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Jury de grande école

Publié le 19 mai 2010 par Argoul

Il m’est arrivé d’être juré d’admission d’une grande école. L’expérience humaine est passionnante car les étudiants se mettent en scène, préparés à cela, tout en livrant au fond ce qu’ils sont malgré eux par tous leurs pores. Contrairement aux idées reçues, les jurés ne sont pas des censeurs. Ils ne jugent pas les gens, ils estiment seulement leur capacité à intégrer l’école et à y réussir. C’est donc parfois un service à leur rendre que de mettre aux candidats une mauvaise note : cela signifie qu’ils ne sont pas faits pour ça mais pour autre chose.

Le jury est composé de deux ou trois examinateurs, toujours un professeur de l’école et souvent un professionnel extérieur. La confrontation des points de vue est plus juste que le simple examen scolaire, même si ce ne sont pas les connaissances qui sont évaluées (elles ont fait l’objet du concours écrit), mais le tempérament. Le professionnel en entreprise, habitué à embaucher et à former les jeunes entrants, a un autre œil que le professeur. Il s’intéresse plus que lui au concret, aux actions et à l’envie de faire, moins aux idées générales et au projet bien bûché. Les deux regards sont complémentaires. La notation va de A à E, sachant qu’il est très rare de mettre un E (l’écrit a écrémé) et plutôt rare de mettre un A (candidat que l’on veut voir entrer absolument). Un B vaut admission tandis qu’un C vaut débat, en fonction des places qui restent et des précisions apportées à la note par le commentaire.

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Que faut-il pour être réputé bon candidat en grande école ?

Tout d’abord remplir soigneusement son dossier de présentation. Eviter les phrases du type « je ne sais pas ce que je veux faire » ou « néant » dans les activités extra-scolaires ou citoyennes. Il n’est nullement interdit de ne pas en avoir, mais l’existence de la rubrique exige de dire pourquoi. L’important n’est pas tant la liste des hobbies et activités que l’intérêt pris à chacune et les enseignements que l’on a su en tirer. Ainsi, la fille qui pratiqué la danse depuis l’âge de sept ans saura dire la discipline que cela a représenté pour elle, la détente mentale de mouvoir régulièrement ses muscles, le travail avec les autres pour un spectacle. Même chose pour le garçon au judo, au foot ou autres. Certains sports, fort prisés, sont aussi très individualistes, tels le ski, le tennis ou le surf – attention alors de préciser sa pratique (en bande ? en donnant des cours ? juste pour le plaisir de se détendre ? comme méditation ?), afin que l’examinateur n’ait pas l’impression d’avoir un égocentré en face de lui. Si l’on est moyen dans une langue (l’anglais étant impératif), prendre l’initiative de dire ce qu’on compte faire pour y remédier (voyage dans un pays ? immersion linguistique ? stage spécialisé ? méthode interactive sur ordinateur ?).

Ensuite présenter la cohérence du parcours. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises activités, ni de fatalité dans une langue mal apprise, il y a surtout les leçons tirées. Tel est le principal du jugement qui sera fait. Un exemple : un candidat beau gosse, parlant clairement et disant son attrait pour le théâtre, s’est trouvé déstabilisé par une question toute simple – pourtant évidente d’après la pente naturelle de la conversation. « Quel rôle avez-vous joué ? – Tartuffe, de Molière. – Trouvez-vous que ce personnage, créé pour la cour de Louis XIV, a encore des choses à nous dire à notre époque, ou est-ce simplement un exemple de beau langage ? – Euh… non, il est dépassé, il n’a pas de message à nous donner. » Mauvaise réponse ! Dictée par la mode anti-Princesse de Clèves pour faire bref, qui méprise comme ringarde toute culture classique. Tartuffe, c’est l’hypocrisie, l’emprise de la religion ou du moralisme sur la société, l’affectation de bons sentiments qui masquent des actes vils. Rien que dans l’actualité récente, avec les talibans, l’Iran, les caricatures de Mahomet, mais aussi la sortie de François Bayrou devant Daniel Cohn-Bendit ou le brevet pris par Ségolène Royal sur le sigle « université populaire », innombrables peuvent être les exemples de tartuffes modernes et de leurs tartufferies. Si jouer un rôle consiste à s’amuser sans pénétrer son personnage, le théâtre n’aura pas apporté grand chose au candidat. Celui cité n’a eu que la note C. Tout, dans sa courte existence, doit faire leçon si l’on en parle.

