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Trouble anormal de voisinage : une éolienne est-elle un ouvrage public ?

Publié le 26 mai 2010 par Arnaudgossement

éolienne par en dessous.jpgLes actions en trouble anormal de voisinage dirigées contre les exploitants de parcs éoliens vont-elles se multiplier ?

Depuis que le TGI de Montpellier a ordonné, le 4 février dernier, le retrait de plusieurs éoliennes à la demande de riverains, la question est posée de savoir si les parcs éoliens vont faire l'objet d'une multiplication des actions en trouble anormal de voisinage devant le juge judiciaire, comme cela s'est produit pour les antennes relais de téléphonie mobile. Des développements récents sont à prendre en compte.

Une décision du Tribunal des conflits, le 12 avril 2010 et un avis rendu Conseil d’Etat le 29 avril 2010 apportent une confirmation et/ou des précisions importantes à la qualification d’ouvrage public en droit de l’électricité. L’enjeu est d’importance : si les éoliennes reçoivent la qualification d’ouvrage public, les tiers qui en sollicitent le retrait ne pourront plus porter leur demande devant le Tribunal de Grande instance. Seul le Juge administratif sera – en principe - compétent pour se prononcer sur l’existence éventuelle de « dommages de travaux publics » liés au fonctionnement de l’ouvrage et dont seraient victimes des tiers.

La décision du Tribunal des conflits du 12 avril 2010 (Société ErDF c. M et Mme M., JCP/sem.jur adm. et coll.terr. 17 mai 2010, n°20-21). Cette décision ne comporte pas d’innovation mais confirme une solution jurisprudentielle applicable aux ouvrages de transformation ou de distribution d’énergie électrique, d’autant plus intéressante qu’elle est postérieure à 2004, soit au changement de statut d’EDF. Dans ce cas d’espèce, les époux Michel avaient saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de la décision par laquelle EDF avait refusé de procéder à l’enlèvement  d’un transformateur électrique installé au sous-sol de leur immeuble d’habitation. Les requérants attribuent en effet aux ondes électromagnétiques émises par ce transformateur la cause de problèmes de santé. Le Tribunal administratif s’étant déclaré incompétent, les époux M. ont alors fait assigner EDF devant le TGI de Rennes pour obtenir, d’une part, le déplacement du poste litigieux, d’autre part l’indemnisation du préjudice subi.

Saisi de ce conflit de compétences entre les ordres des juridictions administrative et judiciaire, le Tribunal des conflits raisonne de la manière suivante.

En premier lieu, il rappelle que seul le juge administratif est compétent pour statuer sur une demande de déplacement ou de transformation d’un ouvrage public : « des conclusions tendant à faire ordonner le déplacement ou la transformation d’un ouvrage public relèvent par nature de la compétence du juge administratif ». En conséquence, le Tribunal des conflits souligne que « le juge judiciaire ne peut prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l’intégrité ou au fonctionnement d’un ouvrage public, sauf dans l’hypothèse où la réalisation de l’ouvrage procède d’un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont disposer l’Administration ».

En second lieu, le Tribunal des conflits qualifie le transformateur électrique d’ouvrage public au motif qu’il est directement affecté au service public de l’électricité : « considérant que les postes de transformation qui appartenaient à l’établissement public EDF avant la loi du 9 août 2004 transformant cet établissement en société avaient le caractère d’ouvrage public ; qu’étant directement affectés au service public de distribution électrique dont la société ERDF a désormais la charge, ils conservent leur caractère d’ouvrage public ».

En conséquence, les demandes des époux M, tiers par rapport à l’ouvrage public que constitue ledit transformateur, relèvent de la compétence de la juridiction administrative. Bien entendu, le raisonnement ici opéré par le Tribunal des conflits ne permet pas d’en déduire immédiatement que les éoliennes, ouvrages de production d’électricité, sont des ouvrages publics. La présente décision du Tribunal des conflits fait référence au « service public de distribution d’électricité » et non au « service public de production d’électricité ». Il n’en demeure pas moins que c’est bien le critère de contribution de l’ouvrage à la réalisation d’un service public, ici d’électricité, qui est ici privilégié.

