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Une société peut-elle être figée par la peur ?

Par Jjs

Une société n'est pas une société commerciale comme nous l'ont enseigné les Anciens. Elle serait déterminée et dominée par un impératif de justice. Mais qu'entend-on par justice ? Les Modernes nous ont enseigné que ce mot devait se confondre avec l'autorité politique et donc avec le droit positif.

Nous avons compris avec les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale que l'Europe avait fait fausse route sur ce point. Nous avons appelé cette erreur, une "crise de la loi". Notre société serait donc traversée par de multiples crises. L'aspect économique de la dite crise est souvent mis en évidence. Les sociologues évoquent une société en mutation et qui n'aurait pas encore trouvée ses nouveaux repères. Ce faisant, oscillant entre l'un et l'autre, balayée, elle serait la proie de multiples errances, de multiples catastrophes qui scanderaient son évolution sans pourtant permettre sa réalisation. Qu'en est-il en fait ? Qui a raison ?

L'intuition plus que la science doit parler ici et selon celle qui parle en moi, il me paraît patent que c'est surtout la peur qui domine dans la société occidentale et cette peur la fige. J'ai souvent évoqué ce point mais j'ai peu réfléchi sur la nature de cette peur et c'est elle que je voudrais analyser ici.

En fait, elle serait selon moi de trois ordres :

- un ordre historique en premier lieu. Nous sommes encore sous l'héritage de l'ancienne pensée des Lumières pourtant en crise. Celle-ci, malgré Rousseau, avait retenue l'idée que le droit n'était autre que la contrainte et la peur. La dimension formatrice et humanisante de celui-ci avait été oubliée. Qui aujourd'hui tient les tribunaux et les palais de justice pour des lieux d'humanisation et d'éducation du peuple ? La loi était pourtant pour Aristote, une propédeutique à l'éducation. Elle en était le pis aller, la solution d'échange. Il suffit sur ce point de lire l'excellent chapitre X de l'Ethique à Nicomaque. Nous avons gardé ce ciment de la contrainte et de la peur qui reliait la société par un droit positif mal compris et nous avons oublié l'esprit de la loi...

- à cette peur héritée de l'histoire s'ajouterait une peur plus psychologique : celle de la société qui a peur de muter, de changer et de se transformer. Nous sentons tous qu'il nous faut procéder à des changements radicaux dans notre mode de fonctionnement et de pensée mais nous n'osons nous y résoudre et cette peur nous paralyse. Elle ressemble à celle de l'homme qui voit le vide qui lui fait face imaginant que le saut qu'il doit faire lui sera fatal alors qu'il peut aussi le mener dans une eau délicieuse s'il apprend préalablement à nager et s'il s'assure bien de ce qui va le recevoir lorsqu'il plongera...Pour notre part, nous ne faisons que la politique de l'autruche. Nous refusons de voir ce que le vide actuel signifie.

- cette peur serait de rien si elle n'était pas doublée d'une autre : celle de la dette laissée par nos ancêtres. On nous ennuie actuellement (à juste titre cependant sur certains points) avec la dette publique mais cette dette n'est pas seulemetn financiére, elle est historique et c'est elle sans doute qui contribue à alimenter la dette financiére contemporaine.

En effet, il serait temps que l'Europe analyse en face la honte qui la paralyse et qui constitue certainement un des problémes majeurs qu'elle rencontre. R Ogien, inspiré par ce qui se passe actuellement outre-Atlantique a judicieusmenet compris l'importance contemporaine de la Honte qui fait désormais l'objet d'un débat philosophique majeur....

Aristote avait parfaitement compris l'importance de la honte. Toujours dans ce texte majeur qu'est l'éthique à Nicomaque, il note que l'homme vertueux ou excellent ne ressent jamais la honte car il fait toujours ce qui convient et il conseille en revanche aux jeunes d'avoir plus souvent honte qu'il ne le faudrait. L'action qui n'est pas conforme à l'éthique est honteuse écrit-il à plusieurs reprises dans ce beau texte. En effet, violer la morale, ce que l'homme doit faire fait naître en lui une honte qui le conduit inexorablement à l'absence de vie heureuse et donc à la dépression comme nous le disons aujourd'hui...Tout est donc là. Tout est donc écrit. Notre dépression n'est pas seulement économique. Elle est plus profonde que cela. Elle est d'ordre éthique. Mais l'éthique n'est pas la moraline ou la leçon de morale. C'est ce qui fait qu'impertubablement un homme construit progressivement son bonheur ; bonheur qui passe avant tout par la capacité de pouvoir se contempler....Se regarder sans rougir lorsque l'on se rase le matin me disait toujours un ami avocat dont je ne sais s'il me lira aujourd'hui. L'homme vertueux voulait nous dire Aristote - est comme la société vertueuse - il ne craint pas le matin en se rasant de se regarder tel qu'il est. Il ne plonge pas la tête dans le brouillard ou ne se la coupe pas pour avancer. Il avance mais droit...Droitement, sachant ce qu'il fait et ou il va.

Une telle démarche est difficile. Elle implique un travail que l'éducation implique et permet seule de faire...Qu'en est-il aujourd'hui ? L'éducation est-elle notre priorité ? Elle est au contraire dominée par une logique financiére alors que c'est elle qui devrait dire ce qu'il faudrait faire aux financiers...

Une société dominée par la logique économique ne peut donc être que dominée par la peur. En effet, elle ne voit pas ce qui est devant elle et ne sait ou elle doit aller. Elle ne voit que des voyants rouges qui s'allument dés qu'elle avance. Ces voyants la figent et lui interdisent ainsi d'avancer.

Si elle est en dépression, sa dépression n'est pourtant pas financiére. Elle est avant tout de ces trois ordres que nous avons tenté plus avant de mettre en évidence.


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