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Machado, un drôle d'oiseau

Par Bscnews
Machado, un drôle d'oiseauPar Eric Poindron - BSCNEWS.FR/
Comme mes confrères, j’aurai pu vous parler de création littéraire, d’œuvres essentiels ou du Dernier salon du Salon du livre… Pourtant, c’est en me rendant au salon du livre que je me suis arrêté, bien avant l’entrée, devant cet excentrique qui nourrissait les oiseaux indisciplinés et printaniers. Il m’est revenu l’histoire d’un autre défenseur du  genre volatile  ; à l’observer de près, il vaut bien toutes les littératures…MACHADO, UN DRÔLE D’OISEAU…Si je veux conserver l’amitié de chacun d’eux, il ne faut jamais les tromper... Gama MachadoAu mois de juin de l'année 1861, un gentilhomme de la chambre du Portugal, conseiller de l'ambassade portugaise, connu sous le nom du commandeur  Joseph Joachim Da Gama Machado est mort à Paris. Or ce grave diplomate était à coup sûr une de personnalités les plus fascinantes qui vécût sous le ciel parisien. Propriétaire d'une fortune considérable, il avait laissé pour la distribuer pas moins de soixante-dix testaments (1). Passionné d'oiseaux qu'il surnommait " ses petits amis", et auteur d'une Théorie des ressemblances, ou Essai philosophique sur les moyens de déterminer les dispositions physiques et morales des animaux, d’après, les analogies de formes, de robes et de couleurs, fut sans conteste un PLAISANT original - portant des lunettes cerclés d'or -  de la meilleur espèce. Savant naturaliste de l'école de Charles Bonnet, homme célèbre et estimé pouvant être conduit par un deuil nombreux à sa dernière demeure, il n'avait voulu avoir à son enterrement qu'un sansonnet, son oiseau de prédilection, porté dans une cage par un distingué valet de chambre. Cet oiseau l'accompagnait partout. Quand M. de Machado voyageait, et quel que soit le moyen de transport, diligence, chemin de fer, bateau, chaise de poste, l’oiseau ne manquait jamais de demander sa pitance par un cri, toujours à la même heure avec une précision de coucou suisse.Il avait exprimé, en même temps, la volonté que sa tombe fût élevée sur le modèle de celle qu'il avait fait dessiner à l'avance le précieux oiseau. Il avait aussi trouvé le moyen de faire inviter à ses funérailles tous les corbeaux du Louvres et de les - presque - faire venir ! Pour ce, il avait pris l'habitude d'exposer chaque jours, à trois heures précises, sur son balcon du quai Voltaire, des assiettes chargées de viande. Et peu à peu, les corbeaux était venues avec entrain à la curée. Il suffit ensuite à Gama Machado d'organiser ses propres obsèques à trois heures précises Les corbeaux du Louvres ne manquèrent pas de venir, à l'heure dite, chercher leur pâtée accoutumée. Ne trouvant point la pitance, les volatiles firent, en signe d'affliction (?), un vacarme funéraire de circonstance. Un témoin demeuré coi, prit quand même le temps de s'expliquer sur l'étrange cérémonie : « j'ai vu des hommes sérieux qui croyaient savoir sur les oiseaux de quoi en remontrer à tous, mais revenir de ces funérailles avec la stupeur d'un prodige inexpliqué ! »
Autre excentricité, et non des moindres, Da Gama Machado croyait fermement à la métempsychose et possédait chez lui de nombreux animaux empaillés auxquels il prêtait à chacun la vie d’un membre de sa famille...Ainsi, amis lecteurs, vous l'aurez compris, tout comme moi - ou serait-ce l'inverse, le commandeur Machado avait la passion des oiseaux, qu'il observait jour et nuit. Il se prit de passion pour les oiseaux vers l'âge de cinquante ans et, dès lors, toute sa vie leur avait fut consacrée. Après l'observation, Il avait composé étude sur étude, écrit sur écrit, hommage sur hommage ; Il disait qu'ils échappaient au grand signe d'infériorité que Dieu a infligé aux autres animaux, et en était venu à croire que les oiseaux possédaient une âme et à leur attribuer une prééminence morale sur l'humanité - et ce n'est pas moi qui le contredirais. Il avait même, dans ses testaments, recommandé la propagation de ses doctrines et leur enseignement. il avait seulement prescrit  « qu'on retranchât ce qui pourrait froisser l'amour propre des hommes .»Il avait laissé l'une des plus belles collections d'oiseaux rares, une centaines d'oiseaux rares et vivants, des oiseaux des vallées inconnus des Indes, d'autres cachés dans les roseaux du Gange ou dans les fourrés de l'Himalaya. Il possédait aussi des oiseaux parleurs (il y en a qui imitent la voix humaine d'une façon humiliante pour nous), des oiseaux maçons, des oiseaux géographes, « car il en est qui, dans les déserts de sable ou dans l'infini des mers, s'orientent avec une précision que la boussole ne nous permet pas au même degré », des oiseaux tisserands, des oiseaux centenaires et, peut-être