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Sorcellerie libertaire

Par Meta

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Il faudra attendre les débuts du dix-huitième siècle pour que se répande officiellement en Europe la position selon laquelle la magie n'est que le fait des charlatans. Dans une époque où la raison réclame le pouvoir, il n'y avait plus de place pour l'affirmation des manifestations du Malin. Si les miracles n'étaient pas encore remis en question par les souverains, les malédictions ne conservaient un sens que sur le plan littéraire. Si l'exigence du plaisir et le dictat de l'angoisse menaient l'homme à adhérer à l'existence de procédés magiques, sous l'autorité de la raison, il ne restait plus à l'homme rationnel qu'à injecter dans des créations artistiques et romanesques de l'irrationnalité. Qu'apporte la magie à celui qui, à défaut de supposer son existence, en rapporte les effets dans ses écrits ? Dans son livre « Magick in theory and practice », l'occultiste Aleister Crowley définit la magie comme « la science et l'art d'occasionner des changements en accord avec la volonté ». Si les définitions de la magie sont nombreuses, le point commun demeure la possibilité pour la volonté de déterminer des effets quittant l'agencement causal traditionnel de la nature, soit en engendrant un geste défiant la logique du monde, soit en produisant un mouvement conforme à un ordre caché du monde, un autre mode d'organisation de la nature. Quelle que soit sa forme, lorsqu'elle est efficiente et pas seulement un mode de positionnement ou simplement un regard mystique porté sur le monde comme dans le mouvement New Age, la magie est rupture. Elle est la césure opérée par un geste humain, la concentration d'un effort de l'homme qui actualise un pouvoir latent dans la nature. La magie, qui ne s'est jamais manifestée dans la nature avant l'homme, s'actualise lorsque la libre volonté humaine apparaît. A ce titre, la magie devient l'expression et le signe d'une tension de liberté humaine. Une fois posée l'impossibilité de la magie et sa disparition orchestrée par la rationalisme scientifique, la magie devient soit une posture et une manière d'entendre les choses, comme peut l'être l'alchimie dans son positionnement philosophal et non physico-chimique, soit peut devenir un produit littéraire, l'expression d'un monde imaginaire où elle prend alors la forme d'une activité symbolique. Dans les oeuvres fantastiques où elle est pratiquée, que l'univers présente des sorciers aux activités magiques sporadiques et dangereuses ou bien plutôt montre des individus qui ont intégré les sortilèges dans leur quotidien, la puissance magique est une tension de création, la possibilité pour s'abstraire de l'agencement déterminé de la physique naturelle pour engendrer l'originalité, quelque chose qui n'est pas impossible puisque cela advient, mais quelque chose qui n'est pas non plus possible puisque non contenu dans l'ordre physique et logique du monde. La sorcellerie est ainsi chargée de ce paradoxe d'être rendue possible dans les oeuvres littéraires, et d'engendrer pourtant de l'impossible théorique rendu possible en pratique par magie. Elle apparaît donc comme un effort pour nier le déterminisme, affirmer un certain anthropocentrisme, justifier les prétentions de la volonté en tant que puissance de commandement et d'initiation. Le romancier trouve-t-il dès lors dans la magie la possibilité d'affirmer ce qu'il ne peut penser dans le réel quotidien qui est le sien ? D'où provient ce besoin de faire appel à la magie pour rapporter la raison d'être d'événements dans la littérature ? Si la magie est invoquée pour rendre compte de ce qui n'est pas compris dans l'ordre réel, pourquoi l'écrivain fait-il appel à elle pour rendre compte de faits qu'il pourrait expliquer autrement ? Lovecraft est un romancier qui ne cesse dans ses écrits philosophiques d'insister sur la nécessité d'affirmer la matérialité des choses, l'impossibilité de toute magie, de tout mouvement divin, de tout principe extérieur à l'état physique et élémentaire de la matière mouvante. Pourtant, ses écrits sont pétris de croyances magiques, de rituels sacrificiels amenant des puissances infernales à pénétrer ce monde ou inversement à le quitter. La réponse est explicitement donnée par l'auteur : la littérature est le seul lieu où le délire est permis, parce qu'elle consiste justement en cela : l'expression du fantasme, la mise en forme de l'imagination, l'actualisation esthétique des angoisses et des désirs humains que l'expérience a stimulés. On peut dès lors émettre la supposition selon laquelle l'utilisation de la magie dans le roman est un procédé non pas explicatif des advenus, mais bien un outil esthétique, une proposition formelle pour soutenir des idées littéraires. Le chant du rituel est plus poétique et aussi efficace que le tir d'un avion militaire sur l'entité à bannir lorsqu'on se trouve dans le champ du roman. Les livres impies et les invocations démoniaques sont plus inspirants pour stimuler l'imagination et ouvrir sur un hypothétique ailleurs lorsque le romancier veut expliquer une disparition ou un meurtre ; là encore, le froid excès de folie d'un homme tyrannisé par ses parents dans son enfance ne suffit pas nécessairement à remplir les ambitions du romancier. Qu'on songe à la nécessité d'user d'un vocabulaire susceptible de transformer le monde perçu dans le cadre de la poésie ; le poète tente au fond d'enchanter le monde par le biais de ses paroles. Pour rapporter des sensations et décrire des paysages, parler de molécules enferme et détermine trop le champ descriptif, tandis que la métaphore et le magique ouvrent des chemins féconds de couleurs plus vives et de saveurs plus sucrées. La magie devient ainsi un mode d'effectuation de l'histoire, une manière de produire un récit qui ouvre des portes de fantasme pour l'imagination sans toutefois prétendre au réalisme. C'est en ce sens la volonté pour l'écrivain de fantastique de revendiquer dans son propre roman le droit à affirmer l'existence d'un libre-arbitre dont le réel quotidien le dépouille nécessairement. Si même ses pensées sont déterminées par des causes inconscientes, si même ses productions sont la conséquences de tensions qui lui échappent, la création finie, elle, porte en son sein des espaces d'indéterminé, des coupes de chaos qui ne cessent d'autoriser l'imagination à croire naïvement mais généreusement à la libre création et à la possibilité de l'impossible.


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