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Lionel Duroy, Le chagrin, Julliard

Publié le 30 mai 2010 par Irigoyen
Lionel Duroy, Le chagrin, Julliard

Lors de l'émission « Jeux d'épreuves » du 15 avril 2010, - présentation : Joseph Macé-Scaron -, j'ai parlé de ce livre avec d'autres chroniqueurs : Clara Dupont-Monod, Frédéric Ferney et Baptiste Liger.

Lionel Duroy, Le chagrin, Julliard

C'est une plongée à laquelle nous convie Lionel Duroy. Une plongée dans un univers familial, celui des Dunoyer de Pranassac. Le narrateur, William, est l'un des onze enfants de Suzanne et de Théophile, deux êtres qui se sont dits « oui » dans une autre vie, à un âge où, aujourd'hui, on chercherait davantage à partir de chez soi qu'à imiter un modèle connu.

Théophile, surnommé Toto est l'unique enfant d'Henri Dunoyer de Pranassac, capitaine de cavalerie à la retraite et de sa femme Alix, sans profession. Dans cette famille au sang bleu, on ne plaisante pas avec les idéaux politiques. L'arbre généalogique s'enorgueillit de compter des maréchalistes. On revendique son monarchisme, tendance camelot du roi. Action Française en somme. Suzanne, la mère, est la fille d'Henri Verbois, négociant en rhum et spiritueux et de sa femme Simone, elle aussi sans profession.

Lionel Duroy nous montre les coulisses de ce théâtre familial. On y apprend qu'un des fils, Frédéric, a failli mourir du choléra. Qu'un autre frère est mort à la naissance. Tout cela est dit sans pathos, sans volonté d'arracher des larmes au lecteur. On est ici dans le factuel. Et c'est précisément la « neutralité » de cette description que j'ai trouvé stupéfiante. Car le tragique n'en est que plus patent. Ainsi, quand la famille est expulsée d'un appartement parce que le père fait des affaires qui tournent mal ou quand l'inconséquence de Toto a pour effet de faire expulser les enfants de l'école. Des enfants qui cachent à leur mère que leur propre géniteur est complice de l'école buissonnière en les faisant travailler dans sa voiture.

Dans ce livre, on change donc souvent de lieux d'habitation. On subit la tension entre Suzanne et Théophile. On assiste aux mensonges permanents. On voit des bambins sans cesse brinqueballés. On assiste, médusé, à l'hospitalisation du narrateur à cause d'une hépatite, auquel son père ne daigne même pas rendre visite. On se demande bien qui ils aiment les parents Dunoyer de Pranassac.

Si, ils vibrent pour des gens qui, comme eux, n'aiment pas grand monde. Ils applaudissent au putsch des généraux à Alger. Salan, Jouhaud, Zeller, Challe : voici leurs idôles. Il y a aussi d'autres personnalités d'extrême-droite qui arrivent à se faufiler dans cet univers familial pendant que les enfants sont en permanence livrés à eux-mêmes.

Pas surprenant après que le narrateur soit saisi de colère. Colère vis-à-vis de Suzanne, surtout. Sa mère.

William tente comme il peut de canaliser cette haine. D'abord en devenant journaliste : à l'Agence Centrale de Presse puis à Libération. Entre les lignes, on comprend qu'il arrive là parce que, jusqu'à présent, on l'a privé de cet intérêt pour les autres. Et puis, il écrit William. Il écrit un livre intitulé Priez pour nous, titre d'un livre écrit par Lionel Duroy – ce qui interroge d'ailleurs sur la part de vérité de ce « roman » -.

L’écriture me sort de mon chagrin

C'est l'écrit qui va être à l'origine d'un clash familial. William se retrouve seul contre tous les membres du clan parce qu'il a osé parlé, il a osé « s'attaquer » à la famille. Cette nouvelle aventure, il la vit aux côtés d'Agnès avec qui il deux enfants : Raphaëlle et Julia. Puis ce sera Blandine, après Agnès et à nouveau un enfant, une fille : Pauline.

Le livre montre merveilleusement l'éclosion progressif d'un individu qui cherche en permanence à se construire malgré un passé handicapant. C'est lui, et lui seul, qui ira trouver sa mère pour lui dire tout le mal qu'il pense d'elle – il y a une formidable scène de leçon de conduite qui peut, évidemment, être comprise symboliquement -.

Le livre est une magnifique lutte pour apprendre les notions de vérité mais aussi et surtout de tolérance, sans jamais verser, non plus, dans le discours politique opposé, aveugle, angélique. J'ai été pris par le parcours de ce confrère journaliste, William, – quel beau prénom n'est-ce pas ? - qui réussit à surmonter cette :

tristesse silencieuse

et à se défaire de cet environnement familial tout en ne cessant de signifier son appartenance à ce groupe. Ainsi, William dit-il toujours « notre » mère.

Il y a chez ce narrateur - qui revient de loin - un courage évident lié à ce combat pour la vérité qui supplante tout :

J'étais bien placé pour savoir combien les livres peuvent être destructeurs, et cependant je ne connaissais pas de plus sûr moyen de garder auprès de soi ceux que nous aimons le plus.

Vous l'aurez compris : je suis totalement sous le charme de ce livre qui, pour moi se compose de deux parties : une première partie qui est davantage un récit et une seconde, plus romanesque. Normal puisque William n'est qu'un spectateur dans ses premières années de vie. Il ne semble rien contrôler. Il est vraiment acteur dans la seconde moitié. On voit l’éclosion très progressive de ses sentiments. Sentiments toujours montrés avec une infinie pudeur. Je sais que ce distinguo – récit/roman - a déjà été fait à propos de Priez pour nous. Pour moi c'est un tour de force de manier ces deux genres littéraires, de passer de l'un à l'autre sans que jamais cela ne se remarque.

J’ai beaucoup aimé que l'Histoire contemporaine s'invite constamment dans ce livre, que ce soit quand Lionel Duroy raconte les soirées où il croise l’un des lieutenants de Jean-Marie Le Pen, Roger Holleindre – un ancien de l'OAS -, que les années 70 ou 80, les années Libération – dont le narrateur étrille au passage un des anciens patrons, Dominique Pouchin -.

Lionel Duroy interroge l’intime mais l’intime d’extrême-droite, encore plus pernicieux, qui donne des envies d'ailleurs. J’ai beaucoup de compassion pour ce narrateur qui, – et ça, l'auteur le montre très bien – parvient finalement à la rupture. J’ai apprécié le discours mesuré sur la Nouvelle-Calédonie, sur le conflit algérien – on le sent plus proche d’un Camus que d’un Sartre -.

Un très beau livre.


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