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La Modernité : les Anciens et les Modernes.

Par Richard Le Menn

Le concept de Modernité a parcouru toute l'histoire de l'Occident, depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui. De nos jours, il tourne autour des nouvelles technologies et de la mondialisation des marques que ce soit dans le refus de cet état de fait ou le contraire. Autrefois, les grands changements se faisaient lors de renaissances qui se caractérisaient souvent par une redécouverte de l'Antique. Ce fut le cas au XIIe siècle avec l'Art Gothique, à la Renaissance, à la Révolution … La querelle des Anciens et des Modernes est un spectacle que l’Occident a joué depuis l’Antiquité. De tous temps, le théâtre les a mis en scène de façon magistrale, le spectacle principal ne se déroulant pas sur la scène mais dans les gradins et bien au delà de l’édifice théâtral. L’origine en est lointaine, peut-être a-t-elle commencé en Grèce au début du théâtre. Le système même des concours théâtraux athéniens amenait un esprit de compétition entre les différents poètes. C’est ainsi qu’à partir de Thespis (VIe siècle av. J.-C.), jusqu’à Euripide (Ve siècle av. J.-C.), en passant par Eschyle et Sophocle, les auteurs tragiques rivalisaient de nouveautés. L’évolution de la Comédie grecque ancienne vers la Moyenne et la Nouvelle a marqué de grands changements. Les poètes romains qui copiaient cette dernière s’exposaient à de virulentes critiques de leurs homologues. Térence (IIe siècle av. J.-C.) en a fait les frais. Dans ses prologues, il répondait aux critiques en expliquant comment il dépensait sa peine, lui le nouveau poète, à écrire des prologues, non pour exposer le sujet comme c’est leur fonction principale, mais pour répondre aux attaques d’un vieux poète malveillant. A l’opposé, il nous reste un fragment d’une pièce du VII e siècle après J.-C. intitulée Dialogue de Térence et du moqueur, où Térence est confronté à un jeune auteur, représentant de la nouvelle génération se moquant du vieil écrivain. Au-delà des mots, il s’agissait de nouvelles façons de représenter et de se représenter qui étaient exposées. La Renaissance des XVe-XVIe siècles a fait surgir de nouveaux débats. Au XVIIe siècle, on assista à des démêlés sur les Lettres de Guez de BalzacCid (1637) et sur d’autres questions littéraires. A la fin de ce siècle et au début du XVIIIe une autre controverse fit s’affronter les Anciens (les auteurs Classiques tels Boileau, Racine, La Fontaine, La Bruyère …) qui défendaient une littérature imitant l’Antique, aux Modernes (la nouvelle génération d’écrivains comme Fontenelle, Perrault, Houdar de la Motte …) qui affirmaient la prééminence des auteurs contemporains. Elle continua au XVIIIe siècle lorsqu’en 1714, Houdar de la Motte publia une traduction de l’Iliade où il corrigeait et raccourcit celle d’Anne Dacier de 1699 en y ajoutant une préface contenant un Discours sur Homère où il prenait la défense des Modernes. Anne Dacier répliqua dans son livre Des causes de la corruption du goût. Cette « Querelle d’Homère » s’acheva en 1716 avec une réconciliation des deux parties. Au XVIIIe siècle, la tradition antique (en particulier chez Térence) qui voulait qu’un auteur de théâtre expliqua sa démarche d’écriture par rapport à ce qui le précédait se retrouva dans les prologues de pièces, comme chez Diderot (1713-1784) où celui-ci défendait son « drame bourgeois » ; ou encore au XIXe siècle chez Victor Hugo (1802-1885) dans la Préface de Cromwell qui annonça la « bataille d’Hernani » entre les défenseurs d’un théâtre classique et ceux d’un théâtre romantique. Cela illustra d’une manière alors toujours très vivante la querelle entre les Anciens et les Modernes. 
Cette modernité littéraire de nouvelles générations d’écrivains qui s’affirmaient en opposition aux anciennes a son pendant dans la jeunesse qui imposait de nouvelles modes. En France, la littérature et la Mode ont toujours été très liées ; et elles ont fait évoluer la langue comme nous le constaterons dans un prochain article consacré aux Précieuses.  (1624-1629), sur le

Photo 1 : Fontenelle, fut un des acteurs de ce que l'on appela la querelle entre les Anciens et les Modernes. Ce livre, datant de l'époque de l'auteur en est un exemple. Fontenelle, Bernard Le Bouyer de (1657-1757 : presque centenaire !), Poésies pastorales, avec un Traité sur la nature de l'églogue, et une digression sur les anciens et les modernes, Paris, M. Brunet, 1708. 3e éd., in-12°. La partie appelée Digression sur les Anciens & les Modernes fait explicitement référence à la ‘querelle’ dont Bernard Le Bouyer de Fontenelle fut un des acteurs et qui trouva son apogée à la suite de la lecture par Charles Perrault vers 1688 de son poème Le Siècle de Louis XIV dans lequel il proclamait la primauté de la littérature du temps. La première édition de Digression sur les Anciens & les Modernes date justement de cette année là et suit directement ce poème. Les partisans de la suprématie antique se recrutaient surtout à la Cour et dans la génération classique. Leurs adversaires étaient plutôt des auteurs jeunes, des mondains et des amateurs de genres nouveaux (opéra, contes, romans).

