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Starship Troopers

Par Ledinobleu

Couverture de la dernière édition française du roman Starship TroopersAprès la grande guerre atomique de la fin du XXe siècle, le monde ne fut plus que chaos et désordre. Pour éliminer les hordes barbares qui s’étaient formées, les survivants durent remettre leur sort entre les mains de l’armée. Un siècle plus tard la civilisation, arrivée à l’âge des étoiles, restait dirigée par les militaires.

Dans cet univers, Juan Rico s’engage le jour de ses dix-huit ans dans l’Infanterie Spatiale. Il ne sait pas quel sort terrible attend le fantassin qui, sur les mondes lointains, affronte les armées arachnides…

Certains livres parviennent à vous remuer les tripes beaucoup plus que d’autres, et j’aime penser que ceux-là sont les meilleurs bouquins. La première fois que j’ai lu Starship Troopers, à 20 ans, j’étais choqué, tout simplement, et je crois que ç’a été le cas de beaucoup d’autres. Si vous êtes d’accord avec moi à propos de l’affirmation faite dans la première phrase, alors vous admettrez peut-être que Starship Troopers est un des meilleurs ouvrages du genre de la science-fiction rien que par cette facilité qu’il a à faire hurler le lecteur au scandale. Malgré tout, je le relus quelques temps plus tard et réalisai que je n’en avais en fait rien compris à la première lecture. Et puis il y a quelques années, j’avais besoin de me rappeler le nom de famille du capitaine d’un des vaisseaux de transport de troopers, et j’ai rouvert le livre : si ce nom se trouvait à la fin du premier chapitre, j’ai néanmoins poursuivi ma lecture pendant toute la nuit, en ingérant la moitié du même coup. Il n’y a pas beaucoup de livres qui m’ont fait ça, et certainement pas parmi ceux que j’avais déjà lu.

Dérangeant, Starship Troopers l’est assurément, rien que par la façon dont il s’attaque à la démocratie, mais Socrate et Platon – entre autres – ont bien fait de même en leur temps. On pourra voir qu’Heinlein s’attaque aussi à eux, même s’il le fait brièvement. Aussi dérangeante, pour ne pas dire horrifiante, sa description de la vie : toujours menacée, toujours luttant pour subsister, toujours mortelle puisque qu’on qu’on en dise on ne peut pas partir du principe que nos voisins ne nous voudront jamais du mal ; précisément le genre de chose qu’on souhaite oublier de toutes ses forces mais sur laquelle l’auteur reste sans concession. En effet, la lutte pour la vie demeure le plus ancien combat du monde, depuis bien avant que l’Humanité commence à en fouler le sol d’ailleurs, de sorte qu’elle acquiert ainsi la valeur d’une « science dure » dans le sens où elle est universelle puisqu’elle repose sur une certitude qu’on pourrait presque qualifier de mathématique tant elle n’épargne rien ni personne – tout comme peut le faire la gravité par exemple, et en quelque sorte. C’est là une interprétation pour le moins inattendue du courant Hard Science de la science-fiction, cette branche du genre qui base ses récits sur des bases scientifiques très solides et donc imperméables aux opinions personnelles (1) ; branche qu’Heinlein contribua d’ailleurs à fonder auprès d’auteurs de renom tels qu’Isaac Asimov ou Arthur C. Clarke durant l’ »Âge d’Or » du genre, et même si ces deux auteurs restaient loin de partager les idées qu’expose Heinlein dans Starship Troopers. Et si tout esprit un tant soit peu rationnel ne pourra que s’insurger devant une telle conception des choses, pour le moins conservatrice, surtout au sein des cultures européennes qui ont toutes connu un long passé guerrier, c’est pourtant bien cette Histoire-là qui devrait nous amener à considérer certaines des vérités qu’assène l’auteur de ce livre…

Dans le même registre du dérangeant, et qui cette fois passe plus difficilement, on peut citer les valeurs d’Heinlein sur l’éducation des enfants ; valeurs qui sentent bon les idées d’antan où on considérait les très jeunes comme des espèces de petits animaux évolués qu’il fallait éduquer en conséquence : manière de procéder qui a fort heureusement été écartée – même si elle subsiste encore chez certains qui ne brillent pas par leur modernisme – après que les progrès des médecines de l’esprit aient démontré tout le mal que de telles méthodes éducatives pouvaient provoquer. Ainsi, les raisons qu’évoquent Heinlein pour expliquer la chute de la civilisation dans l’univers fictif de Starship Troopers se teintent-elles d’une forme de conservatisme qui d’une part cadre assez bien avec le reste du livre, et d’autre part évoque une certaine dramatisation du reste pas du tout inhabituelle dans une production littéraire mais qui semble ici trop exagérée pour convaincre vraiment. Car en fait, ce sont peut-être ces méthodes éducatives des temps anciens qui sont responsables de l’esprit primitif de nos ancêtres finalement, et donc de la sauvagerie de ces temps passés sur lesquels s’appuie Heinlein pour soutenir sa thèse : en effet, quelques connaissances en psychologie soulignent la nécessité de l’affection et de l’amour dans le rapport entre parents et enfants, au moins pour éviter la plus grande partie des déséquilibres mentaux profonds où prennent racine cette violence et cette délinquance dont l’augmentation croissante a provoqué la fin du monde civilisé dans le futur décrit par ce livre. Plus prosaïquement, le remède ici préconisé par l’auteur pourrait bien en fait devenir la maladie…

