Par Françoise Dargent - http://www.lefigaro.fr/
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Pascal Ayerbe et son fils Trio. (DR)
Des Têtes Raides à Franz Ferdinand, les artistes dans le vent fredonnent pour les petits. Coup d’oeil sur un phénomène.
Sont-ilstous retombés en enfance ? Hal Singer, qui revisite Au clair de la lune au saxophone, Didier Lockwood qui s’attelle à Ainsi font, font, font les petites marionnettes, Francis Cabrel et Pierre Lapointe qui prêtent leur voix à un conte écrit par Gilles Vigneault, jusqu’à Jean-Claude Vannier, compositeur chéri des grands noms de la chanson française, qui propose aux petites oreilles L’Orchestre d’enfants.
L’année dernière, on ne parlait que du Soldat rose, conte musical imaginé par Louis Chedid et Pierre-Dominique Burgaud. Eux faisaient le pari de réunir pour deux représentations le beau monde de la scène française, de Vanessa Paradis à M. Le résultat s’est mesuré à l’aune de guichets fermés. Cette année, aux Francofolies de La Rochelle, on ne s’étonnait donc même plus de voir certains membres des Têtes Raides chanter devant un parterre de têtes blondes. Demain, c’est à Paris que la Coterie, l’émanation du groupe, sera à l’affiche pour un concert de musique très actuelle, dans le cadre de l’épatant festival jeune public Mino qui accueille également aujourd’hui les fantaisies sonores de Pascal Ayerbe et de son Trio pour un p’tit pois *.
Un album conseillé dès le saut du berceau
Et ce n’est certainement pas fini, car le phénomène n’est pas propre à la France. Partout, les artistes dans le vent se mettent à la chanson pour enfants. Témoin en Angleterre, la réunion de Franz Ferdinand, The Divine Comedy, Belle and Sebastian jusqu’au toujours fringant Jonathan Richman pour Colours are Brighter, un album conseillé dès le saut du berceau. Et ceux qui, hier, faisaient les beaux jours de la pop anglaise dans des salles de concerts enfumées, les leaders des groupes Pulp, Go Betweens et autres Tindersticks, visent désormais les cours de récréation avec leurs reprises tout en douceur des classiques de leur enfance (Songs for the Young, at Heart).
Les enfants semblent heureux, les parents respirent. Ceux qui se souviennent avoir passé leur prime jeunesse en rayant sur le tourne-disque les rengaines peu avouables de Chantal Goya en redemandent. Les plus branchés plébiscitent les albums Toto ou Tartare, édités par le duo Actes Sud Junior et le label Tôt ou Tard. Ils y retrouvent le chanteur Da Silva, jeune papa de 30 ans et ex-punk assagi, chouchou des adolescents, qui cisèle en paroles et musique l’histoire du Peuple des dunes.
Les artistes touchés par ce virus n’en démordent pas. Ils trouvent un grand plaisir à chanter pour les enfants, comme l’explique Christian Olivier, des Têtes Raides : «Il ne faut pas se mettre de frein, se dire qu’on écrit pour les enfants. Il faut aller vers la simplicité, ne pas négliger l’humour. Un moment de poésie ne nuit pas. Je crois me souvenir que j’ai écouté très tôt de la musique pour adultes. Aujourd’hui, dès 5 ans, les enfants peuvent écouter du rock.»
Le violoniste de jazz Didier Lockwood, militant de la première heure, ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme : «Il faut absolument redévelopper le goût musical des enfants, même s’il y a, semble-t-il, plutôt une amélioration. Le problème réside dans le matraquage par la télévision et la radio qui se fait plutôt sur une musique d’animation assez pauvre.»
On n’hésite donc pas à mettre la barre haut. Et, pour certains, le saut dans l’inconnu devient une belle aventure. Romain Didier l’a expérimenté à travers son disque Pinocchio court toujours, un ambitieux et très réussi opéra pour enfants. À l’ensemble orchestral des Hauts-de-Seine et aux 70 solistes se sont ralliés Pierre Perret, Enzo Enzo ou Kent. «Ils étaient ravis d’être sollicités pour sortir de leur rôle traditionnel, explique Romain Didier. Aujourd’hui, ceux qui sont épanouis dans leur vie artistique ne refusent pas ce genre d’occasion. Il faut dire que l’enfant est considéré bien différemment qu’il y a trente ans.»
Un nouvel espace de créativité
Les chanteurs trouveraient donc là un nouvel espace de créativité, moins contraint que lorsqu’ils s’adressent à leur public habituel. Jacques Haurogné, le codirecteur de Mino, qui chante indifféremment pour un public adulte et enfant, évoque même avoir retrouvé « une forme de liberté ». «Être devant 500 enfants, c’est être devant 500 cerfs-volants : il faut les lâcher, les retenir, les rattraper.» Seul à interpréter sur scène, avec l’accord de l’auteur, les indémodables Fabulettes d’Anne Sylvestre, il constate, sept ans après le début de l’aventure, une évolution: «Les théâtres prennent aujourd’hui un peu plus au sérieux le jeune public. Et je crois que les artistes se décomplexent.» En mars prochain, il s’attaquera à une création autour des chansons d’Henri Salvador, une commande expresse du Théâtre d’Ivry en banlieue parisienne. La chanson douce a encore de beaux jours devant elle.
* Tél. : 01 44 61 86 79.