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Sarkozy ne sauvera pas les retraites comme il a sauvé les banques

Publié le 25 mai 2010 par Juan
Sarkozy ne sauvera pas les retraites comme il a sauvé les banquesEst-ce l'effet de la crise, ou de la soudaine pression sur les déficits publics ? On en apprend un peu plus chaque jour sur l'efficacité de certains cadeaux de Nicolas Sarkozy. Et l'on découvre que les effets d'aubaine ne sont pas pour tout le monde.
Sauver les banques... à quel prix ?
A l'Elysée, on se félicitait ainsi du crédit d'impôt recherche, modifié depuis le 1er janvier 2008. En 2009, quelques 14 000 entreprises en ont bénéficié, pour un coût fiscal de 4,1 milliards d'euros. Elles n'étaient que 5 300 en 2007, pour une charge de 1,5 milliards. Ce succès est artificiel. L'effort de recherche privé n'a que peu progressé en 2008. La Cour des Comptes comme la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale ont aussi souligné que le dispositif bénéficie majoritairement aux grandes entreprises qui, même sans la mesure, auraient de toutes façons investi. On appelle cela un effet d'aubaine.
Autre effet d'aubaine, l'aide aux banques décidée à l'automne 2008. Didier Migaud, remplaçant de Philippe Séguin à la présidence de la Cour des Comptes, a publié un rapport sur le sujet le 20 mai dernier, intitulé «Les concours publics des établissements de crédit - bilan et enseignements à tirer.»
En préambule, la Cour rappelle les deux mécanismes «originaux» du plan français, la société de prise de participation de l’Etat (SPPE), qui «visait à apporter des fonds propres aux établissements de crédit», et la société de financement de l’économie française (SFEF), qui «avait pour objet d’aider à leur refinancement selon des modalités complémentaires à celles des interventions de la Banque
centrale européenne
.» Depuis 2009, Nicolas Sarkozy et ses proches ont répété à l'envie combien ce plan avait été nécessaire (ce qui est vrai), et profitable (ce qui l'est moins). Il n'aurait rien coûté aux contribuables français. A lire le rapport de la Cour des Comptes, on découvre que la réalité, comme souvent en Sarkofrance, est plus grise. Le gouvernement apparaît au mieux comme incompétent, au pire comme dissimulateur.
Entre sa mise en place et l’arrêt de ses activités le 22 septembre 2009, la SFEF s'est endettée pour 76,9 Md€(garantis par l'Etat), qui ont été ensuite prêtés à treize établissements de crédit pour des échéances courant jusqu'en 2014. «En rémunération de sa garantie, l’Etat a perçu 1,4 Md€ pour l’ensemble de la période de soutien». De sont côté, la SPPE a apporté 20,75 Md€ de soutien en fonds propres (titres hybrides, actions de préférence sans droit de vote, actions ordinaires) à six groupes bancaires. Quatre de ces groupes ont entièrement remboursé la SPPE en 2009 pour un total de 13,5 Md€. En 2009, la SPPE a reçu une rémunération d’environ 1 Md€. En 2010, l'Etat est ainsi encore engagé pour 118 Md€ de garanties (77 Md€ de garanties aux treize établissements; 36 Md€ de garanties auprès de Dexia; et 5 Md€ sur la société américaine FSA), auxquels s'ajoutent les 6 Md€ de fonds propres placés dans deux banques. Sur ces bases, le bilan de l'opération dressé par la Cour n'est pas fameux:
1. Les banques françaises (à l'exception de la BPCE dirigée par François Pérol) n'ont pas accru leurs encours de crédit aux entreprises comme elles l'avaient promis. En 2009, les encours n'ont cru que de +2,5% au lieu des 3 à 4% annoncés. Si la Cour reconnaît qu'en «période de crise économique, la demande de crédit de la part des entreprises s’est fortement contractée», elle note aussi que la réponse des banques au credit-crunch, et malgré le soutien de l'Etat, a été tardive (novembre 2009 !). Seconde contre-partie avancée au plan de soutien bancaire, les modestes engagements éthiques ont été «dans l'ensemble» respectés. Et pour cause, ils étaient pour l'essentiel... temporaires.
