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1974 – 1979 : Exil en Europe.

Publié le 03 juin 2010 par Minisym

Bien que né aux États-Unis, Moondog se considérait comme « un européen en exile » ; son cœur et son âme étaient en Europe. Il avait, disait-il, un pied aux États-Unis et un autre en Europe, un pour le présent et l’autre pour le passé. De plus, sa mère avait des origines allemandes et son père scandinaves.

En 1974 on lui propose de venir donner une série de concerts en Europe, à Francfort. N’ayant jamais réellement trouvé sa place en Amérique, il saute sur l’occasion. Il décide de s’installer là bas, en Allemagne. Trois année plus tard, aux Etats-Unis, le chanteur Paul Simon annoncera officiellement à la télévision que « Moondog n’est plus » lors de son émission Paul Simon Special, persuadé que Moondog était décédé à linstar de nombreux newtorkais passant devant le Moondog’s Corner vide de son habituel occupant.

Mais en Allemagne, très rapidement il retrouve alors sa vie de mendiant faute d’argent. Tom Klatt, un jeune allemand qui avait entendu la musique du compositeur à la radio fut le premier à aider Moondog à son arrivé en Allemagne. En l’hébergeant chez lui il risque de se voir expulsé de chez lui par ses propriétaires alors même que sa compagne et lui venait d’avoir leur premier enfant. Il lui fit rencontré des amis, des musiciens, organisa des concerts. Ilona elle, assura alors la fonction de manager et fonde Managam Musikverlag afin de promouvoir l’œuvre du compositeur.

En 1977, Jean Jacques Lemêtre à l’époque Directeur du Département Musique au « CREAR » (Centre de formation permanente pour les Arts) à Gouvieux, organise la venue de Moondog en France. L’histoire débute lorsqu’il demande à Martin Meissonnier – manager de son groupe Prospection (alors composé de Jean-Jacques au basson et cromorne, Yves Gourhand à la clarinette, François Février au trombone, Ghislain Mathiot au saxophone alto, François Laizeau à la batterie et Jacques Riou aux flûtes) – de rechercher des partitions de Moondog que tout le monde considérait comme décédé.

Martin remonte jusqu’à la Columbia, qui lui annonce que les royalties sont toujours versées à Moondog à Oer Erkenwick en Allemagne. Il se rend donc, sans prévenir, à l’adresse donné par la maison de disque. Arrivé là bas il vit Moondog, assit devant la maison, au soleil avec ses vêtements de Viking. Ils discutèrent tous les deux de la vie de Moondog à New York, des jams qu’il y faisait à 5 heures du matin avec Dizzy Gilespie lorsqu’il sortait de boite.

C’est à cette même époque que Moondog fit la connaissance d’Ilona Goeble alors agée de 24 ans. Avec elle il allait fondé Managarm (« chiens ou loups de la Lune » dans la mythologie nordique), la société qui aujourd’hui encore gère les droits du compositeur. Elle l’aidait à retranscrire en partition toutes les mélodies auxquelles Moondog pensait en permanence et devait être prête à tout instant. En effet Moondog composait dans sa tête et le simple fait d’entendre un instrument nouveau ou de rencontrer quelqu’un avec qui il sympathisait était prétexte à la composition d’un morceau, ce qui explique l’œuvre gigantesque qu’il a laissé derrière lui. Plus tard Ilona allait devenir sa compagne, et son infirmière, mais aussi lui imposer de ne plus porter ses costumes de Viking, lui couper barbe et cheveux, et même lui faire cesser de jouer du trimba, afin qu’il ait « l’air d’un compositeur sérieux ».

Quoi qu’il en soit Martin proposa alors à Moondog de venir jouer lors d’un concert organisé par France Musique (à l’époque dirigée par Louis Dandrel) dans le cadre d’une série de concerts improbables placés sous la houlette d’Eric Dietlin et donnés à la salle Gaveau à Paris (VIIIe), lieu de représentation essentiellement tourné vers la musique de chambre. A Paris Moondog et Ilona logeaient chez Catherine Deloche, une amie de Martin aujourd’hui productrice à France Musique. La première chose que Moondog voulu faire en arrivant là bas fut de toucher les canons de Napoléon aux Invalides. Libération en avait tirer une pleine page sous le titre « Wagner à Dysneyland », un article de Fabien Roland Levy.

