Dans cette belle exposition à la Pinacothèque (jusqu’au 27 Janvier), si les salles finales, montrant les peintures de Chaïm Soutine après 1930, semblent parfois un peu plus apaisées, le reste n’est que tumulte et fureur.
Regardez ce détail de la plus petite toile de l’exposition, Le petit quartier de mouton, de 1927. Encore plus que dans les grands boeufs écorchés (vers lesquels Rembrandt le conduisit), la chair vous saute au visage, elle jaillit du tableau, son relief, sa profondeur sont bien visibles; la lumière s’accroche aux arêtes des os, fait briller les gouttes de sang. Soutine est un réaliste exacerbé, dans la veine de Courbet; il garde dans son atelier volatiles morts et carcasses de bestiaux, qu’il conserve tant bien que mal. C’est dans cette pestilence, dans ce désordre, que naissent ces toiles.
Ses personnages aux traits déformés, aux corps tordus, aux yeux éperdus s’alignent sur les cimaises. Il faut s’attacher à son autoportrait Grotesque, de 1922/23, à ces déformations qui le rendent à peine reconnaissable : sa veste jaunâtre avec son immense manche gauche occupe l’espace, le regard se détourne du petit visage hideux, de la lèvre hypertrophiée, du nez monstrueux. Tout n’est que boursuflures, qu’excroissances malignes, que traces d’un désastre annihilant. Lui qui fut parfois si dandy est ici au comble de l’autodéformation, de l’autodestruction. On peut croire qu’il annonce Bacon, mais c’est surtout son désespoir, sa déshérence qu’il peint ici, les siens et ceux de l’espèce humaine. On ne sort pas indemne d’une telle violence, d’une telle exposition.
Photos provenant du catalogue, très bien fait. Chaïm Soutine copyright ADAGP : les photos seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.