Et là où il n’est plus du tout possible de suivre Heinlein par contre, c’est sur sa position quant à la peine de mort, surtout par chez nous où elle reste bien moins populaire que dans beaucoup d’autres endroits, à commencer par la patrie de l’auteur. Les limites d’une telle condamnation sont en effet bien connues ; d’abord son barbarisme, évidemment ; ensuite, le fait qu’il n’y a jamais aucun moyen d’être absolument certain de la culpabilité d’un condamné alors que son exécution est forcément définitive ; également, la conviction que la mort d’un homme est un échec et que la peine capitale n’est jamais rien d’autre qu’un faux-fuyant pour une société qui renonce à combattre ses démons en les cachant sous le tapis, en quelque sorte ; enfin, le simple bon sens qui veut que la justice n’est pas un substitut à la vengeance mais une punition pour dissuader le condamné de recommencer – or, comment dissuader un mort ? Dans le même registre des idées très difficiles à avaler, la solution qu’il propose aux faiblesses de la démocratie : un régime semblable à celui qu’il décrit dans ce livre exista à Sparte il y a bien longtemps et s’il était idéal ces gens-là auraient probablement conquis le monde ; or nous savons bien que ce n’est pas le cas, ce qui en retour mine la propre théorie aux accents darwinistes d’Heinlein quand il affirme – au moins implicitement – que seuls les mieux adaptés survivent : pour le coup, il semblerait que Sparte, et donc le modèle de société décrit dans Starship Troopers, a trouvé mieux adapté…

Mais on ne peut pas reprocher à Heinlein de ne pas connaître son sujet, puisqu’il fut militaire– même si un problème de santé l’obligea à interrompre cette carrière – et il était en Normandie le jour du débarquement, ce qui semble une raison suffisante pour affirmer qu’il ne parle pas dans le vide – surtout lorsqu’on sait qu’Overlord fut une des opérations militaires les plus sanglantes de toute l’Histoire. De sorte que si Heinlein dénonce vraiment quelque chose dans cet ouvrage, c’est bien le système militaire tel qu’on le connait et tel qu’on le pratique de nos jours. Pour lui, le militariat passé et présent (et probablement à venir…) se résume en gros à une vaste blague, où en fin de compte seuls brillent les coups d’éclat des hommes qui ont su s’illustrer – même brièvement, puisque la plupart sont restés anonymes au final – dans la bravoure au nom de leurs convictions et de l’idéal qu’il respectait. Beaucoup de références à ce sujet sont donnés tout au long du livre mais surtout dans la dernière partie de l’ouvrage, qui témoigne de l’immense culture de l’auteur sur l’histoire de la guerre – la note historique à propos du soldat Rodger W. Young étant la plus évidente mais pas forcément la plus pertinente. De sorte que si Starship Troopers est une œuvre militariste, elle ne l’est pas forcément dans le sens le plus strict – souvent réducteur, pour ne pas dire caricatural – du terme : en réalité, Heinlein y fait surtout l’exposé de ce qu’il croit être l’armée idéale – tout comme Sun Tzu le fit en son temps dans L’Art de la Guerre quoique sur des bases intellectuelles très différentes – mais au final son idée semble bien trop idéalisée pour être vraiment convaincante, ce qui somme toute est le cas de la plupart des ouvrages aux accents d’utopies – faute d’un terme plus approprié dans le cas présent.

