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oh, peines se pèsent !

Publié le 28 mai 2010 par Aymeric
Openemptyspace Longtemps lié à une conception américaine d’un travailler ensemble sous d’infinis plafond de néons, l’open space est devenu une des réalités les mieux partagées de l’hexagone.
Quelques réflexions sur ce mode d’aménagement/management de bien mauvaise presse par Alain d’Iribarne, directeur de Recherche au CNRS.

L’open space est un mode d’organisation qui s’est répandu au point de concerner maintenant près de la moitié des travailleurs (47% des salariés). Les deux raisons les plus communément avancées pour l’expliquer sont : les contraintes physiques (plus particulièrement immobilières) et des convictions idéologiques et managériales.
Comme le plus souvent, un phénomène qui se répand est appuyé sur plusieurs facteurs. Les open space classiques de référence (grands et moyens plateaux) résultent d'un point de vue économique d'une volonté d'abaisser les coûts fixes en réduisant plus ou moins drastiquement les m2 par salarié : la forme ultime est qu'il n'y a plus de bureau dédié, ni de poste de travail dédié, mais des postes banalisés et affectés en fonction des besoins (postes partagés). Cette tendance est d'autant plus forte que l'entreprise encourage le travail nomade et/ou le télétravail.
D'un point de vue idéologique, il y a l'idée qu'un salarié mis sous le regard des autres consacrera plus de temps effectif à son travail pendant son temps de présence.
De façon plus managériale, l'idée est qu'à partir du moment où on cherche un mode de travail plus collaboratif, un rassemblement dans un même espace des membres d'une même équipe de travail est une bonne chose car elle facilite la communication. Cette posture qui conduit à des plateaux plus petits peut être accompagnée (chez les plus intelligents) d’espaces de travail dédiés à des activités complémentaires (boudoirs pour pouvoir s'entretenir à 2 ou 3 sans déranger ou pour téléphoner, salles de réunion plus ou moins grandes..). Dans ce cas, les gains de surface sont quasi nuls. 

Les français ont une préférence forte pour le modèle bureaucratique

J'ai appris de votre plume que "la France a longtemps été l'un des pays où la chaîne de commandes au sein de l'entreprise était la plus longue." En concluriez-vous que c'est-aussi en France que les effets du recours à l'Open space se sont faits le plus sentir ?
J'aurais tendance à répondre oui, comme plus généralement, les effets de l'adoption d'un nouveau paradigme productif par les entreprises françaises qui prend de plein fouet le "modèle organisationnel et le pacte social" français. Les français ont une préférence forte pour le modèle bureaucratique et le bureau individuel qui fonctionne bien avec la notion de territoire physique et organisationnel (chacun chez soi et les vaches seront bien gardées).
Pour la psychologue et architecte Elisabeth Pelegrin-Genel l'aménagement remplace parfois le management. Pour elle, « les collaborateurs acceptent mieux les solutions d’ordre spatial que celles dirigées directement sur leur personne ». Dans quelle mesure, selon vous, le recours à l'open space se serait substitué à certaines fonctions managériales (surveillance, motivation, formation du collectif, par exemple) ?
Dans le nouveau paradigme productif que j'ai évoqué (celui de la compétence, de l'autonomie prescrite, de la responsabilité, du savoir partagé et de l'auto formation pour le développement) de son capital humain) il y a aussi l'idée qui a été validée il y a longtemps lors de la mise en place des équipes semi-autonomes de travail que le contrôle par les paires et par l'intégration des normes collectives  était beaucoup plus stricte et efficace que le contrôle hiérarchique (encore faut-il que le collectif ne fasse pas l'inverse).
Toujours selon Elisabeth Pelegrin-Genel : "on est de moins en moins différent au bureau de la personne qu’on est à la maison." Est-ce que l'un des effets inattendus de la généralisation des open spaces ne serait pas, en plus des parois du bureau, celles entre les univers professionnels et privés qui seraient devenues plus poreuses (coups de téléphone personnels passés devant les collègues, repas pris sur le lieu de travail...) ?
il s'agit d'une autre référence. Toujours avec la paradigme productif actuel dans lequel viennent s'encastrer les technologies nomades et la possibilité de travailler ailleurs que dans son bureau, les frontières de travail sont remises en cause, avec un mixage entre les lieux de l'employeur et les lieux domestiques (mais aussi les lieux du client). Il en résulte que certains aménageurs (en particulier ceux qui sont plus sensibles aux femmes), développent l'idée d'une continuité qui pourrait être reconstruite en important sur les lieux de travail des cadres d'aménagements relevant traditionnellement du domestique (ou du "club"). Ce que j'ai pu voir, donne des résultats assez chouettes... 
On a ajouté à coté des "compétences techniques" des "compétences sociales" et on a commencé à parler "des savoir être" à coté des "savoirs et savoir faire"
Et si c’est désormais autant la personne que le travailleur qu’on juge, le travail du manager n'est-il pas rendu plus délicat, car potentiellement plus dévastateur ?

