Les poèmes écrits « pour » les enfants sont
souvent d’une mièvrerie achevée, et mieux vaut toujours donner à lire Tardieu,
Prévert, Desnos, …, plus près de nous Ariane Dreyfus, Jacqueline Held, Charles
Dobzynski, …, que les mignardises supposées initier à la poésie. Il est
évidemment des exceptions et les livres
publiés par Alain Serres en font partie. Il a fondé en 1996 les éditions Rue du
monde pour proposer des ouvrages (tous
très beaux) qui donnent aux enfants le désir « d’interroger et imaginer le monde ». Cet éditeur et
écrivain-pour-enfants singulier, qui fut autrefois instituteur en maternelle, a
publié une cinquantaine d’ouvrages superbement illustrés (éditions La Farandole, Gallimard Jeunesse, Albin
Michel, Nathan et Rue du monde) et cinq recueils sous-titrés "poèmes pour
grandir" aux éditions Cheyne, dont Encore
un coquelicot.
Encore un coquelicot ouvre les portes
de l’imaginaire, qui n’appartient évidemment pas qu’à l’enfance. Ici, l’espace travaillé par les mots n’a
plus de limites (« Un jour je
grandirai / jusqu’à Vancouver ou Oslo »), plus rien n’est exactement à
sa place, on passe d’un ordre à l’autre d’une façon "naturelle"
(« je saurai ralentir le sang des
fraises »). Les associations les plus inattendues (« Croire aux muscles de la sauterelle quand
s’effondre le soir »), les affirmations fondées sur le non-sens
(« Le printemps / n’a pas de
grands-parents / mais il les aime. ») construisent un monde
parallèle qui n’est pas sans évoquer celui de l’Alice de Lewis Carroll.
C’est l’univers du Il était une fois,
dans lequel les choses vivent une autre réalité que celle de notre si souvent
triste quotidien. Parce que la poésie n’a pas affaire qu’avec la réalité, mais
aussi avec la langue, et l’usage de la langue peut faire bouger notre
perception des objets : « Quand
[le poète] anime doucement / l’éventail, / non pas l’objet mais le mot / son
poème donne / des ailes au
vent. » Par ce goût des mots, le livre naît, ainsi défini :
« Dedans / la mémoire du papier /
l’écriture est un passé. » On ne saurait mieux dire.
La force des images d’Alain Serres repose sur l’absence de gratuité ;
quand deux réalités distantes sont mises en rapport, comme le voulait Reverdy,
le lecteur commence à appréhender autrement le réel. Mais il faut préciser que
les moments de la vie, complexes, ne sont pas écartés. Nous ne sommes pas dans
un monde sans aspérités où il ne s’agirait que de jouer avec les mots et
s’enthousiasmer de « tes oreilles de
jeune fougère » ou de « l’océan
des coquelicots ». On y apprend à lire « pour voir plus haut, plus loin », on sait qu’ « Il y a des femmes / et des hommes pauvres / dans la ville parmi les chiens /
et trois oiseaux. » C’est cette réalité présente, pas son oubli, qui
donne son sens aux ressources de l’imaginaire : les mots sont à partager,
non à lire à l’abri, solitairement ; ainsi avec le banc bleu :
Qui saura m’offrir
un poème vrai contre la misère ?
Un poème qui fonctionne
dans la réalité de cette cité.
Même à midi, même à Noël.
Un poème à retourner
dans le sourire du poète
si l’on n’est pas satisfait.
Qui m’offrira un poème droit, définitif
que les lois devront respecter.
Avec un banc bleu au milieu,
de frais repeint,
jamais brisé.
On y parlerait ensemble
de ce qu’on ne connaît pas de l’autre,
de soi.
Presque princes, jamais rois.
Qui nous offrira ce poème ?
Maintenant.
Le recueil n’est pas "illustré" par Martine Mellinette : ce sont des formes vivement colorées, toujours douces, loin de la représentation, qui accompagnent ce « jardin d’enfance », parfois lui proposent un fond.
note de lecture de Tristan Hordé
Alain Serres, Encore un coquelicot, Cheyne éditeur, 2007, 13,5 €.