Avec la volonté de définitivement clôturer l'évocation des reliefs exposés dans la vitrine 2 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre devant laquelle nous devisons, vous et moi amis lecteurs, depuis le 23 février déjà, j'aimerais aujourd'hui aborder les deux derniers d'entre eux.
A droite de E 11 247 A que nous avons admiré mardi dernier, voici N 1567, un petit bas-relief de 9 cm de haut pour 15 de large dans sa partie supérieure, et 2 cm à peine de profondeur.
D'où provient-il ?
"Trois mulets - (mugil cephalus) - datant de l'Ancien Empire", indique simplement le cartel accompagnant cette pièce de calcaire, sans autre précision d'origine.
Le mulet fut - et apparemment, d'après bon nombre d'ouvrages consacrés à la cuisine du sud, reste - un des poissons les plus prisés pour sa chair, non seulement des Egyptiens, mais aussi des Phéniciens, et plus tard des Grecs et des Romains.
Extrêmement répandu en Méditerranée, l'animal présentait déjà à l'Antiquité la particularité de remonter le Nil jusqu'à Assouan, de sorte que les pêcheurs pouvaient tout à la fois le trouver dans les eaux saumâtres et vaseuses des marais, notamment ceux du Delta, mais aussi dans celles plus douces des rivières.
Pêché à la saison du frai, ce poisson gras reçut, au cours des âges et des civilisations plusieurs noms, dont les plus connus restent "muge", "capito" à cause de sa grosse tête ou "bouri", dénomination d'origine arabe.
De nos jours, - et ici je m'adresse en premier à mes lectrices très certainement bien plus au fait que moi des spécialités culinaires que, personnellement, je me contente d'apprécier sans en connaître toujours l'origine -, la muge est très recherchée pour ses oeufs, que les gourmets nomment "caviar de la Méditerranée" : en effet, préparée à partir des poches d'ovaires, la "boutargue" (ou "poutargue", plus particulièrement dans les restaurants provençaux) constitue apparemment un mets extrêmement délicat que l'on rencontre en Egypte, bien évidemment, mais aussi en Tunisie et, sur l'autre rive, dans la gastronomie du sud de la France.
Il semblerait toutefois, d'après certains historiens qui veulent prouver de la sorte que la recette était déjà connue des Anciens, que des représentations de mulets éventrés étalés sur le sol dont on extrayait les ovaires en vue donc de préparer la boutargue figurent dans quelques tombes, par exemple dans le célèbre mastaba de Ti, sur la partie gauche de la paroi nord, au registre 4.
Parmi d'autres, l'égyptologue d'origine allemande Louis
Keimer (1893-1957) a voulu voir dans des bas-reliefs semblables à celui dessiné ci-dessus (que l'on peut retrouver chez l'excellent OsirisNet), la réprésentation des ovaires dans les masses oblongues agencées le plus souvent deux par deux entre les poissons éventrés en vue
d'être séchés. Deux hommes assis sont d'ailleurs en train d'inciser au niveau du dos ceux qui, au retour de la pêche, leur ont été amenés dans les paniers que l'on aperçoit au registre inférieur, en réalité disposés à leurs côtés.
Pour celles et ceux qui désireraient en savoir plus, notamment en découvrant des recettes à base de ces oeufs de muge : ce site entièrement consacré à la boutargue.
Mais comme il n'est point encore l'heure d'aller dîner, je vous propose, plus prosaïquement, amis lecteurs, de revenir à notre vitrine 2 et à l'ultime relief sur lequel j'aimerais à présent attirer votre attention.
Arimé sur le mur du fond, ce dernier fragment de calcaire (E 17459), de 25 cm de haut et 35 de long, datant de la XXVème dynastie, nous intéressera non pas en fonction du sujet représenté, mais bien de la façon dont il a été réalisé : c'est la raison pour laquelle, alors que tout logiquement c'est par lui que j'aurais dû aujourd'hui commencer mon intervention, je l'ai gardé - sans mauvais jeu de mots par rapport à la boutargue -, pour la bonne bouche.
Son sujet, nous le connaissons maintenant pour l'avoir déjà rencontré : il s'agit d'un homme, - ou plutôt de deux, puisque sont visibles, sur la droite, là où la cassure nous empêche de découvrir son corps complet, le pied et une partie de la jambe d'un deuxième qui participe lui aussi au halage d'un filet.
Peut-être s'agit-il d'un filet hexagonal servant à capturer des volatiles aquatiques ; peut-être la scène se passe-t-elle dans le Delta occidental, sur les rives du lac Menzaleh que nous avons fréquenté précédemment. Peut-être aussi, sur les bords du même lac, sont-ce de simples pêcheurs de Basse Epoque qui, comme encore actuellement, s'apprêtent à ressortir de l'eau une abondante provende de mulets ...
Nul ne le saura probablement jamais.
Mais, vous l'aurez compris, ce n'est pas vraiment ce qu'il représente qui m'importe ou, plutôt, ce que l'on ne voit pas : ce qui, à mes yeux, caractérise ici bien d'avantage ce fragment réside dans le fait que parmi tous ceux que nous avons rencontrés, il soit le seul non gravé en relief mais, - et vous l'aurez évidemment tout de suite remarqué -, en creux.
Cette pièce me donnera en fait l'opportunité de reprendre pour vous une notion que, dans un vieil article de 2008, j'avais déjà traitée, et de l'étoffer quelque peu.
A mardi, donc, pour une nouvelle page de notre série
"Décodage de l'image" qui sera cette fois consacrée à la technique du relief dans le creux.
(Peters-Destéract :
2005, 267-71)