Bien sûr, il n’échappera pas au lecteur qu’à aucun moment tout le long de  son pamphlet Heinlein n’aborde le thème au moins sous-jacent de son discours : la guerre elle-même, cette abomination qui ne laisse que des veuves, des orphelins et des mutilés – au mieux – et marquent de stigmates indélébiles une génération entière – et parfois plus, la dernière mondiale en étant la parfaite démonstration. Il ne l’aborde pas car il sait bien qu’elle est indéfendable, et au lieu de ça se contente de décrire un modèle de société assez exalté, et donc plutôt naïf, où le conflit armé ne se produit que quand une nation est attaquée par une autre – donc pour se défendre, ce qui est une évidence plus qu’un droit – c’est-à-dire, en poussant son raisonnement à l’extrême, un monde où il n’y aurait plus de guerres puisqu’aucun pays ne souhaiterait en envahir un autre. Il est difficile à ce stade de ne pas voir le non-sens qu’induit une telle thèse, car pourquoi alors exposer son idée d’une « armée idéale » s’il n’y a plus d’ennemis possibles à repousser ?

En fin de compte, si Starship Troopers dérange, c’est surtout pour ses contradictions internes qui amènent son auteur à dire tout et n’importe quoi mais, et c’est ce qu’il y a de plus irritant, avec un style littéraire si fluide et persuasif que le lecteur en arrive vite à perdre de vue lesdites contradictions pour n’avoir plus d’autre choix que de se replier vers des convictions profondes – et tout aussi assurément respectables – pour tenter de contrecarrer les affirmations d’Heinlein alors que beaucoup d’entre elles – mais pas toutes – ne tiennent pas debout pour commencer ; s’il joue sur la corde sensible pour défendre ses idées, c’est une autre corde sensible qu’utilise le détracteur pour les attaquer, et la situation devient vite ubuesque – car reposant sur des convictions et des émotions au lieu du simple bon sens (2). Il reste néanmoins une définition pertinente de la fragilité de la vie qui, tout en étant évidente, s’évertue à vouloir se dérober à nos yeux : s’il s’agit d’un point de départ tout à fait pertinent, il est hélas ici manipulé par un auteur qui le pousse si loin qu’il se perd lui-même dans les détails de sa réflexion – ce qui en retour pénalise la perception de cette idée de départ et ainsi l’ensemble de l’ouvrage.

(1) mérite d’être signalé – ou rappelé – qu’Heinlein est aussi celui qui a suggéré de remplacer la signification de l’acronyme SF de « science-fiction » vers « speculative fiction » pour tenir compte de l’évolution du genre qui, au cours des années soixante, ne se basait plus uniquement sur des sciences dites « dures » (comme la physique ou la mécanique) mais aussi sur des sciences dites « molles » (comme la linguistique ou la psychanalyse, par exemple) : l’idée de départ sur laquelle Heinlein fait reposer l’univers de Starship Troopers – et qui frise la sociologie, c’est-à-dire une science dite « humaine » car très peu exacte – est assez typique de ce courant de pensée… Sous cet aspect au moins, d’ailleurs, Starship Troopers fait partie de ces productions qui annoncent presque le courant New Wave des années 60 et 70 – courant du genre où l’aspect humain du récit l’emporte sur la composante techno-scientifique.

(2) on reconnait bien là, d’ailleurs, une technique dialectique typique des politiciens se réclamant de « droite » – ce qui était, au passage, l’orientation avouée d’Heinlein – et qui consiste à adresser son argumentaire à la partie reptilienne du cerveau de l’auditoire – c’est-à-dire la plus primitive – en basant son discours sur les peurs et les angoisses qui empêchent les gens de réfléchir ; c’est une technique de manipulation des masses bien connue.

Note :

C‘est toute une branche de l’anime qui doit beaucoup à Starship Troopers car Heinlein est aussi l’inspirateur du « mecha réaliste » : si les premiers véritables mechas de la science-fiction apparurent dans La Guerre des Mondes d’Herbert G. Wells, sous la forme des tripodes martiens, c’est malgré tout des scaphandres de combat des troopers que s’est inspiré le studio Sunrise pour créer Mobile Suit Gundam, qui posa les bases d’un genre totalement nouveau du concept mecha dont l’évolution était restée assez figée depuis Mazinger Z. Plus récemment, des productions comme Gunbuster ou Voices of a Distant Star – parmi beaucoup d’autres – évoquent elles aussi le livre d’Heinlein et de très nombreux créateurs de l’industrie de l’animation japonaise affirment encore l’importance qu’a pour eux cet ouvrage.

Étoiles, garde-à-vous ! (Starship Troopers), Robert A. Heinlein, 1959
J’AI LU, collection Science-Fiction n° 562, 1974
320 pages, env. 6 €, ISBN : 2-290-33223-2

- l’avis de Claude Ecken
- prix Hugo, catégorie roman, en 1960
- adapté d’abord en OVA en 1988 par Bandai Visual et Sunrise, puis au cinéma en 1997 par Paul Verhoeven ; ces deux réalisations portent le titre de Starship Troopers


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