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La bouée

Par Clarac
Cette semaine chez les impromptus litteraires, le thème est le vin.
Voici mon texte intitulé : la bouée.
J’aurais pu inventer un personnage, une femme qui à un moment donné revient sur sa vie marquée par l’alcoolisme de son père.
Ses premiers souvenirs : pourquoi elle ne comprenait pas que sa maman était si fâchée contre son papa certains jours. La description exacte de l’étiquette de la bouteille de vin qui trônait sur la table à chaque repas. Les yeux de son père, sa voix pâteuse, ses gestes incertains. Il aurait semblé si fatigué, le pauvre papa.
Elle serait tombée de vélo ou de la balançoire. Une mauvaise chute vers 8 ou 9 ans. Les urgences de l’hôpital et une image gravée à jamais : sa mère qui aurait tenu son père, ivre, la chemise sortant de son pantalon et titubant jusqu’à son lit. Et la honte qu’elle aurait ressentie car elle aurait tout compris : le père qu’elle avait idolâtré jusqu'à présent et qui mettait sa mère en colère certains soirs, ses yeux vitreux, son comportement. A partir de ce jour, elle aurait instauré un rituel en rentrant de l’école : poser toujours exactement ses pieds sur un chemin imaginaire du sol de cuisine en priant pour que son père ne soit pas saoul. Chaque soir, après ses devoirs, elle se serait murée dans sa chambre en attendant le bruit de la voiture qui s’arrête. Tétanisée par la peur, retenant son souffle, elle aurait guetté le ton et les paroles de sa mère. Portes qui claquent, insultes, elle serait restée cloîtrée dans sa chambre sous prétexte de ne pas avoir faim. Ne pas dîner pour ne pas le croiser. Marquée d’avoir vu son père s’effondrer dans la mare de vin qu’il avait vomi, honteuse que le jour de noël, il l’avait déjà fêté à sa manière alors qu’ils devaient recevoir des invités. Et toujours, la peur mêlée à la honte lors des repas de famille ou d’une fête quelconque. De le voir boire, de le voir tendre son verre à peine il était vide. Et compter le nombre de verres qu’il s’enfilerait, calculer à partir du combientième, il ne tiendrait plus debout.
De son adolescence, elle n’aurait retenu que cette peur. Son bac en poche, elle serait partie loin, très loin de chez elle pour ses études. Une fuite préméditée pour essayer de tout oublier.
Elle se serait mariée, aurait eu des enfants mais sans pouvoir effacer son passé. Son père aurait continué à se détruire, tous les jours à petit feu. Et puis, elle aurait appris qu’il avait une cirrhose aiguë, à même pas 50 ans, et qu’il pouvait mourir. Il aurait fallu qu’il s’arrête de boire et il ne l’aurait pas fait tout de suite. Cinq ans plus tard, son état se serait empiré : une grosse opération chirurgicale, les soins intensifs pendant plusieurs jours. Il aurait frôlé la mort de très près. Mais pas assez. Il aurait continué à se noyer avec son verre de vin comme seule bouée. Et elle ? Elle n’aurait jamais osé boire ne serait ce qu’une flute de champagne pour le nouvel an par peur d’être atteinte de ce même mal que son père.
J’aurais pu inventer…

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