Le poète allemand Reiner Kunze était présent en France ces
jours derniers et il a en particulier donné une lecture avant-hier soir, jeudi
17 juin 2010, à la librairie Tschann, à Paris, en compagnie de sa traductrice
Mireille Gansel.
Mireille Gansel introduit cette lecture en saluant les éditions Cheyne, dont on
fête actuellement le trentième
anniversaire ; elle souligne la perspicacité de Jean-François Manier
qui fut le premier, alors qu’elle cherchait un éditeur depuis des années, à
comprendre l’importance de Reiner Kunze et à publier ses traductions en
français du poète.
Elle raconte ensuite comment elle a découvert Reiner Kunze. C’était au
lendemain de l’écrasement du Printemps de Prague, elle venait de commencer à
traduire de la poésie et elle tenait la rubrique poésie de la revue Allemagne d’aujourd’hui.
C’est ainsi qu’elle fut mise en contact avec son premier poème de Kunze, qui
s’intitulait « Sensible Wege »*. Elle tomba immédiatement en arrêt
devant ce poème « Sensible / est la terre au-dessus des sources :
aucun arbre ne doit / être abattu, aucune racine / arrachée ». Elle parle
de la nécessité ressentie devant ce poème de le faire connaître. Dans le même
temps elle était confrontée à ce dilemme : ce « sensibel »,
comment le traduire ? Ce qui lui fait comprendre que pour bien traduire il
fallait « aller sur le terrain ». Par l’intermédiaire de l’éditeur, elle
parvint à entrer alors en contact avec Reiner Kunze et son épouse Elizabeth et
à aller leur rendre visite. C’était en 1969 et ce qu’elle entendit alors chez
eux, ce furent leurs inquiétudes pour tous leurs amis de Tchécoslovaquie (Elizabeth
est tchèque). A l’écoute de ces récits, Mireille Gansel choisit de traduire
« sensibel » par « fragile ». Mais trente ans plus tard, alors
que Reiner Kunze revient de Namibie avec de nombreuses et poignantes photos,
notamment d’enfants aux pieds nus sur des pierres, il lui parle des menaces de
pétrification qu’il sent peser sur le monde et les cœurs. Elle revient alors
sur sa traduction et traduit cette fois sensibel
par sensible.
Cette sorte de voyage au cœur de la traduction d’un seul mot d’apparence si
simple éclaire bien ce qui anime et inquiète le traducteur de poésie et a
constitué dans le même temps une introduction particulièrement appropriée à la
rencontre avec l’œuvre singulière de Reiner Kunze.
Mireille Gansel évoque ensuite la connaissance qu’a Kunze de la poésie tchèque
et évoque le souvenir de la mère du poète qui avait l’habitude d’accomplir
toutes ses besognes en chantant des chants populaires, expérience qui a
indubitablement marqué le poète et qui se traduit dans sa poésie. Milan Kundera
a d’ailleurs dit que Reiner Kunze était « le plus slave des poètes
allemands ».
Mireille Gansel introduit ensuite la lecture proprement dite avec ce poème
emblématique, célèbre, de Reiner Kunze « nous voulions être comme les
objets de terre // Être là pour ceux / qui, le matin à cinq heures, boivent
leur café / dans la cuisine // Appartenir aux tables simples // Nous voulions
être comme les objets de terre fait de la terre des champs // et aussi que
personne ne puisse tuer avec nous / nous voulions être comme des objets de
terre // Au milieu / de tant / d’acier / qui roule »**
Reiner Kunze et Mireille Gansel liront ensuite une quinzaine de poème, en
alternant à chaque fois l’allemand et le français. Kunze lit très lentement, en
articulant chaque syllabe. Seront ainsi lus les poèmes « Émondage des
pommiers en hiver », « Presqu’un poème de printemps », « Dimension »,
« Érasme de Rotterdam », « Méditation sur un torse », « Petit
papier entre les pierres du mur des Lamentations de Jérusalem », « Mireille
en hôte », « La Tombe d’Albert Camus », « Vers pour le
tournant du millénaire » (ces poèmes, tous traduits par Mireille Gansel
ont été publiés dans Un jour sur cette
terre, Cheyne) ; puis quatre poèmes dans des traductions de Gwen
Darras, « Le Tilleul fleurit et c’est la nuit », « Jour de mai irréel »
et deux « Variations sur le thème Philémon et Baucis » (ces poèmes
ont été publiés dans Nuit des Tilleuls,
chez Calligrammes/Bernard Guillemot).
Après la lecture, le temps des questions a suscité de nombreux échanges, en
particulier autour de l’arbre et de la nature. Mais aussi autour de la figure
du poète tchèque Jan Skácel que Rainer Kunze a beaucoup traduit « les
poèmes de Jean Skácel n’ont pas demandé si je voulais les traduire, mais par
contre, leurs images et leur humilité obstinée, à force de me défier au fil des
années et des décennies, ont fini par obtenir leur traduction ». (Skácel a
été publié notamment en France à l’Atelier de la Feugraie, dans une traduction
de Yves Bergeret). Kunze a écrit un important poème autour de cette très
importante figure de la poésie : « Visite venue de Moravie ».
La fin de la rencontre sera dédiée.... aux arbres, le tilleul présent dans
maints poèmes et le séquoia, Mamutbaum
en allemand. Deux arbres plantés par Les Kunze lorsqu’ils ont construit leur
maison, près de Passau, sur le Danube, le plan de Mamutbaum leur ayant été offert par Alexandre Graf von Faber
Castell, membre de la célèbre famille allemande connue pour ses crayons et
autres instruments d’écriture. Un homme qui était fou des arbres et qui a
beaucoup lutté pour la préservation des launes (die Auen en allemand) sur les bords du Danube, pour les nids de
hérons cendrés de cette région et qui est mort d’un infarctus lors d’une
expertise judiciaire sur le terrain, tombant sur un arbre mort couché sur le
terrain.
Reiner Kunze évoquera aussi l’anecdote profondément émouvante des villageois de
son village natal, dans la région minière et très pauvre de Saxe, l’Erzgebirge.
Il fut invité là-bas sans savoir pour quelle raison et découvrit un très beau
monument, sur lequel étaient gravés le vers de son poème, « Die Linde, le
tilleul » : « Nous l’avons planté / de nos mains // Maintenant
nous renversons / la tête / et déchiffrons sur lui / ce que tout au plus / il
nous reste de temps // Comme s’il avait un pressentiment, il emplit / pour nous
le ciel de fleurs... als ähne sie’s,
füllt sie / den himmel uns mit blüten.***
par Florence Trocmé (photos ©Florence_Trocmé - elles sont agrandissables par simple clic)
*ndlr : sensible est ici le
pluriel de l’adjectif sensibel, Sensible
Wege, Chemins sensibles.
**Un jour sur cette terre, Cheyne
Éditeur, 2001, 2002 et 2007,p. 27
***Nuit des tilleuls, traduction
Mireille Gansel et Gwenn Darras, Calligrammes, Bernard Guillemot, 2009, p. 57
sur le poète Reiner Kunze, on peut lire une bonne fiche dans l’encyclopédie
Wikipedia