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La cible dans quinze jours

Publié le 20 mai 2010 par Menear
Sans raison particulière, il est vrai que je lis très peu de roman noir.
Assis à un bureau de métal, M. Cox mangeait des frites dans une assiette en carton, avec les doigts. Il portait un complet trois pièces en flanelle grise et n'avait pas ôté son pardessus en poil de chameau qui pendait, ouvert, autour de lui. Il y avait une goutte de gras sur son double menton. Il semblait las.
- Voulez-vous un café ? Demanda-t-il. Il y a une machine à café. Voulez-vous quelques frites ? C'est tout ce que j'ai à vous offrir. (Martin secoua la tête.) Je suis content que vous ayez changé d'avis, fit M. Cox d'un air de grande conviction.
- Vous avez déjà lu mon annonce ?
- Bien sûr.
- Dans le journal de demain ?
- Bien sûr, répéta Cox. Nous n'utilisons pas trente-six organes de presse, pour correspondre. Il n'est pas compliqué d'appointer un ou deux employés, ici et là, pour connaître à l'avance le contenu d'une petite rubrique d'annonces. Routine pure, Christian. (Il sourit.) Martin Terrier, dit-il en souriant.
- Vous saviez ça depuis le début ?
- Nous aimons connaître bien nos employés. Vous en avez fait de belles, dites-moi. (M. Cox souriait toujours.) Vous avez cette Anne Schrader avec vous, paraît-il.
Terrier hocha la tête. Cox haussa les épaules.
- C'est important pour vous ? Elle vous importe ? Demanda-t-il. (Terrier ne répondit pas. Cox sourit de nouveau.) Sommes-nous toujours d'accord pour 150 000 francs ?
- 200 000, dit Terrier. Vous aviez parlé de 200 000.
- C'était avant que vous fussiez acculé. Maintenant c'est 150, et c'est déjà un très bon prix. Et il y a des avantages en nature : vous et cette femme, des papiers, des passeports, tout ce qu'il faut. La cible dans quinze jours. Avant cela, vous êtes pris en charge, bien entendu.
- Je ne veux pas que la fille soit prise en charge. Je veux que la laissiez partir.
- Bien sûr, c'est ce que vous voulez, dit Cox. C'est impossible, bien sûr. (Il jeta un regard las à Terrier.) Vous voulez discuter ? Vous voulez nous faire perdre notre temps ?
- Non. Où sera la cible ?
- Ici. A Paris.
- Les quinze jours d'attente, dit Terrier, je veux les passer en Océanie.
- Mais pourquoi ? demanda Cox avec un étonnement sincère.
- Parce que je ne vois rien de mieux. Où est-ce que vous iriez, vous, à ma place ?
- Je ne bougerais même pas.
- Ça ne m'étonne pas.
- Vous êtes stupide, Christian, dit Cox avec une espèce de colère. Vous êtes un crétin. Je ne bougerais pas d'ici ou de n'importe quel endroit où je me trouverais, parce qu'il n'y a aucun endroit qui soit mieux qu'un autre, sauf les pays communistes qui sont encore pires. Il n'y a plus aucun endroit qui soit bien, vous ne comprenez pas ça ? Ah non, je ne bougerais même pas ! Répéta-t-il avec force. Il n'y a nulle part où aller.
- Je veux aller en Océanie, dit encore Terrier.
- Vous irez dans la forêt de Tronçais, dit fermement M. Cox.
Jean-Patrick Manchette, La position du tireur couché, Folio policier, P.113-115.

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