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Apéros géants, Fête de la musique : la gauche rabat-joie - quand François Begaudeau taille un short à ces prétendus "républicains" qui détestent la vie et les joies populaires...

Publié le 17 juin 2010 par Jcgrellety
De François Begaudeau : " La gauche n’est pas la droite et réciproquement. Ce qui n’empêche que de l’une à l’autre circulent des mots, des convictions (républicaines ?), des individus. Cette transversalité concerne autant Fadela Amara et Eric Besson, qu’on crut traîtres et qui n’allèrent que parler la même langue (républicaine ?) sous d’autres cieux, que les nombreuses plumes insoumises, qui, de Marianne en Figaro et de Figaro en Marianne, délivrent des positions singulièrement communes sur le politiquement correct (fléau plus grave que le racisme), la bien-pensance (de gauche bien sûr), la détérioration de la langue française et, subséquemment sans doute car elle en est la dépositaire, de l’universel. Parions que cette famille transversale accepterait volontiers pour signifiant fédérateur Muray, du nom de l’essayiste prénommé Philippe, l’un des plus cités en France depuis sa mort en 2006. Bientôt Luchini parachèvera ce sacre en le lisant sur scène, comme il fit avec Céline, sur qui Muray commit un beau livre. Disons pour simplifier que, sous sa tutelle, la famille des anars de droite, concept inventé au Neandertal pour être de droite sans sembler conformiste, s’est élargie à un certain nombre de gens de gauche. Les esprits libres n’ont pas de camp. Ils ne comptent pas parmi les «mutins de Panurge» épinglés par Muray en une formule devenue tube. Quand on vit, l’an dernier à la même époque, le chroniqueur de gauche Naulleau et le chroniqueur de droite Zemmour pester de conserve contre la Fête de la musique, on les supposa tous deux lecteurs de Muray. Pour le maître et ses adorateurs transversaux, le dézingage de «l’homo festivus» est un sport national et bien pratique, en ce qu’il permet de tonner tout à la fois contre le règne du sympatoche (parade des rollers), le communautarisme (gay pride), le tout culturel (techno parade), le brouillage des hiérarchies (chaque 21 juin, le quidam se prend pour Mozart !). Contradiction : ces manifestations qui repeuplent les rues de Paris subissent l’anathème de pamphlétaires par ailleurs très énervés contre la muséification d’une capitale qui refoule ses éléments populaires. Contradiction apparente seulement : le peuple dont on déplore la disparition s’est forgé dans le creuset titi-ouvrier ; celui que l’occasion festive actualise n’a ni casquette ni accent de Ménilmuche. Il est ado ou attardé, son corps mondialisé et pailleté s’agite sur de la musique anglo-saxonne ; devant lui, les transversaux ressentent la perplexité bourrue et gouailleuse de nos tontons flingueurs nationaux échoués dans une surprise-partie. Perplexité parfois trouée de scrupule. En tout cas parmi ceux dont les déambulations transversales n’ont pas complètement dissous le tropisme progressiste : on ne saurait détester la jeunesse, levier du progrès. On se donne alors un argumentaire social : dans la manifestation festive, le festif est une fin en soi de la manifestation. Le peuple festif n’a aucune consistance politique, il est même le symptôme terminal de l’absorption du politique par la creuse revendication hédoniste. Au cas où le jouir sans entraves se rappellerait à sa conscience - si tant est qu’il l’ait un jour traversée -, le transversal de gauche a un couplet autopersuasif tout prêt : la jouissance est une injonction libérale visant à faire consommer les millions d’«individus démocratiques» sottement manipulés par le marketing. Evacué le constat récurrent que la vocation lucrative d’un produit ou d’une pratique n’empêche pas qu’ils soient réinvestis sur un mode émancipateur. Evacué l’exemple du rock, immédiate machine à fric qui, au prix d’une dialectique subtile entre offre et demande, libéra et libère des millions de corps, notamment féminins - il est vrai que la libération des corps ou le féminisme n’intéressent pas follement nos transversaux, plus enclins à stigmatiser une société féminisée et horizontale. Voilà comment virer réac tout en ayant l’air de continuer Marx. Voilà comme on en rabat à la joie sans passer pour rabat-joie. Car le nœud de l’affaire est bien là, que dénude la récente hostilité exprimée à l’endroit des apéros géants, gratuits, autogérés et donc à peu près irréprochables du point de vue de l’antilibéralisme. Dans la joie ce n’est pas le fondement marketing qui irrite, ni la dépolitisation qu’elle est supposée induire : c’est la joie elle-même, en tant qu’occupation heureuse du présent. Ce qui ne va pas, ce qui n’ira jamais, c’est l’époque, le contemporain - «comptant pour rien» en langue transversale jamais avare d’un jeu de mots, francité oblige. L’époque est l’ennemi du transversal, qui se clame intempestif et n’est que mélancolique, qui se clame mélancolique et n’est que dépressif, parce qu’elle a le défaut majeur d’impliquer des éléments vivants. A toute époque il déteste l’époque et préfère le révolu au présent, qui a contre lui de participer de cette vie dont l’énergie juvénile des rassemblements festifs est une intolérable incarnation. Cette mauvaise humeur pourrait se nommer ressentiment. Elle est au principe du raisonnement et non à sa conclusion, on gagne à le comprendre. Faut-il lui opposer une bonne humeur tout aussi connement principielle ? Un parti pris d’adhésion à tous les sautillements contemporains ? Plutôt promouvoir un autre mode d’appréhension de «l’époque». N’être plus le penseur regardant passer le monde comme une vache un train, jalousant-vilipendant sa vitesse, mais celui qui accompagne le mouvement pour mieux l’observer et le rapporter. Ce qui nous manque, ce ne sont pas des idées, des visions, des verdicts ; c’est de la narration. Du texte à fleur de faits, qui ne peste ni ne s’extasie. Délicatesse du récit, grossièreté du pamphlet. Par elle, sans m’exciter dans un sens ou dans l’autre, je tresse dans des mots ce qui se passe. Par elle je me tresse moi-même dans ce qui se passe. Je peux raconter le 21 juin 1992 qui nous vit donner notre premier concert de punk-rock, et croyez bien qu’avec nos dix-sept reprises et zéro compo, Mozart pouvait trembler. Raconter aussi, pourquoi pas, le 21 juin 2004 où, cherchant le sommeil en vue d’un réveil matinal, j’aurais pu canarder au fusil à pompe le groupe d’en bas qui reprenait du Genesis. Au moins dans ce dernier récit ma mauvaise humeur se donnera pour ce qu’elle est ; elle ne se grimera pas en résistance, en pensée critique, en pensée tout court.

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