D’après Patrick Augelet, à l’époque élève de Jacques Riou et Jean-Jacques Lemêtre au conservatoire de Paris VIIIe, il avait été très difficile de réunir des musiciens « classiques » capables de jouer les partitions tout à fait déconcertantes de Moondog en plus des musiciens de Prospection. Ces musiciens avaient beaucoup de mal à mettre en place les morceaux de Moondog, peu habitués à ces rythmes syncopés et décalés. Ceux, plus rompus au jazz, semblaient mieux s’accommoder de ce style inhabituel à la musique classique. Ils sentaient le rythme au feeling tandis que les musiciens classiques eux, essayaient de compter les temps et quarts de soupirs… ils avaient eu beaucoup de mal !

Bien qu’émanant des grands orchestres parisiens, la leçon de mise en place rythmique donnée par Moondog au piano, dans l’un des grands studios de la Maison de la Radio où se déroulaient les répétitions, fut nécessaire à tous. Il se tenait debout au piano, tapant du pied certains rythmes avec la plus grande conviction et stabilité, tout en frappant impeccablement sur le clavier les accords en contretemps subtils, et chantant en plus allègrement les autres parties mélodiques. A la difficulté dûe à la particularité des oeuvres de Moondog s’ajoute le fait que la radio n’avait voulu payer que deux répétitions alors qu’il en aurait fallut beaucoup plus pour que tout le monde soit au point.

Le concert se déroula entre scepticisme des uns et enthousiasme des autres. Interloqué, le public se posait de nombreuse questions sur la musique de Moondog, tant la fraîcheur et l’innocence de ce dernier étaient confondantes : petites mélodies simples répétées en écho à l’envie, airs dansants bien rythmés reflétant l’éternité, compositions jazzy à la mise en place pointue, canons symphoniques à la frontière du baroque et du romantisme, toute la panoplie d’un rêveur mythique y était.

Jacques Riou raconte que parmi les airs auxquels il participait, il y en avait un qui était relativement difficle rythmiquement et qu’il jouait seul, avec Moondog au célesta. Il s’agissait de la Chaconne in C, un 5/4 rapide à environ 200 à la noire. « Tout se passa bien, rythmé et dansant jusqu’à la fin du morceau… mais aux dernières mesures, sans doute trop relâché car arrivant à la fin, j’ai inversé un rythme… au 1/10ème de seconde près, véritable Lucky Luke du tempo, Louis a inversé le sien, me remettant sur les rails illico-presto… Maestro ! ».

Il ajoute qu’à la fin du concert Moondog demanda au premier violon, Michel Ripoche, de traduire sa requête à l’ensemble des cordes, on pouvait voir ses yeux s’arrondir : « … Qu’est-ce qu’il veut ? … un ré ? … oui, en noires ! … des noires ? … oui… sur la pulsation ! …???????? … » et puis Moondog a commencé. “ "… boum… boum… boum… boum…” " faisait imperturbablement le gros tambour tenu par Moondog pour introduire ce qui allait devenir Vercingétorix, Jean-Jacques conduisant la ligne mélodique avec un cromorne mythique entre ses doigts, suivi tant bien que mal par des “ "ré” " arco sur les temps, pas trop concernés… et pourtant on aurait pu voir Vercingétorix à travers le visage barbu du maestro, digne des druides les plus celtiques… Ré… Ré… Ré… Ré… Ré… Ré…et là-dessus les membres de Prospection agitaient des clochettes, des crécelles et autres woodblocks & chimes… transportant l’auditoire ailleurs… finalement, ce fut un succès.

Cette période de la fin des années 70 est particulièrement prolifique pour le compositeur. En effet, entre 1977 et 1979, Moondog livrera pas moins de 4 albums – Moondog in Europe (1977), Moondog – Selected Works (1978), H’Art Songs (1978) et A New Sound Of An Old Instrument (1979). Quatre albums fortement marqués par ce majestueux instrument qu’est l’orgue. Très jeune Moondog s’intéressait déjà aux vieux instruments, adorait les toucher et composer un petit morceau pour chacun d’eux. Il avait déjà commencé à composer pour orgue dans les années 50 sans pouvoir enregistrer ses compositions sur l’instrument pour lequel elles étaient destinées, ainsi il existe de vieux enregistrements d’Oasis ou de Single Foot. De plus, l’orgue est un instrument classique par essence et Moondog à toujours eu une préférence pour la musique Classique par rapport au Jazz.

En 1978 il travail également avec l’organiste Paul Jordan sur un album qui devait s’intitulé Canons On The Keys. Il s’agissait de 28 compositions de Moondog issues de l’Art of the Canon Book I-III et Logrundrsur jouées sur l’orgue Hillebrand de l’Eglise Saint-Martin à Dortmund Gartenstadt, mais le disque ne fut jamais réalisé.


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