Le nouveau visage de la dynastie Rothschild est féminin. Il est incarné par Ariane de Rothschild, épouse du baron Benjamin de Rothschild. Financière chevronnée, la «femme de banquier» est devenue la banquière du groupe Edmond de Rothschild, en accédant dès 2008 aux principaux conseils. La jeune femme franco-allemande personnifie un nouveau modèle de réussite féminine.
Une certitude: la relève dynastique sera assurée, elle aussi, par une femme, le couple Ariane et Benjamin ayant eu quatre héritières. Aujourd’hui, Ariane de Rothschild leur montre la voie, en s’impliquant activement dans toutes les entités du groupe.La Banque privée Edmond de Rothschild, c’est le somptueux décor de l’établissement du quartier des banques, ses tapisseries chaleureuses, son mobilier d’époque, sa cuisine gastronomique. Mais c’est aussi les œuvres d’art ultramodernes choisies, une à une, par la baronne Benjamin de Rothschild.
La modernité, elle l’incarne au plus haut niveau, comme en témoigne son bureau de la rue de Hollande. Vice-présidente du holding du groupe depuis novembre dernier, cette séduisante femme de 45 ans est devenue le bras droit indispensable de son mari. Pour la première fois, elle parle à des journalistes suisses.Ils se sont connus en 1993, quand Ariane avait 28 ans, et qu’elle s’appelait encore Langner.
Aujourd’hui, cette patronne d’un genre nouveau qui a fait carrière dans les salles de trading revient, pour Bilan, sur son parcours aussi brillant qu’atypique.La vice-présidente du holding le concède: «Il est inhabituel de voir un mari et une femme dirigeants d’un même établissement, c’est pourtant notre conception du capitalisme familial».
La baronne est admirative de son mari pour son côté avant-gardiste, et pour la confiance qu’il lui accorde. «J’ai la chance d’avoir un mari qui a souhaité partager avec moi ses responsabilités», dit-elle.
Le baron Benjamin préside. Il s’occupe de la stratégie du groupe. «Il a une vision originale des affaires», dit de lui Ariane de Rothschild. Rencontré il y a six ans par Bilan, le plus puissant des Rothschild avait témoigné, comme son épouse, d’un rapport très direct aux gens comme aux choses. Surdoué, intuitif et rapide.
Benjamin de Rothschild serait-il pour cela incompris par ses pairs banquiers? «Il ne faut jamais le sous-estimer, affirme son épouse. A la mort de son père, le groupe financier employait 600 personnes contre 2700 aujourd’hui. La masse d’avoirs sous gestion et administration est passée de 20 à 143 milliards milliards de francs fin 2009». Face à ce changement de taille, ne souhaitant pas être prisonnier d’un agenda trop chargé et de contraintes trop régulières, Benjamin de Rothschild avait besoin de pouvoir s’appuyer sur quelqu’un dans les conseils. Sa femme était la candidate idéale.
Ariane de Rothschild surprend avec son autorité naturelle, sa jeunesse, ses compétences techniques, tout cela enrobé d’un léger accent indéfinissable illustrant à la fois son enfance en Amérique Latine, ses origines franco-allemandes, sa jeunesse en Afrique, et ses études aux Etats-Unis… Un profil, en réalité, aussi global que l’est aujourd’hui le groupe Edmond de Rothschild.
«J’ai rencontré Benjamin dans le contexte professionnel», raconte Ariane, «mais il n’était pas évident au départ que je prenne des responsabilités au sein de ce groupe». A l’origine, Ariane de Rothschild s’est occupée des activités non bancaires du groupe : vignobles, hôtels, art, les développant et démontrant par là son sens poussé de l’entreprise.
Mais «très vite, nous avons réfléchi en termes dynastiques, explique-t-elle. Ce qui nous importe avant tout, c’est la pérennité et la gouvernance familiale de notre groupe». C’est alors que ses compétences et son expérience l’ont imposée comme numéro deux naturel. Au demeurant, relève-t-elle, «il aurait été un peu ridicule pour moi d’aller travailler dans une autre banque».
La répartition des rôles est claire: tandis que Benjamin de Rothschild définit la stratégie globale, Ariane de Rothschild s’assure de sa mise en œuvre: «Je suis beaucoup plus disponible que Benjamin, donc on me voit plus que lui», souligne-t-elle. Entre eux, ils débattent des questions importantes: «J’ai sa confiance, mais c’est toujours lui qui a le dernier mot». Elle bénéficie d’une grande latitude, «un regard global nécessaire pour que toutes les entités du groupe se renforcent mutuellement. C’est ce que signifie Concordia dans la devise familiale «Concordia Integritas Industria». Elle se dit très consciente du privilège et de l’obligation attachés au rôle d’actionnaire majoritaire.
Une chose est certaine concernant l’avenir, souligne Ariane de Rothschild: la banque familiale sera un jour dirigée par une femme. Ce sera l’une ou plusieurs des quatre héritières, âgées aujourd’hui de 7 à 14 ans. «Je leur montre la voie, et c’est très important», dit modestement leur mère. La révolution est bien en marche. Quatre filles, «c’est une bénédiction», affirme Ariane de Rothschild. «Nous quittons une tradition qui veut que seul un garçon assure la continuité d’une dynastie». La question de la pérennité du nom Rothschild ne constitue pas un problème non plus: en effet, les héritières peuvent très bien décider de conserver leur nom de jeune fille, et le droit suisse permet à leurs futur(e)s descendant(e)s de prendre le nom de leur mère.
