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Au nom de la mère; Erri De Luca

Par Sylvielectures
Voilà un court texte que j'ai aimé. Il est simple, clair, pur. Il parle de la nativité, une histoire des plus connues au monde, sans doute, et il la renouvelle, l'illumine même.
D'abord avec son titre "au nom de la mère", comme pour rétablir une vérité, un équilibre, à côté d"au nom du père"...
Ensuite parce que cette nativité nous est contée par la voix de Marie/Myriam, femme, mère, épouse silencieuse.
Enfin, parce que c'est un homme qui lui donne la parole en écrivant ce beau texte, et que je trouve ce geste magnifique et courageux.
L'auteur a donc choisi Marie pour écrire la maternité rêvée par un homme. Il rêve et tente de toucher à ce qui se passe dans sa chair, au plus profond de cette histoire intime universelle qui lie les mères à leurs enfants avant qu'elles ne les cèdent au monde et aux pères.
Ici, les géniteurs sont entre parenthèse, le temps de la procréation , de la gestation et de la naissance, comme pour mieux faire leur place aux pères, ceux qui aiment la mère pour ce qu'elle est, qui l'acceptent et qui l'accompagnent, trouvant et faisant ainsi leur place irremplacable.
Le texte met en scène une Marie inouïe de candeur et de force, portée par la seule ferveur pour son enfant à naître et l'amour pour cet homme qui l'accepte malgré le fruit qui signe un adultère. Cette force en elle lui permet de convaincre Joseph de l'aimer elle et son enfant, malgré la faute qui devrait l'envoyer à la lapidation et à la mort, et d'affronter ceux qui les excluent pour avoir transgresser les interdits sociaux et religieux.
J'ai aimé la manière dont cet auteur parle de la maternité en la rêvant à partir de cette figure biblique. A force de sincérité et de quête d'authenticité il arrive à extraire quelques phrases d'une beauté que je trouve assez exceptionnelle :
L'annonce de la maternité :
"Dans mon corps, dans mon sein s'était créé un espace. Une petite amphore d'argile encore fraîche s'est posée au creux de mon ventre."
"Je m'apercevais que j'étais plus grande et plus légère, précisément au centre de mon corps, au dessous de mes côtes, dans l'anse de mon ventre."
"Les mains croisées sur mon ventre plat, je touchais ma peau pour sentir au bout de mes doigts ma vie changée. C'était pour moi le premier jour de la création."
La maternité ;
"Pourtant j'étais heureuse d' être pleine, croître comme la lune, compter les semaines comme pour le tirage du vin, ne pas avoir de cycle, tout était une pureté qui me grisait de joie. La nuit, j'écartais la tente et je respirais le vent du ciel."
"C'est cette lumière qui t'attends dehors. Elle ne sert pas seulement à voir, c'est aussi de la chaleur. Tu sens la vague qui nous recouvre tandis que nous sommes allongés? Elle se nomme soleil. Mes yeux n'arrivent pas à le regarder, mais les tiens oui, protégés par l'eau de mon ventre."
"Telle est la nuit, une foule de mères éclairées qui se nomment étoiles : entre elles toutes, moi seule suis la tienne.
"Ce qui est étrange pour moi, c'est que je crois répondre à des questions que tu me poses. "
"Il occupe tout mon espace, pas seulement celui de mon ventre. Il est dans mes pensées, dans ma respiration, il sent le monde à travers mon nez. Il est dans toutes les fibres de mon corps. Quand il sortira, il me videra, il me laissera vide comme une coque de noix. Je voudrais qu'il ne naisse jamais."
Joseph devant la maternité :
"Ses mouvements me font une telle impression de l'extérieur, sur mon ventre, que je ne peux imaginer ce que tu éprouves, toi qui les sens de l'intérieur, au milieu de tes organes, sous le coeur, entre le foie et les reins. Quel effet cela fait-il, Myriam, de contenir un fils, un balluchon de fils, dans son corps?"
L'accouchement :
"Ici, il n'y a que nous, une chaleur de bêtes nous enveloppe et nous sommes à l'abri du monde jusqu'à l'aube. Puis ils entreront et toi tu ne seras plus à moi. Mais tant que dure la nuit,...,nous sommes seuls au monde...Imagine : nous sommes seuls au monde. Quel bonheur ce serait, aucune obligation à part vivre. Tant que dure la nuit, c'est ainsi."
"En est-il ainsi pour chaque mère ou bien cette nuit est-elle unique au monde? Avec toi, j'apprends le doute d'être n'importe qui, prise au hasard, ou bien la plus secrète. Seule certitude, c'est que tu m'écoutes."
"Dors, demain tu verras la première lumière de ta vie et tu auras près de toi ta première ombre. En moi, tu n'en faisais pas. Dors, rêve que tu es encore là, que ta vie a encore mon adresse. En rêve, tu pourras toujours y retourner."
"Quel vide tu m'as laissé, quel espace inutile en moi doit apprendre à se refermer. Mon corps a perdu son centre, à partir de maintenant nous sommes deux détachés, qui peuvent s'embrasser et qui jamais ne redeviendront une seule personne."
d' excellents billets sur Le blog de Jean Marc Bellot;aussi sur Coeur de mots, mots en choeurs; Antigone a aimé, Psykokwak aussi.

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