Paul Giamatti aime les projets un peu fous. Rien d’étonnant à ce qu’il ait accepté de jouer dans Âmes en stock le premier film de Sophie Barthes, un film d’anticipation assez original qui part du postulat que la science sait désormais séparer l’âme du corps et qu’une clinique privée propose à des clients atteints de euh… vague-à-l’âme une ablation temporaire et un stockage de “l’organe” dans des coffres spéciaux…
Paul Giamatti aime aussi les rôles torturés. Et il a certainement dû s’amuser énormément à incarner… Paul Giamatti!
Dans le film, l’acteur s’apprête à jouer sur scène l’Oncle Vania de Tchekhov. Mais les répétitions n’avancent pas. L’homme se fait peu à peu envahir par le rôle, se laisse gagner par la noirceur du personnage. Il se pose des questions sur sa vie, sur son âge, son avenir et se sent sombrer dans la dépression. Alors quand son agent lui parle du programme “Soul Storage”, qui lui propose de l’alléger de son âme pour quelques semaines, le temps qu’il puisse faire son travail correctement, il finit par se laisser tenter.
L’opération est un succès, mais Paul n’est pas forcément plus satisfait : non seulement son âme ressemble à un poids chiche, mais en plus il découvre que s’il n’a plus d’idées noires et de mal-être existentiel, il est aussi complètement vide, apathique, incapable de jouer les émotions les plus élémentaires. Du coup, s’il arrive à jouer “Oncle Vania”, c’est pour en proposer une version disons peu orthodoxe…
Mais son médecin a bien une solution à lui proposer. Puisque pour jouer Tchekhov, il faut s’imprégner de la fameuse “âme russe”, on peut lui prêter une authentique âme de poète russe. La clinique participe en effet à une sorte de trafic avec un industriel de Saint-Petersbourg, qui achète leur âme à des pauvres gens pour les envoyer aux Etats-Unis par l’intermédiaire de femmes qui servent de “mules”. Et cela fonctionne : il joue Vania avec une intensité rare ! Mais l’âme qu’il porte en lui est tellement forte que son organisme la rejette et qu’il passe ses nuits hors de son domicile, à traîner son spleen… Ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes…
Il veut alors récupérer son âme, tant pis… Malheureusement, elle a disparu ! Pour la récupérer Paul va devoir aller jusqu’en Russie…
L’acteur, aussi torturé que l’Harvey Pekar qu’il incarnait dans American splendor, est pour beaucoup dans la réussite de ce film assez original. Mais il n’est pas la seule source de satisfaction. Il y a le plaisir de retrouver deux actrices et un acteur magnifiques, trop rares sur les écrans : Emily Watson (il est vrai, cantonnée ici à un rôle très secondaire), Dina Korzun (jadis remarquée dans le très bon Forty Shades of blue) et David Strathairn dans un rôle de médecin spécialiste de l’âme.
Et celui de découvrir une nouvelle réalisatrice, au style déjà mature, qui réussit à entremêler délicatement ses différents genres sans jamais altérer la profondeur du sujet et confère à son film un ton très particulier, plein d’humour et empreint d’une certaine mélancolie. On pense souvent à Brad Anderson, l’un des anciens chefs de file du cinéma indépendant américain, et à ses Happy accidents, à Charlie Kaufman et ses mise en abîme vertigineuses et à Woody Allen (1), pour le côté très new-yorkais/névrosé du film.
L’air de rien, le film est une belle réflexion sur le métier d’acteur, sur la capacité d’un comédien à insuffler une âme à son personnage et sur la façon dont, en retour, le personnage vient vampiriser sa propre personnalité. C’est aussi un film qui aborde de grandes questions existentielles, en s’appuyant notamment sur les théories de Carl Jung (2), et qui laisse une certaine liberté d’interprétation – théologique, rationnelle ou métaphysique du film et de son dénouement.
Enfin, Âmes en stock distille aussi un message subtil sur la société marchande ultra-libérale : dans un monde où tout se vend et tout s’achète, si on était capable d’extraire les âmes des corps, celles-ci seraient traitées comme de “simples” organes ou de vulgaires marchandises, privatisées ou objets de divers trafics… Pas de quoi se réjouir… Surtout vu du côté des plus démunis, qui seraient prêts à tout pour gagner une petite poignée de dollars… Mais cela vaut-il la peine de vendre son âme?
Evidemment, puisqu’il s’agit d’une première réalisation et d’un budget assez modeste, le film n’est pas exempt de défauts. On pourrait lui reprocher quelques longueurs, un déséquilibre dans le traitement des divers personnages et une partie russe un peu moins rigoureuse que le reste de l’oeuvre – l’entrepreneur russe un brin mafieux et sa bimbo d’épouse sont assez grotesques.
Mais ceci n’empêche nullement de prendre du plaisir à la vision d’Âmes en stock, petit film qui possède justement bien plus d’âme que bien des productions américaines contemporaines. Et cela donne envie de découvrir bien vite la suite de la carrière de Sophie Barthes, réalisatrice prometteuse…
(1) : Le scénario a été inspiré d’un rêve de Sophie Barthes, dans lequel elle imaginait un Woody Allen découvrant horrifié que son âme était devenu un pois chiche… Oui, il y en a qui ont des rêves bizarres…
(2) : C’est justement après avoir lu un livre de Carl Jung (“L’homme à la découverte de son âme” – éd. Albin Michel) que la cinéaste a fait ce rêve étrange et pénétrant…
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Âmes en stock
Cold souls
Réalisateur : Sophie Barthes
Avec : Paul Giamatti, Dina Korzun, Emily Watson, David Strathairn, Kathryn Winnick, Boris Kievsky
Origine : Etats-Unis, France
Genre : âme russe pour névrosé new-yorkais
Durée : 1h41
Date de sortie France : 05/05/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Rob Gordon
(N.B. : j’ai mis l’affiche américaine du film, car elle est plus jolie que la française, une fois n’est pas coutume…)
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