A la maison, «nous avons des débats avec les enfants», raconte-t-elle. «Je leur raconte mes journées. C’est le sens des responsabilités que je souhaite leur transmettre». Pour Ariane de Rothschild, il n’y a rien de plus naturel: «comme mes filles, à travers mes parents, j’ai moi aussi toujours baigné dans les affaires». Les jeunes descendantes devront, de toute façon, avoir un oeil sur le groupe. «Il leur faudra accepter un héritage, avec ses plus et ses moins», constate leur mère, qui les prépare à cette fin. Au delà de l’éducation, elle leur inculque les principes et les valeurs Rothschild, «qui peuvent paraître démodés, dit-elle, mais qui sont essentiels, comme le travail, le respect et surtout comprendre qu’être dans une dynastie, c’est avoir des devoirs».
Etre quatre, reconnaît Ariane, c’est aussi plus facile qu’être seul pour supporter le poids écrasant de la succession. La banquière résume ainsi sa vision de l’argent, qui est aussi celle de la famille: «Etre riche, c’est être responsable. Vous devez montrer l’exemple et travailler d’autant plus. Et il y a beaucoup de travail pour rester riche et faire en sorte que la génération suivante soit suffisamment éduquée pour perpétuer le succès. Cela va bien au-delà de l’argent, c’est tout un patrimoine».
Qu’apporte une femme à l’entreprise familiale? «Une vision différente du temps», selon Ariane de Rothschild: «Le développement durable est une lame de fond destinée à s’imposer».
Elle traduit concrètement ces principes au plan de sa gestion. Actuellement, la banque prépare une charte de développement durable, qui reposera sur la bonne gouvernance, le renforcement d’une offre produits en matière de finance responsable, l’intégration d’une réflexion environnementale dans les pratiques, et la formation des équipes à ces enjeux pour en relayer le message auprès des clients.
Ariane de Rothschild se montre critique envers les pratiques financières des dernières années: «On mettait en avant des valeurs quei je ne trouvais pas correctes. Le concept de l’argent facile avait pris le dessus». Les nouvelles générations, prévoit-elle, au delà des bonus, se soucieront aussi de l’impact social et de l’équilibre entre vie professionnelle et privée. «J’aimerais croire qu’il est possible de remplacer le concept de profit, tourné vers l’intérêt personnel, par le concept de profitabilité qui tient compte de l’intérêt d’autrui et de l’intérêt collectif».
La crise a accéléré cette prise de conscience, et favorisé l’émergence de nouveaux modèles de management dans lesquels la dimension féminine est privilégiée. «Une dimension qui apporte une vision plus globale, moins absolue du profit, un regard à plus long terme». Traduisant cette vision en action, Ariane de Rothschild traite tout avec la même attention: banque, art, vin, immobilier. Car pour elle, la banque fait partie intégrante de cet ensemble. «J’aimerais que les collaborateurs comprennent que toutes les activités relèvent de la même quête d’excellence». En outre, cette vision privilégie des hiérarchies moins pyramidales et plus participatives au sein des entreprises. Ariane de Rothschild réfléchit également à la meilleure façon de valoriser les équipes du groupe à travers ce management contributif. «Je crois beaucoup au talent des collaborateurs à l’interne».
Les valeurs féminines tardent à émerger en Suisse. «Ici, les femmes ont beaucoup de mal», observe-t-elle. En France, le débat sur la parité pour imposer un quota de 40% de femmes dans les conseils fait avancer les choses. «C’est bien. A un moment, il faut forcer la porte. Moi aussi, quelque part, mon mari a forcé la porte pour moi». Ariane de Rothschild a eu la chance de grandir hors des modèles établis, dans un environnement multiculturel. «Mes parents étaient très modernes, n’entretenaient aucun concept de classe sociale, d’appartenance religieuse, de race ou de genre. Cela m’a permis d’aller loin et de faire du trading par exemple, un univers largement réservé aux hommes». C’est sans doute ce qui explique cet air de liberté qui se dégage d’Ariane de Rothschild. Elle rit, témoigne de son enthousiasme et vous parle sans aucune barrière ni retenue. Bref, une femme pleinement installée dans le XXIe siècle.
La jeune Baronne apprécie tout autant la solidité des valeurs Rothschild, qui ont traversé les épreuves du temps. «Notre famille existe depuis sept générations, et elle a su dépasser toutes les crises. Face à celle que nous traversons, la banque résiste bien car elle est très centrée sur ses valeurs.»
La fin du secret bancaire en Suisse n’enlèvera rien, selon elle, aux compétences des banques helvétiques: «Suivre le patrimoine très complexe d’une famille, indépendamment de l’aspect fiscal, est un domaine qui nécessite des compétences élevées. Ce n’est pas un sujet léger ni facile à traiter». Accompagner de nouvelles fortunes restera donc une activité qui distinguera les banques suisses, même si Ariane de Rothschild admet qu’il est «indispensable de s’internationaliser».
Sa foi dans le Vieux-Continent reste forte, même si la zone euro connaît cette année d’énormes difficultés et suscite des doutes. «Je crois à l’Europe, et je souhaite que l’euro survive. Il est vital que l’Union reste forte face à des blocs comme les Etats-Unis et la Chine.»