Photo 2 : Dacier, Anne, Des Causes de la Corruption du Goust, Paris, Rigaud, 1714. In-12°. Il s’agit de l’édition originale (1ère édition) de cet ouvrage d’Anne Dacier (1674-1720). Il fut à l’origine de la seconde querelle des Anciens et des Modernes connue sous le nom de ‘Querelle d'Homère’. Voici ce qu’on peut lire sur Wikipédia à ce sujet et sur Anne Dacier : « Elle publia en 1699 la traduction en prose de l’Iliade, qui devait être suivie neuf ans plus tard d’une traduction semblable de l’Odyssée, qui lui a acquis la place qu'elle occupe dans les lettres françaises. Cette traduction qui découvrit Homère à beaucoup d’hommes de lettres français, dont Houdar de la Motte, fut également l’occasion d’une reprise de la querelle des Anciens et des Modernes lorsqu’Houdar publia une version poétique de l’Iliade abrégée et modifiée selon son propre goût, accompagné d’un Discours sur Homère, donnant les raisons pour lesquelles Homère ne satisfaisait pas son goût critique. Anne Dacier répliqua la même année avec son ouvrage intitulé Des causes de la corruption du goût. Houdar poursuivit gaiement le débat en badinant et eut la satisfaction de voir l'abbé Terrasson prendre son parti avec la publication en 1715, d’un ouvrage en deux tomes intitulé Dissertation critique sur L'Iliade où il soutenait que la science et la philosophie, et particulièrement celles de Descartes, avaient tellement développé l’esprit humain que les poètes du XVIIIe siècle étaient considérablement supérieurs à ceux de la Grèce antique. La même année, Claude Buffier publia Homère en arbitrage où il concluait que les deux parties avaient convenu du point essentiel selon lequel Homère était l’un des plus grands génies que le monde avait vus et que, dans l’ensemble, on ne pourrait préférer aucun autre poème au sien. Peu après, le 5 avril 1716, Anne Dacier et Houdar trinquèrent à la santé d’Homère lors d’un dîner chez Jean-Baptiste de Valincourt. » Anne Dacier est aussi célèbre pour ses traductions du grec ou du latin comme celles de Térence.


Pour finir cet article et commencer les suivants, voici quelques passages du livre de Bernard Le Bouyer de Fontenelle proposé en photo 1, dont le dernier est consacré à Honoré d’Urfé dont le roman pastoral L’Astrée influença beaucoup les Précieuses du XVIIe siècle dont nous parlerons.

« […] je ne goûte point trop que d'une idée galante, on me rappelle à une autre qui est basse, et sans agrément. »

« On ne prend pas moins de plaisir à voir un sentiment exprimé d'une manière simple, que d'une manière plus pensée, pourvu qu'il soit toujours également fin. Au contraire, la manière simple de l'exprimer doit plaire davantage, parce qu'elle cause une espèce de surprise douce, et une petite admiration. On est étonné de voir quelque chose de fin et de délicat sous des termes communs, et qui n'ont point été affectés, et sur ce pied-là, plus la chose est fine, sans cesser d'être naturelle, et les termes communs sans être bas, plus on doit être touché. »

«  Quand je lis d’Amadis les faits inimitables, / Tant de Châteaux forcés, de Géants pourfendus, / De Chevaliers occis, d’Enchanteurs confondus, / Je n’ai point de regret que se soient-là des Fables. / Mais quand je lis l’Astrée, où dans un doux repos / L’Amour occupe seul de plus charmants Héros, / Où l’amour seul de leurs destins décide, / Où la sagesse même a l’air si peu rigide, / Qu’on trouve de l’amour un zélé partisan / Jusque dans Adamas, le Souverain Druide, / Dieux, que je suis fâché que ce soit un Roman ! / --- / J’irais vous habiter, agréables Contrées, / Où je croirais que les Esprits / Et de Céladon & d’Astrée / Iraient encore errants, des mêmes feux épris ; / Où le charme secret produit par leur présence, / Ferait sentir à tous les cœurs / Le mépris des vaines grandeurs, / Et les plaisirs de l’innocence. / --- / O rives de Lignon, ô plaines de Forez, / Lieux consacrés aux amours les plus tendres, / Montbrison, Marcilli, noms toujours pleins d’attraits, / Que n’êtes-vous peuplés d’Hilas & de Silvandres ! / Mais pour nous consoler de ne les trouver pas, / Ces Silvandres, & ces Hilas, / Remplissons notre esprit de ces douces chimères, / Faisons-nous des Bergers propres à nous charmer, / Et puisque dans ces champs nous voudrions aimer, / Faisons-nous aussi des Bergères. […] » Poésies pastorales. Alcandre. Premier églogue. A Monsieur…


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