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Politique et morale sont-elles compatibles ?

Publié le 31 mai 2010 par Abarguillet

POLITIQUE ET MORALE SONT-ELLES COMPATIBLES ?


La clémence des princes n'est souvent qu'une politique pour gagner l'affection des peuples.  LA ROCHEFOUCAULD

Si les politiques étaient moins aveuglés par leur ambition, ils verraient combien il est impossible qu'aucun établissement, quel qu'il soit, puisse marcher selon l'esprit de son institution, s'il n'est dirigé selon la loi du devoir... 
  J.J. ROUSSEAU

Quel est, en définitive, la finalité, ou plus précisément  le but, de l'acte politique ? Est-ce le souverain bien, la liberté, la sécurité des peuples ou, comme l'affirme Aristote, le bonheur ? Et à quelle condition une autorité politique est-elle légitime et en droit d'exiger l'obéissance ? Poser ainsi la question renvoie immédiatement à un problème spécifique : la pratique du pouvoir doit-elle se soumettre à la morale ou bien l'art de gouverner peut-il, voire doit-il, s'affranchir parfois de cette tutelle ? La réponse mérite réflexion.
Kant a abordé le sujet de façon frontale dans les deux appendices au Projet de paix perpétuelle. Ainsi pour le philosophe, la question principale est-elle de savoir s'il est préférable que la politique se soumette à la doctrine de la vertu plutôt qu'à celle du droit, tant il est vrai que ce qui compte le plus pour les hommes est le respect effectif des lois, quels que puissent être les motifs de ce respect. Si bien que l'action politique, en règle générale, doit non seulement se fixer des fins conformes au droit, mais aussi employer, pour y parvenir, des moyens adéquats. Cela signifie également qu'une communauté humaine n'est pas un agglomérat mais une organisation unifiée par une fin qui est à la fois celle de chacun et celle de tous.

En d'autres termes : le seul moyen de conserver le pouvoir serait d'user, à point nommé, de la force et de la ruse. On comprend alors que le souci de Kant n'ait pas été seulement d'établir que la politique se doit de se conformer à la morale pour être équitable et juste, mais d'affirmer que puisqu'elle le peut, il est souhaitable qu'elle s'y astreigne. Le philosophe démontre ensuite que si les principes du droit sont vérifiables et praticables, il lui semble nécessaire et impératif de les utiliser... selon le principe que l'honnêteté reste la meilleure des politiques. Sans pour autant abandonner la prudence indispensable à toute politique, l'homme d'Etat a obligation de la subordonner à ce droit. Ainsi la politique morale est celle qui poursuit sans cesse le droit, en tenant compte des circonstances et en évaluant les risques. C'est la raison pour laquelle Kant a toujours manifesté, à l'égard des révolutions aveugles et improvisées qui passent outre à la prudence et plongent les peuples dans le désarroi et l'insécurité, sa vive désapprobation.
Le philosophe s'oppose de fait au machiavélisme qui exhorte à gouverner en divisant, en niant la vérité, en agissant d'abord et en s'excusant ensuite ; maximes qu'il juge d'autant plus immorales et dangereuses qu'elles ne débouchent que sur des compromis provisoires et, a fortiori, périlleux. Car évincer d'un projet politique l'idée du devoir, et affirmer que la nature humaine est pervertie et non amendable, n'est ni plus, ni moins, nier la liberté de l'être. Or aucune expérience n'autorise à affirmer que la nature humaine est définitivement pervertie...

Les partisans d'une politique affranchie de la morale ne sont pas moins légion et ne se privent pas d'évoquer à ce sujet la perversion de la nature humaine, afin de justifier les libéralités que l'homme d'Etat est  tenté de s'octroyer afin de justifier ses fréquents abandons des principes légaux. C'est à cela que Machiavel pensait lorsqu'il écrivait dans Le Prince, chapitre XV : "...celui qui laissera ce qui se fait pour cela qui se devrait faire, apprend plutôt à se perdre qu'à se conserver ; car qui veut faire entièrement profession d'homme de bien, il ne peut éviter sa perte parmi tant d'autres qui ne sont pas bons. Aussi est-il nécessaire au Prince qui veut se conserver, qu'il apprenne à pouvoir n'être pas bon, et d'en user ou n'user pas selon la nécessité".
C'est ainsi que la thèse kantienne fut souvent contestée par une tradition de pensée issue de Machiavel postulant pour un homme corrompu et un monde mauvais que l'on ne peut en aucune façon gouverner avec de bons sentiments. Rousseau lui-même est allé dans ce sens quand il écrivait, dans Le Contrat Social, qu'il faut prendre les hommes tels qu'ils sont et les lois telles qu'elles peuvent être et lorsqu'il se gardait d'exclure l'usage de la force, notamment contre celui qui se refuse d'obéir à la volonté générale. Selon lui, l'Etat devait être le garant de la sécurité des citoyens, et tout homme qui choisissait d'en faire partie devait être assuré que les lois le protégeraient aussi bien que chacun des autres membres de cette communauté. Quant au Cardinal de Retz, il énonçait un précepte incisif :  Les Etats n'ont pas d'alliés, ils n'ont que des intérêts.
Car jusqu'où peuvent aller les exigences du Bien commun ? Est-ce que chaque individu, quel qu'il soit, quelles que soient les circonstances, est assuré que son bien personnel coïncide toujours avec le Bien de la communauté ?

Cependant, s'il n'y a pas lieu d'opposer l'éthique de responsabilité à celle de conviction, il n'y a pas lieu, non plus, d'opposer radicalement la pensée de Kant à celle de Machiavel. Pour le premier, une politique conforme à la morale est indispensable parce qu'elle rappelle que le droit reste la priorité absolue ; pour le second, la politique doit avoir le mérite du réalisme et se souvenir que la sphère politique se distingue des autres par son horizon de violence et qu'il revient donc à l'homme d'Etat d'endosser ses responsabilités sans omettre qu'il y a en politique une spécificité particulière. Si l'idéal est " La cité des fins" de Kant ou " La société ouverte" de Bergson, la réalisation de cette communauté n'en semble pas moins un rêve quasi inaccessible qui nous ramène inéluctablement à Aristote : " La cité est une communauté de semblables, et qui a pour fin la vie la meilleure possible". 


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