même, des oiseaux qui n'existent pas...Notre homme ne vivait que pour « pour écouter les chants de l'oiseau, admirer sa grâce fugitive et étudier ses formes savantes. ». Il était en rapport avec tous les savants de son temps, Russes, Anglais, Allemands. S. M. le roi de Portugal a bien voulu visiter ses volières, et les princes de la science y venaient aussi curieusement. Mais quels soins de tous les jours, quelle sollicitude il y fallait ! Il y a là des oiseaux qui ne s'accommoderaient pas de notre température glacée ; il est indispensable de leur ménager une chaleur graduée sur leur organisation, un air pur et vif leur est nécessaire ; ils ne vivraient pas huit jours dans la rue du Bac. Mlle Élisabeth les connaît et ils la connaissent ; ils s'aiment, ils se le disent et ils se le prouvent... Elle donne à chacun ce qui lui convient : l'air du pays natal autant qu'on puisse l'imiter, la vue des marronniers des Tuileries, à défaut des jungles de l'Inde. Il possédait aussi un merle bleu qu'il avait légué au grand Geoffroy Saint-Hilaire - Savant magnifique qui, pour l'anecdote, est avec la girafe de Charles X le personnage principal du prochain roman de votre serviteur.Certains oiseaux, tissaient avec notre bienfaiteur des pièces de soie. Le commandeur avait énoncé une théorie qu'il avait appelée, « la théorie des couleurs », d'après laquelle identité de plumage et de nuances devait donner identité d'aptitude. Théorie qu'il avait, du reste, essayé sur des oiseaux analogues aux oiseaux tisseurs. Il avait déposé des flocons de soie à la portée des nouveaux venus  et les nouveaux venus s'étaient mis à tisser ! Ce fut, parait-il, le plus jour de la vie de l'ornithologue inspiré.On devine sans peine que tous ces êtres chers à leur maître ne pouvaient manquer d'avoir leur part dans ces dernières volontés. N'y avaient-ils pas des oiseaux de tous les climats et de tous les appétits ? Celui-là ne pouvait vivre que dans une atmosphère douce et tiède, celui-là dans un air pur et vif, ces autres ne se nourrissant que de fruits d'Orient, d'ananas, de grenades, de babas ou d'œufs sucrés, de vers enfarinés de safran ou de pain cressini ou même de dragées. D'autres ne pouvaient se passer de raisins chasselas un seul jour de l'année. Et puis il fallait songer aussi à l'eau fraîche, aux médications de toutes sortes, et aux bains à exactes températures. Chaque oiseau possédant sa propre baignoire qu'il empruntait, dit-on, sans jamais se tromper...Que fit donc le commandeur avant de mourir ? Durant sa vie, Il avait à ses côtés une personne de grande confiance, une femme (1) de grand soin et de grande pratique, pour veiller sur son petit peuple ailé. Alors il a légué au dévoué serviteur tous ces oiseaux. Et il a ajouté à ce don un legs de 39000 francs de rente viagère et une place à ses côtés dans sa sépulture.Amis des oiseaux et de Paris, si vous flânez du côté du Père Lachaise, allez donc saluer notre Saint-François d'Assise moderne.(1) - Après la mort du commandeur, Me LÉON DUVAL, avocat de la demoiselle Élisabeth Perrot,  a exposé les faits suivants :
«Le commandeur de Gama Machado, gentilhomme de la chambre de S. M. le roi de Portugal et conseiller de l'ambassade portugaise, est mort à Paris, le 9 juin 1861, laissant une grande fortune. Il laissait aussi un testament enrichi de soixante-dix codicilles, des héritiers du sang, des légataires de toutes sortes, et parmi ceux-ci, la demoiselle Élisabeth Perrot, pour qui je parle, et à laquelle il a légué 30 000 fr. de rente viagère. Mlle Élisabeth est entrée au service du commandeur à l'âge de vingt ans ; elle en a aujourd'hui soixante-six, et pendant ce demi-siècle elle a donné de tels soins à son maître, que les plus respectables amis du commandeur sont devenus les siens ; que des personnages qui comptent aux premiers rangs de la noblesse portugaise sont entrés en correspondance avec elle, et qu'enfin M. Machado lui a légué une place à côté de lui dans sa sépulture. Malheureusement la santé de Mlle Élisabeth s'est détruite au service du commandeur, elle a aujourd'hui le privilège d'une maladie bien rare en Europe, l'éléphantiasis, des souffrances, des infirmités, une vieillesse qui tient à un fil. Parmi les devoirs qu'elle remplissait avec le plus intelligent dévouement, il faut mettre l'entretien d'une collection d'oiseaux des plus rares, une centaine d'oiseaux vivants, pris dans les ravins inconnus des Indes orientales, dans les roseaux du Gange, et les fourrés de l'Himalaya.Quand M. Machado a vu la mort de près, il s'est demandé à qui léguer ses chers oiseaux. Il n'y avait qu'un légataire possible, Mlle Élisabeth, qui est leur mère depuis si longtemps, qui sait seule la qualité, les secrets, les proportions de leur nourriture. Le commandeur les lui a légués.