Un projet en devenir, ou du moins une idée d’orientation, est un plus sans être indispensable. Les stages ou travaux d’été peuvent y aider si l’on sait en tirer expérience. Les examinateurs savent bien qu’après deux ans de prépa, le jeune candidat n’est pas vraiment adulte, jamais sorti de l’école, ayant consacré toute son énergie à travailler les matières pour réussir. Les candidats venant sur dossiers, hors prépa, apparaissent nettement plus mûrs, ayant fait autre chose de leur fin d’adolescence que de bûcher sans trêve. C’est peut-être la limite du système français trop scolaire: il forme des instruits, pas des éduqués. Les têtes bien pleines sont rarement bien faites, les gens studieux et obéissants ne font pas des adultes épanouis ni responsables. Au contraire des systèmes scandinaves, anglais ou allemands. On l’a bien vu dans la finance mathématisée ces dernières années… Tout dépend de la filière vers laquelle on veut s’engager : l’audit et l’expertise-conseil exige des bûcheurs imperméables au stress et aimant la compétition – tout ce à quoi une prépa prépare. Qui préfère la relation commerciale, le marketing ou les marchés financiers veillera à se présenter comme plus ouvert au monde, à ce qui vient comme aux autres cultures, plus soucieux de relations humaines, plus libre d’idées.

Un jury sait bien que le mouton à cinq pattes n’existe pas : tous les candidats doivent être rigoureux, intelligents, curieux, ouverts, responsables, savoir se prendre en main et travailler en équipe, être capables d’initiative et de discipline… Mais personne n’a au même degré toutes ces qualités. Présenter celles que l’on estime avoir est ce qu’il faut faire, à condition de les illustrer à chaque fois d’exemples précis, puisés dans ses activités ou expériences.

Toujours mettre un cas concret sur une affirmation générale : « j’aime organiser » ne signifie rien si l’on n’explique pas comment l’on a réuni, planifié, distribué les tâches et contrôlé une action précise (kermesse, action citoyenne ou pour l’environnement, voyage en groupe, etc.) ; « j’aime le risque » ne veut rien dire en soi, mais s’illustre par une expérience (en ski, en voile, en montagne, etc.) ; « j’aime parler aux gens » doit se prouver concrètement (enquête pour un journal local ou scolaire, animation d’enfants, préparation d’un dossier, etc.). Il est de bon ton de s’intéresser à la lecture de livres et à l’actualité – c’est se montrer déjà adulte et responsable, prêt à appliquer son parcours scolaire dans un métier choisi. Si l’on ne peut tout lire ni tout savoir, approfondir au moins un livre et un événement pour en parler. Aux questions déstabilisantes pour faire craquer le vernis (spécialité des jurys !), jouer la franchise : ce qui compte n’est pas la « bonne » réponse, mais la sincérité et la cohérence de la réponse. Un candidat est avant tout un tempérament, pas un dictionnaire ; il doit montrer ses capacités à réagir et à raisonner, avec bon sens et diplomatie, pas forcément à faire un cours sur le sujet.

Retenez toujours cela : une tête bien faite vaut toujours mieux qu’une tête trop pleine ! La grille de jugement comprend en effet quatre domaines principaux tenant :

1. à l’autonomie et à la responsabilité du candidat,
2. à son ouverture aux autres et à son intérêt de citoyen,
3. à sa capacité de réfléchir sur les sujets et sur lui-même en même temps que sur son énergie et sa capacité à inspirer confiance,
4. enfin à son intérêt pour l’école et son projet d’avenir.

Douché, rasé, coiffé, il faut se présenter bien habillé sans forcément de cravate (mais, contrairement à l’image, le débardeur est déconseillé, tout comme le décolleté plongeant, y compris la chemise à la BHL pour les garçons). Pas d’excès de parfum pour les filles (encore plus pour les garçons), le ton posé, ferme sans apparaître “je sais tout”, courtoisi mais curieux, n’hésitant pas à poser des questions ou à ajouter une remarque, le candidat n’en est cependant pas un produit marketing.

Il s’agit moins de « se vendre » comme on l’entend encore parfois, que d’inspirer confiance. De mettre sa formation scolaire et extra-scolaire en adéquation avec son projet professionnel.

Candidats, tirez-en des leçons !


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