La encore il faut combiner les évolutions de paradigme et la construction sociétale française. A partir du moment où le "relationnel" (relation aux autres qu'ils soient internes ou externes à l'entreprise y compris les clients et fournisseur) est une dimension qui prend de plus en plus de poids on a ajouté à coté des "compétences techniques" des "compétences sociales" et on a commencé à parler "des savoir être" à coté des "savoirs et savoir faire". Ce n'est pas nouveau, ça a commencé au début des années 80.
En France, par ailleurs, la grande tradition est de juger les personnes sous le prétexte d'évaluer leur travail et de le faire de façon lapidaire (d'où le problème qu'ont rencontré les entretiens annuels d'activité).
Il en résulte bien évidemment une situation d'autant plus délicate pour les managers (et en particulier de premier niveau) que l'instrumentation est souvent faible, le travail est effectivement collectif et qu'il a en face de lui un collectif de travail soudé (sans être nécessairement syndiqué)…
Toujours dans cette idée, une tendance à l'abolition des distances ne nuit-elle pas selon vous à l'efficacité de la hiérarchie ?
Il faudrait s'entendre sur l'abolition des distance qui est une vision très française de l'autorité : le chef, pour avoir de l'autorité donc pour être obéit quand il donne des ordres, doit être distant de ses troupes (il ne doit pas copiner). Le paradigme productif actuel très influencé par le modèle scandinave (et anglo-saxon) dit au contraire qu'il faut aller vers beaucoup plu de dialogue, d'écoute, de conviction et de participation, toutes choses qui implique une plus grande proximité. Mais, parce qu'on est en France, tout en étant plus près de ses "troupes", le chef en question devra savoir tenir son rang (par image on dit qu'on est aujourd'hui avec une organisation militaire de commando et non plus de corps d'armée)
Être avec "ses troupes" et en même temps savoir tenir son rang. C'est une très grande exigence professionnelle et personnelle. Elle demande beaucoup de compétence technique et de savoir faire humain qui donne une grande place à la "légitimité. C'est cette légitimité reconnue qui fait que vous pourrez être obéi. 

Peut-on, selon vous, se passer totalement d'espaces de travail privés ?

De mon point de vue non et surtout pas avec la logique sociétale française. D'où cette création chez les plus éclairés de ces sortes de boudoirs qui constituent des espaces permettant des moments de plus grandes intimités. D'où également l'usage par les nomades des lieux de travail domestique qui leur permettent de travailler en paix chez eux et qui viennent au bureau principalement pour les réunions. Une interrogation cependant, celle du comportement des jeunes générations qui viennent sur leur lieu de travail avec leurs baladeurs sur les oreilles et qui les gardent durant leur travail ce qui leur permet d'être coupés du monde qui les entoure tout en étant devant leurs écrans pour travailler dans des équipes quasi virtuelles puisque réparties en divers endroits non directement accessibles. Eux, vous pouvez les mettre comme vous voulez dans des open space, cela leur est égal puisqu'ils sont bien ici mais, en fait ailleurs...
Enfin, après une phase de généralisation du principe de l'open space, assiste-t-on à un retour en arrière et dans quelles proportions ?
Comme je le disais, il existe déjà une tendance à créer des fractionnements pour des fonctionnalités d'usage de travail... Il y a incontestablement un retour en arrière par rapport aux grands plateaux avec une tendance à jouer avec une modulation des espaces grâce à des cloisons ou des séparations à mi-hauteur (environ 1,70 m) de façon à se retrouver assis dans des espaces plus intimes tout en étant debout dans des espaces plus larges ( ce qui permet aussi d'avoir plus de lumière qu'avec des cloisonnements complets).
Par ailleurs une attention beaucoup plus grande est portée à l'agencement relatif des espaces les uns par rapport aux autres, par exemple en fonction des besoins de circulation. On pourrait dire qu'il y a en quelque sorte une découverte des agencements à la japonaise qui, dans de vastes pièces arrivent, par des jeux de paravent à aménager des intimités relatives sans jamais fermer. C'est tout un art... 
Interview réalisée pour la préparation d’un article sur le management en open space pour France 5 emploi.

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