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« Le journal intime de Benjamin Lorca » d’Arnaud CATHRINE est un livre riche, aux mots justes… un livre à relire.
Benjamin LORCA, trentenaire, s’est donné la mort. Il était un auteur à succès et ses dernières années de vie, il a arrêté de produire pour le public et a accepté de jouer ses textes avec un ami. Le roman nous livre les confidences de quatre de ces proches. A 15 ans de sa mort, 10 ans, 5 ans et juste après, les paroles prennent sens, nous livrent un portrait en creux de cet auteur. La présence d’un journal intime, resté secret (mais pas pour tous), révèle ou obscurcit encore le mystère et la pudeur de l’homme derrière l’écrivain.
Edouard l’éditeur amouraché, ressasse une histoire d’amour qui n’a pas eu lieu et cherche à tous prix à éditer encore du Benjamin Lorca, pour ressusciter l’auteur et faire que son œuvre lui survive encore et encore. Il y a aussi une vision de cette mise en publique des œuvres, une charogne de la vie d’autrui et presque de l’intimité avec une mise en lumière potentielle d’un écrit resté secret et découvert après sa mort : le journal intime de « celui dont on s’était habitué à ne rien savoir ».
Martin, le petit frère, maintenant professeur d’histoire, revient sur son insatisfaction de la relation fraternelle. Il dépeint les retours au nid parental et géographique de ce grand-frère prodige. Un ainé monstrueusement présent dans la vie de ses parents et cruellement absent dans la vie présente. Ce sont ses émotions qui arrivent en flot, sentiments d’un jeune homme qui veut être quelqu’un et être reconnu par son grand frère, les émotions aussi face aux autres, ceux qui connaissent l’homme ou l’auteur, il leur parle en « connaisseur complice » et ne se sent pas crédible. En plus de cette jalousie face à la reconnaissance de ses parents, Martin amène là le tragique de la vie de Benjamin, les failles qui auraient pu être visibles. Les livres et les intermédiaires culturels sont autant de paroles dans cette famille. Benjamin partage les livres en arrivant chez ses parents, les prête en pâture, offre de lui. « Emballements, agacements : Benjamin écoute les avis sans sourciller ; la littérature doit finir au milieu de l’arène, c’est sa vocation. » Le visionnage entre frères, une nuit, du documentaire, cinéma vérité « Chronique d’un été » de Rouch et Morin, est le passage apothéose. Une interrogée dans la rue, Marilou répond à la question êtes-vous heureuse : « Avoir un métier qui ne me fait pas peur… (…) C’est… c’est surtout… sortir de moi, c’est vivre, crever même, pourvu que ça me met en relation avec quelque chose qui… qui me fasse sortir de moi, c’est tout (…) … je n’ai même pas le droit… même pas le droit de me tuer, tu comprends, ça serait faux, absolument faux. »
Ronan, le nouvel ami, nous présente la fin de Benjamin Lorca. Il le ramène à Paris, avec les copains. Et c’est sa vie qui apparait : une vie de solitaire, une vie d’accompagnateur. Benjamin est présent et pourtant s’absente de ses propres confidences et des moments où il pourrait être soutenu. C’est toute la présence, toute l’amitié qui est décryptée. Le soutien et l’encouragement n’étant pas suffisants pour consoler et ramener à la vie.
Ninon ramène à la souffrance du deuil, à l’absence physique. Malgré que sa relation amoureuse avec Benjamin soit entre les lignes d’un livre, malgré cette présence des mots de cet être aimé et pourtant relégué en observateur, en accompagnateur de la vie familiale, elle souffre de l’absence des sons, de l’absence de présence, de l’absence des émotions.
Benjamin apparait en creux et bosses à travers ses monologues. Le malaise de Lorca est palpable. La différence entre l’écrivain et l’homme : l’un est public et l’autre souhaite passer inaperçu. Mais aussi cette impression de ne pas vivre : la vie n’aurait démarré qu’à son arrivée à Paris, Caen étant synonyme de l’ennui d’adolescent, de retour en terres intimes (casino et mélancolie), mais cette vie à Paris n’est qu’une façade… lui présent dans une famille, celle de Ninon, où il ne vit pas, lui mal accompagné parce que volontiers triste (un « garçon égaré » qui se laisse conduire, accompagné et aimé jusqu’au prochain intermédiaire d’affection), lui copain et ami mais qui se mure dans le silence et entre les murs de son appartement et boit pour ne pas dire son mal ‘être.
Quelques pages du journal intime apparaissent mais derrière les confidences de l’intéressé, ce sont encore plus les lacunes, les culpabilités des autres qui rendent ce livre si profond. La vision des uns télescopées par celles des autres donnent une densité à la vie de cet homme, qui n’était décidément pas « disponible à »… vivre.
C’est Lily par la finesse de son avis, cette présentation de ce livre triste et construit, qui m’avait donné envie de le lire, merci Lily. Si vous souhaitez plus d’extraits, allez donc la lire.