
Elle a organisé il y a une dizaine de jours une rencontre entre l’artiste, Jacques Leenhardt, directeur des études à la prestigieuse école des Hautes Etudes et Jean-Hubert Martin, directeur honoraire du musée national d’art moderne Centre-Pompidou. Cet échange a eu lieu devant des témoins admiratifs de tant d’intelligence. Car la jeune femme ne s’est jamais laissée démonter par ces hommes brillants, rendant très pertinente à posteriori la question de M.A. Moulonnet, à savoir qui cuisine qui aujourd’hui ?

C’est une femme généreuse qui ne se fâche pas que les anthropologues débattent sur les mots, quitte à perdre de vue la réalité des faits. Elle donne patiemment les clés pour comprendre sans jamais faire la leçon, mais toujours avec précision. L’écouter s’apparente à une opération de dopage intellectuel. Le terme d’acculturation est positif dans son discours. Elle l’associe à la transformation.
Elle travaille en sens inverse de ceux qui idéalisent ce qui n’a pas été touché par l’homme, utilisant des matériaux de récupération qui tous ont un lien de parenté avec la communication, sans craindre les malentendus puisque la création se nourrit précisément de malentendus. Ce qu’elle fait a quelque chose à voir avec la pureté.
Transformer un objet du quotidien pour en faire une pièce de musée est une opération magique pour conjurer la menace du temps. C’est un peu l’idée des Objets augmentés. Elle aurait pu employer du bronze ou du plâtre mais elle a choisi une matière vivante, le goudron, en ne se privant pas de l’éventualité de le voir craqueler, ou de faire des bulles. Le goudron est une matière sale mais qui est aussi le cœur de la terre. Il est difficile de s’en procurer (cela ne se vend pas au détail), de le manipuler et de le fixer. Libre à nous d’y voir une représentation de Kinder surprise géants. Par contre n’allons pas jusqu’à les imaginer recouverts de plumes, l’allusion serait trop littérale.

Camille Henrot n’a pas le culte de l’authenticité mais celui de la sincérité. Qu’un objet volé ait davantage de valeur après cet acte a de quoi la révolter tout comme cette idée préconçue que le beau soit forcément ancien.
Je me méfie des catégories, utiles comme outils pour penser, mais la liberté de l’artiste est de proposer des théories personnelles, irrationnelles, voire utopiques ; en un mot d’interroger la légitimité du savoir. L’exposition évoque l’absurdité du concept de pureté des civilisations à la fois dans l’espace et dans le temps. Chaque objet porte en lui une mémoire collective et individuelle, il a un passé et un avenir, un ici et un ailleurs.Elle aurait voulu dresser l’inventaire des variétés de maïs mais elles ont toutes été bloquées en douane pour diverses raisons. L’installation « Sanctuaire » met donc en scène un unique épi encerclé par un dispositif photographique. Il est doublement symbolique, d’abord d’un monde directement en voie de disparition, celui des indiens hopis qui ont donné cette « poupée » (c’est ainsi qu’on appelle les épis de maïs) qui rappelle les poupées kachinas, et celui d’un monde en évolution qui précipite sa propre destruction puisque ce végétal étant devenu un bio-carburant son prix connait une inflation proportionnelle à celui de la viande. C’est aussi une référence au roman de Faulkner.

Cet objet unit les deux artistes, faisant le lien entre leurs Perspectives réciproques. On a dénoncé les musées comme « des églises culturelles où les non pratiquants n'osaient pas entrer ». Au centre culturel Vuitton tout est mis en œuvre pour que chaque visiteur se sente accueilli et il ne faut pas hésiter à y monter d'ici le 5 septembre. L'entrée est libre et l'ascension est en elle-même une initiation, comme je le décrivais dans le précédent article.
Espace culturel Louis Vuitton, 60 rue de Bassano, 75008 Paris, 01 53 57 52 03
du lundi au samedi de 12 à 19 heures, dimanche et jours fériés de 11 à 19 heures