L’avis du Conseil d’Etat du 29 avril 2010. Dans ce cas d’espèce, M et Mme A avaient saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’indemnisation des dommages qu’ils soutiennent subir à raison du fonctionnement d’une centrale thermique exploitée par la société EDF. Le Tribunal administratif de Marseille a alors saisi le Conseil d’Etat d’une question relative à qualité d’ouvrage public des « établissements de production électrique » détenus par EDF, et ce, malgré le changement de statut intervenu en 2004.

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle que le statut des ouvrages de production d'électricité autres qu’hydrauliques n'a été déterminé ni par la loi du 10 février 2000 qui a défini le service public de l'électricité, ni par celle du 9 août 2004 qui a transformé Electricité de France en société de droit privé.

En second lieu, le Conseil d’Etat relève, qu’aux termes notamment de la loi du 10 février 2000, les ouvrages de production d’électricité contribuent à la réalisation du service public de l’électricité et se voient à ce titre imposés des contraintes plus ou moins fortes. Ce faisant, la Haute juridiction en déduit que « En l'état actuel des techniques et eu égard aux caractéristiques d'ensemble du système électrique, présentent le caractère d'ouvrage public les ouvrages d'une puissance supérieure à 40 MW qui sont installés dans les zones interconnectées du territoire métropolitain ». L’interprétation du sens et de la portée de cette analyse présente cependant une incertitude. Faut-il en déduire qu’ a contrario, les ouvrages de moins de 40 MW ne peuvent pas recevoir la qualification d’ouvrages publics ? Rien ne permet de le dire. Au contraire, on relèvera que pour le Tribunal des conflits c’est bien le critère de l’affectation au service public qui est déterminant.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat conclut que « Il ressort des pièces du dossier et des éléments recueillis lors de l'audience d'instruction que, dans les zones non interconnectées, l'ensemble des ouvrages dont la production est entièrement destinée de façon permanente aux réseaux de transport ou de distribution sont nécessaires pour garantir la sécurité d'approvisionnement. Dès lors, de tels ouvrages doivent être regardés comme affectés au service public de la sécurité de l'approvisionnement et ont, par suite, le caractère d'ouvrage public ». On relèvera que le seuil des 40 MW n’est pas explicitement repris dans cette conclusion de l’avis du Conseil d’Etat. C’est bien le critère de l’affectation « au service public de la sécurité de l'approvisionnement » qui est mis en avant.

Cette décision du Tribunal des conflits et cet avis du Conseil d’Etat contribuent à la réflexion sur la qualité ou non d’ouvrage public des éoliennes. Dés l’instant où ces dernières ne contredisent pas le faisceau d’indices défini par la jurisprudence et contribuent au service public de l’électricité organisé par la loi, la qualification d’ouvrage public ne peut leur être refusée au seul motif qu’elles seraient installées et exploitées par des personnes privées. Il convient en outre de mettre cette décision et cet avis en correspondance avec – notamment – cet arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Nantes qui qualifie les éoliennes d’ « ouvrages techniques d’intérêt général » (au regard des dispositions d’un POS) (CAA Nantes, 23 juin 2009, Association cadre de vie et environnement Melgven-Rosporden et autres – Commune de Rosporden, n°08NT0286).

Les exploitants de pars éoliens assignés en trouble anormal vont donc certainement soulever l’incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif. On observera de plus que le motif tiré de la qualité d’ouvrage public n’est pas le seul qui permette de conclure à la compétence du juge administratif. La jurisprudence a déjà précisé que le Juge judiciaire n’est pas compétent pour ordonner une mesure qui revienne à priver d’exécution une décision administrative. A suivre donc.


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