"Fermer le livre n'est pas moins émouvant que de l'ouvrir." (p. 45)
A l'instar du marin qui aime se perdre dans l'immensité des océans, le bibliothécaire recherche l'îvresse de vivre parmi des milliers de livres, partagé entre l'orgueil de l'expertise de son conseil pour en avoir lu beaucoup et la modestie de savoir qu'il ne pourra jamais lire tous les livres. Pensez donc ! On peut estimer que chaque année plus d'un million de nouveaux livres sont publiés à travers le monde !
"Le bibliothécaire ne peut pas ignorer cette disproportion. Non seulement il la voit, mais il la vit quotidiennement. Ce flot incessant du savoir publié, il l'affronte avec courage, l'empoigne, se collette avec lui ; il l'endigue, il le détourne, il le canalise, il le filtre pour distribuer au lecteur assoiffé un savoir potable." (p. 6)
Considérées comme étant des concurrentes déloyales car mettant à disposition les livres sans engendrer pour les éditeurs de chiffres d'affaires, les bibliothèques ne se ressemblent pas à travers le monde. Alors qu'en France elles se distinguent par leur politique d'animation culturelle, elles proposent dans les pays anglosaxons de nombreux services palliant à l'insuffisance de nombreuses administrations, en particulier dans le social. La bibliothèque privée, elle, "dès qu'elle excède les besoins de son propriétaire, est un signe ostentatoire de richesse spirituelle ou de réussite sociale." (p. 7)
Car "la tâche ordinaire du bibliothécaire n'est (...) pas d'accumuler les livres, tous les livres, mais bien de les choisir et d'assumer ce choix. La collection qu'il compose est un savant compromis entre ce qu'il croit que lui demanderont ses lecteurs et ce qu'il croit devoir leur proposer (...)" (p. 13)
Modeste, curieux, ordonné, le bibliothécaire a une sagesse inhérente à sa fonction, l'incitant à ne pas faire l'acquisition de Suicide. Mode d'emploi mais des Versets sataniques, quitte à ne pas être à l'abri d'éventuelles représailles !
Pour classer ses livres, il lui faut aussi choisir dans quelle tranche du savoir il va placer tel livre. Cruel dilemme en général !
Démocratiques, les bibliothèques sont tolérantes en se refusant au maximum à la censure, laissant une diversité d'opinions s'exprimer. Elles ne survivent pas aux dictatures...
Alors, le bibliothécaire est-il une espèce en voie de disparition ? Sera-t-il noyé par le flot de livres ou par une Babel virtuelle ne nécessitant plus d'espace physique ?
Politique d'acquisition, indexation systématique, désherbage, logique de conservation ou logique de communication, différenciation entre les bibliothèques à travers le monde, entre bibliothèque municipale et centre de documentation et d'information, entre le libre arbitre du citoyen anonyme et l'obligation scolaire, aberrations architecturales (la bibliothèque nationale de France) symptomatiques d'une totale méconnaissance en bibliothéconomie, tout y est, ou presque.
Et s'il est vrai que peu connaissent les bibliothécaires qui ont marqué l'évolution de leur profession (Callimaque, Gabriel Naudé, Antonio Panizzi, Eugène Morel, l'Américain Melvil Dewey, l'Indien Shiyali Ramanrita Ranganathan, le Belge Paul Otlet,) nous connaissons bon nombre d'écrivains qui embrassèrent cette carrière par amour des livres :
Georges Bataille à Orléans, Anatole France au Sénat, Leibniz, Lessing, Goethe, et surtout Jorge-Luis Borges,
directeur de la Bibliothèque nationale d'Argentine... aveugle.
MELOT, Michel. - La sagesse du bibliothécaire. - Paris : L'oeil neuf éditions, 2004. - 109 p.. - (Sagesse d'un métier). - ISBN 978-2-915543-03-2 : 12 euros.