque jour par écrit ce qui vous a le plus surpris et comment vous avez surpris les autres. Plus tard, vous pourrez relire la suite de vos surprises et cela vous fera réfléchir. Prendre des notes rend l’existence moins fugitive. Au bout de quelque temps, vous pouvez voir apparaître des constantes dans vos intérêts, signalant des directions créatives possibles.
• Dès qu’une direction se dégage (l’éveil d’un réel intérêt), poussez plus loin. Est-ce une idée, une musique, une technique, un animal ? Ne dites pas que vous n’êtes ni penseur, ni musicien, ni ingénieur, ni zoologue ! Le monde entier vous concerne et nous sommes là pour apprendre, enquêter, inventer.
2. Érotisez vos activités
• Il ne s’agit pas de sexe, mais d’un plaisir beaucoup plus général et diffus. Il faut apprendre à aimer ce que l’on fait. Si possible tout ce que l’on fait. Vous pensez que c’est impossible ? L’une des clés de cette étape est de s’appliquer à bien faire tout ce que l’on fait. Que vous écriviez un poème ou fassiez le ménage, prépariez le repas ou appreniez une langue étrangère, plus vous y investissez d’effort, d’attention, de concentration, plus vous en tirerez de plaisir. Inversement, plus vous bâclez, négligez, pensez à autre chose et abandonnez devant l’effort, plus l’ennui vous envahira.
• Dans une logique proche du « changement à petits pas » de Robert Maurer, le Pr Csikszentmihalyi conseille de s’entraîner d’abord avec des gestes quotidiens les plus anodins, comme de se brosser parfaitement les dents (sic), puis de monter progressivement en complexité. Sinon l’ennui revient vite. Mais dès que l’intérêt et la passion entrent dans votre vie, le moindre domaine - du jardinage à la philosophie, de la menuiserie à l’approfondissement des relations intimes - devient si complexe qu’une vie entière ne suffirait pas à en faire le tour.
• Précisez ce que vous aimez et ce que vous détestez. Beaucoup de gens ignorent au fond ce qu’ils ressentent et pourquoi ils font ce qu’ils font. La personne créative vit en contact direct avec ses émotions ; elle s’en va vite si elle s’ennuie et s’investit intensément si elle apprécie la situation.
3. Cultivez vos germes de créativité
• Une fois l’énergie créative réveillée, il faut la protéger et la canaliser, sinon, distraction et négligence l’éroderont. Paradoxalement, l’une des façons de le faire peut être de s’accorder des zones de paresse. Einstein portait toujours le même vieux pantalon, se facilitant la vie au maximum sur le plan vestimentaire. Cela vous semble contradictoire avec la lutte contre les routines ? C’est qu’on franchit là une étape, où la concentration et l’attention consistent à abandonner tout contrôle. De la même façon, celui qui pratique la méditation élargit ses frontières en cessant de diriger ses pensées et en tentant de se fondre dans l’énergie qui sous-tend le monde des apparences.
• Prenez votre emploi du temps en main, si possible en fonction de vos propres rythmes. Il est temps de vous demander à quel moment vous préférez réellement manger, dormir, travailler, etc. Manger et dormir sainement compte beaucoup.
• Aménagez-vous des temps de non-agir. N’ayez pas peur de rester inoccupé à certains moments. Une agitation constante ne favorise pas la créativité. Observez régulièrement des pauses, pour faire un bilan et surtout pour laisser de nouvelles idées spontanément émerger. Trouvez aussi quel type d’activité tranquille (marche, jardinage, broderie, bricolage...) peut accompagner ces émergences.
• Organisez votre espace. Si vous le pouvez, il est évidemment préférable de vivre et de travailler dans un endroit où vous vous sentez bien. À l’intérieur même de votre lieu de vie, découvrez quel type d’aménagement et de rangement favorisent votre créativité.
4. Intériorisez vos structures créatrices
• Selon le Pr Csikszentmihaly, la créativité jaillir de façon préférentielle chez les gens dont le caractère est composite, ambivalent, voire contradictoire. Les chercheurs de l’université de Chicago ont relevé au moins dix sortes de contradictions fécondes. La personnalité créative est par exemple : extravertie et timide, ou orgueilleuse et modeste, lucide et naïve, masculine et féminine, forte et fragile, casanière et nomade, ordonnée et désordonnée... Il convient d’apprivoiser ces balancements en nous-mêmes, et surtout d’aider enfants et adolescents à les vivre - et les accepter tels !
• Progressez dans la complexité, sans confondre celle-ci avec la complication : la première est intégrée, c’est-à-dire vécue intérieurement, alors que la seconde est un collage chaotique qui reste extérieur à vous-même. Ici, pas de raccourci : seule une pratique régulière, existentielle, souvent longue, permet l’intégration.
• Enfin redéfinissez votre quête à intervalles réguliers....