10 - 12
2007
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Stephen Byrne, écrivain raté, griffonne toute la journée dans sa villa au bord du fleuve. Son épouse Marjorie absente, Stephen, émoustillé par la toilette de la jeune domestique, Emily, qu’il a autorisée à utiliser leur salle de bains pour un problème de plomberie, va l’attendre sous l’escalier. Dans un univers totalement expressionniste, toutes les scènes d’intérieur étant filmées dans la pénombre, les personnages éclairés partiellement, le visage souvent masqué, le décor d’encre, on a droit à une splendide descente de l’escalier de la jeune femme dont on ne voit que les jambes nues sous le déshabillé «bon marché», comme on le dira au procès (une descente d’escalier dupliquée dans une scène suivante avec les jambes de l’épouse Marjorie disant la même phrase en apercevant Stephen, il lui a fait peur). Car, pour échapper à la curiosité de la voisine, Mrs Ambrose, Stephen va étrangler accidentellement la jeune femme, qui repousse ses avances en criant, pour la faire taire. Dans la foulée, John Byrne, le frère de Stephen, sonne à la porte, silhouette noire derrière la porte vitrée, il repartira de la maison, complice du meurtre. Mais pour cela, il aura fallu à Stephen des trésors d’imagination pour convaincre son frère ne pas le dénoncer à la police, comme inventer que sa femme Marjorie attend un enfant, et on verra plus tard la perversité de ce mensonge : John Byrne, homme solitaire handicapé par sa claudication, rodé depuis l’enfance à tirer son frère irresponsable du pétrin, est amoureux de sa belle-sœur en silence, pour elle, il va accepter de transporter le cadavre d’Emily qu’ils jetteront dans le fleuve.
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Film sur la culpabilité, le spectre d’Emily habite le récit, avec la hantise qu’elle va surgir du fleuve, que son cadavre enfermé dans un sac à bois va remonter à la surface, voir la scène où Stephen passe la nuit à traquer le sac dans le fleuve, perdant la raison. Film moderne où les allusions sexuelles sont explicites et filmées frontalement comme on le ferait aujourd’hui, les troublants plans de la baignoire qui se vide, le parfum de l’épouse, les jambes nues. Film d’un pessimisme aigu sur la nature humaine, la noirceur extrême du personnage de Stephen, sur le mariage, chaque mari étant un assassin en puissance (j’ai lu que Fritz Lang avait été accusé dans sa jeunesse en Allemagne d’avoir tué sa femme).
Après le meurtre, les deux frères se rendent à une party pour ne pas attirer l’attention, une scène qui en dit plus long sur le caractère de Stephen que ses exactions. Tandis que John est pétrifié dans un coin du salon, traumatisé par ce qui vient de se passer, Stephen danse comme une toupie avec toutes ces dames qu’il complimente et fait rire aux éclats. John, choqué, quitte la party, rattrappé par la manche par Stephen qui tente de l’amadouer "tu crois que je m’amuse?", "franchement oui", lui répond son frère. Non seulement son meurtre ne le frappe pas moralement, sauf pour avoir peur d'être démasqué, mais de la disparition d’Emily qui fait la une des journaux locaux, Stephen tire parti pour sortir de sa médiocrité et exister en tant qu'écrivain, signant à présent ses livres dont aucun éditeur ne voulait auparavant, allant jusqu’à envoyer sa photo au journal. La voisine envahissante, Mrs Ambrose, agit, mine de rien, comme le diable en disant au début à Stephen de pimenter ses récits si il veut être édité. Pendant la séance de dédicace, Mrs Ambrose lui dira qu’il faut écrire ce qu’on a vécu pour être un bon écrivain, lui donnant l’idée machiavélique de raconter le meurtre dans son prochain livre. Car le film va plus loin que la culpabilité, jusqu’où faut-il aller, à quel prix faut-il vendre son âme au diable, pour créer, écrire, filmer… et être reconnu, connu…
Tourné en 1950, ce film n’eut aucun succès, puis, demeura longtemps introuvable, apparemment occulté par Fritz Lang. Film noir dramatique tourné dans le noir, où terreur et érotisme se frayent un chemin dans les ombres, on a rarement vu une telle correspondance entre la noirceur de l’image et celle de l’âme humaine gangrenée par d’incontrôlables pulsions, mêlant inéluctablement le sexe et la mort. Correspondant à l'inconscient de la plupart des films de Fritz Lang, on croit comprendre pourquoi il zappait le film, tout y est trop explicite. Le second film du coffret "Le Secret derrière la porte" (tourné avant) est dans la même veine mais beaucoup plus onirique, moins pessimiste, accordant une chance de rédemption au héros, même in extremis…
Ce film existe en DVD collector ou dans le coffret de 4 dvd "Les Introuvables" avec "Le Secret derrière la porte", "Le Tigre du Bengale" et "Le Tombeau hindou".
Note CinéManiaC :
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Mots-clés : cinéculte, cinéfilmnoir, cinéma américain, Fritz Lang, The House by the river