2. La Cour est plus sévère sur le volet financier du bilan de ces aides : à court terme (sur les années 2008 à 2010), ces concours publics ont généré un profit net de 1,3 Md€ pour le budget de l'Etat. Mais la Cour soulève un lièvre : les coûts indirects de ces prêts et garanties vont annuler ce bénéfice: la charge d’intérêt supplémentaire pour l'Etat serait de l’ordre de 351 M€ par an à partir de 2011. Pire, «la décentralisation des fonds d’épargne représente pour l’Etat une perte de recette non fiscale supérieure à 100 M€ par an pendant 25 ans», soit ... 1,3 Md€ en valeur actualisée. 
3. La Cour s'étonne aussi que l'Etat n'ait finalcment pas bénéficié de la reprise rapide des cours de bourses, alors que leur rétablissement était certains au moment où les concours financiers ont été mis en oeuvre. Elle s'interroge sur «l'adéquation entre la prise de risque et la rémunération de l’Etat». «Le choix fait par l’Etat de ne pas assortir les actions de préférence d’une clause de retour à meilleure fortune des établissements de crédit émetteurs, comme cela a été le cas dans d’autres pays, vaut d’autant plus d’être noté qu’au moment du lancement effectif des émissions, les banques concernées savaient que les résultats de leur banque de financement et d’investissement étaient en voie d’amélioration rapide.» D'autres pays ont fait des choix différents: «l’Etat américain aurait bénéficié au total d’un retour sur investissement annuel de 23% pour son injection temporaire de 10 Md$ dans la banque Goldman Sachs, tandis que les actions de préférence souscrites ne devaient servir qu’un dividende de 5%».
Pourquoi donc le gouvernement a-t-il aussi mal conçu son plan de soutien ? S'est-il fait berné ? S'agit-il d'une indulgence coupable. Emmanuel Levy, sur Marianne2, ose une interprétation. Il fallait en sous main soutenir la BNP à racheter Fortis.
Pas d'aubaine pour les retraites
Les propositions de réforme des retraites sont enfin (presque) connues. Le gouvernement masque encore un peu ses cartes, tente d'embrouiller son assistance, mais l'essentiel est là. Le ministre du travail Eric Woerth attend début juin pour confirmer ses propositions: «Nous allons demander aux Français d'avoir une vie professionnelle plus longue, par l'âge, par les cotisations, nous allons encore en discuter, nous verrons ça au mois de juin» a-t-il expliqué dimanche. Il table sur 3 mesures principales:
1. Le recul de l'âge de départ à la retraite dès le 1er janvier prochain, progressivement jusqu'à 63 ans. Pour l'instant, le gouvernement temporise. Dimanche, Christian Estrosi, le ministre (gaffeur) de l'Industrie a pourtant confirmé la mesure: «Forcément, on s'oriente plus ou moins vers une augmentation de l'âge de la retraite qui devrait dépasser les 60 ans». Forcément.
2 L'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein, au-delà des 41,5 annuités initialement fixées pour 2020 ;
3.  L'alignement du secteur public sur les conditions du secteur privé avec notamment une augmentation du taux de cotisation vieillesse des fonctionnaires.
La taxation supplémentaire des hauts revenus et du capital, un temps annoncée, sera finalement symbolique : elle devrait rapporter 600 millions. Les sommes sont ridicules. Pire, aucune mesure de contribution des revenus du capital et de la rente n'est avancée pour le moment. Le gouvernement hésiterait à taxer davantage les dividendes. Le Monde croyait savoir qu'il n'en était rien. Une fausse joie ? Les 860 milliards d'euros de prélèvements obligatoires proviennent aujourd'hui à 80% des salariés et de la consommation (TVA, etc). Capital et rente ne contribuent que pour 20% à l'économie du système. Le taux de prélèvements obligatoires sur le capital reste modeste (18%). C'est déjà visiblement trop pour le gouvernement Sarkozy.
Pour sauver les banques, Nicolas Sarkozy a réussi l'impossible. Garantir rapidement des sommes folles, sans s'attarder sur les contreparties ni la juste rémunération du risque assumé par l'Etat. Pour sauver les retraites, la démarche semble bien différente. Sarkozy avance lentement, dévoile le moins possible ses intentions, et évite de toucher au capital ou à la rente.
Aubaine pour les uns, injustice pour les autres. Deux poids, deux mesures.
Crédit illustration FlickR CC
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