Mais ici une difficulté ardue a surgi.
Les héritiers du sang sont en Portugal. Mme Valpole a un legs important, et elle est Anglaise. Qui sait si le testament ne sera pas attaqué ? Les demandes en délivrance sont faites, mais il a fallu observer les délais de distance, qui sont considérables. En attendant, que faire des oiseaux ? On a bien nommé M. Trépagne administrateur provisoire ; mais, si ce notaire était obligé de gouverner et de nourrir les oiseaux, soit dit sans l'offenser, il serait bien embarrassé. Dans cette perplexité, ne voulant pas délivrer à Mlle Élisabeth les créatures ailées qui lui ont été léguées, de peur d'engager sa responsabilité par l'exécution du testament ; ne pouvant non plus s'en rapporter à personne du soin de nourrir ces petites bêtes, vu la difficulté de la tâche, M. Trépagne a mis les volières en séquestre et en a confié la garde à Mlle Élisabeth. Mais alors elle ne possède pas, animo domini ; les oiseaux ne sont que ses locataires, il faut payer leur entretien et leur nourriture. Là se placent des détails nécessaires.
(...)
L'instinct médical des oiseaux a de quoi nous faire honte. Voyez chez nous les vieillards et même beaucoup d'adultes ; ils attendent les rigueurs de l'hiver occidental, ils les subissent en fatalistes, et ils meurent presque tous d'un rhume. Si nous avions le bon sens des hirondelles, nous chercherions comme elles des climats plus propices : et la durée de la vie humaine en serait doublée. Mais c'est encore Mlle Élisabeth qui est la meilleure infirmière de ses oiseaux ; je vais plus loin, elle connaît leur caractère, et eux le sien ; elle sait les amitiés qui se sont formées dans le logis, et le voisinage qu'il faut à chacun, sous peine de mort ; oui, sous peine de mort, car qui ne sait que l'oiseau est trop frêle pour le chagrin, et que les amants ne survivent jamais à leurs maîtresses ?
(...)
Je demande donc que le tribunal accorde une large et généreuse provision à Mlle Élisabeth : il faut conserver ces oiseaux à la science, ils portent presque tous un problème.»
Et nous vous recommandons la lecture de :LES EXCENTRIQUES, de Champfleury (éditions Michel Levy, libraire-imprimeurs, 1852). A noter que le livre, réédité voilà quelques années aux éditions Plein chant, à Bassac, est peut-être encore disponible.C'est en effet Gama machado qui ouvre le bal des excentriques...LE PERROQUET DE FLAUBERT, de Julias Barnes (stock, collection « la cosmopolite ») Médecin anglais spécialiste de Flaubert, Geoffrey Breathwaite découvre dans un recoin du musée Flaubert, à Rouen, "Loulou", le perroquet  empaillé qui inspira à Louise, la vieille servante de Un cœur simple, une étrange passion. Mais à Croisset, la propriété de famille des Flaubert, se trouve un second perroquet avec les mêmes prétentions à l'authenticité. Où est le vrai perroquet, qui est le vrai Flaubert, où est la vérité de l'écrivain ? Si rien n'est certain, l'inspecteur Barnes, au bour de son éblouissante enquête littéraire, démontre néanmoins, avec élégance et humour, que la seule chose importante, c'est le texte...« ce que j’ai devant moi, sur ma table, depuis huit jours ?Un perroquet empaillé. Il y reste à poste fixe.
Sa vue commence même à m’embêter.
Mais je le garde, pour m’emplir la cervelle de l’idée de perroquet.
Car j’écris présentement les amours d’une vieille fille et d’un perroquet »

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