A en croire les affiches annonçant l’exposition de l’artiste coréenne Lee Bul à la fondation Cartier (jusqu’au 27 janvier), on s’attend à des objets jolis, fins, décoratifs, suspendus dans les airs, faits de perles, de cristaux et de résilles. Ces faux lustres se définissent comme un hommage à l’architecte fantastique Bruno Taut; ce sont des objets sensuels et aériens, qui colonisent l’espace et le jardin (Autopoiesis 2007). Mais, même si ces trop jolis vaisseaux se marient bien avec l’architecture de Nouvel, qu’il me soit permis de préférer, de cette artiste qui fut si avant-gardiste, les autres pièces montrées ici, autrement plus fortes, plus dérangeantes, plus rudes.
Le sol de tout le rez-de chaussée est un miroir; l’espace se dédouble, les oeuvres y prennent une autre profondeur et le corps des visiteurs s’y reflète joliment. On s’avance, incertain sur cette eau noire, craignant le vertige, la glissade. Tout au fond, une cabane noire nous appelle, elle a la forme d’une montagne hérissée de pics, certaines parois sont polies et mates, d’autres plus rugueuses. On y pénètre à deux ou seul, comme dans une caverne hospitalière. Une des parois, en contreplaqué, vous ramène dans un univers plus prosaïque. Coiffant un casque, parlant dans un micro, on se retrouve dans une chambre d’écho, le son se réverbérant sans fin. M’entend-on ? Ou bien tout cela n’est-il qu’une mise en scène, une mise en son destinée à moi seul ? Un léger vertige renaît, comme une sensation amniotique, primale. C’est Bunker (Mr Bakhtin), 2007. L’un de mes lecteurs pourrait-il nous éclairer sur Mr Bakhtin et sur sa pertinence ici?
A côté un bloc de glace (ou de fibre de verre), un cercueil, un sarcophage. On distingue vaguement à l’intérieur un corps, un mort en grand uniforme, tel Staline embaumé. C’est le dictateur coréen Park Chung-hee. Un flot de paillettes noires, qu’on veut croire maléfiques, s’échappe de son coeur, de son corps, de son tombeau et se répand sur le sol de la galerie. Avec cette ruine de l’histoire, Lee Bul fait là un travail politique et mémorial, sans doute rare chez les artistes coréens contemporains. C’est Thaw (Takaki Masao), 2007, d’après le nom japonais que le dictateur avait pris pendant la guerre.
Dans l’autre salle, on quitte la propreté immaculée pour s’aventurer sur des carreaux de faïence blancs plus ou moins cassés, éraflés. Une baignoire se dresse au centre, mais elle évoque plus la torture que les jeux aquatiques. Elle est couronnée de montagnes enneigées d’une blancheur étincelante, c’est un mont sacré coréen, lieu mythique de naissance de la nation. Son cratère est occupé par un lac, Heaven’s Lake, qui ici est empli d’encre noire, comme un miroir maléfique. (Heaven and Earth, 2007). Là aussi, c’est un lieu de mémoire et d’utopie, à la fois construction historique bien délimitée et élément universel.
(Au sous-sol, une exposition de photos assez monotones de Robert Adams, où de rares fulgurances marines ne font pas oublier l’ennui d’un discours écologique bien convenu)
Photo 1 : Autopoieisis 2007 Perles en cristal de nickel-chrome et d’acier inoxydable. Vue de l’exposition Lee Bul, On Every New Shadow Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 16 novembre 2007 - 27 janvier 2008. Photo: Patrick Gries. © Lee Bul © Fondation Cartier pour l’art contemporain.
Photo 2 provenant d’une autre exposition.
Photo 3 : Vue de l’exposition Lee Bul, On Every New Shadow Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris, 16 novembre 2007 - 27 janvier 2008. Photo: Patrick Gries. © Lee Bul © Fondation Cartier pour l’art contemporain.