Magazine

Desperate Student

Publié le 23 juin 2010 par Argoul

Je n’ai pas la télé et ne suis pas le feuilleton des ‘Desperate Housewives’ mais j’ai, grâce au blog, rencontré un étudiant français. Il habite Paris depuis toujours dans un quartier sympathique entouré de grandes écoles, mais il déteste des grandes écoles. Issu d’un milieu modeste, il n’aime ni la frime des héritiers ni l’exaltation des populistes. Vilain petit canard dans le Paris des cygnes, il se cherche. Bon élève, boursier méritant, il était destiné à la khâgne puis à Normale Sup. Mais il a préféré les voies de traverse pour éviter ses semblables ; il ne voulait pas devenir comme eux.

baskets-ado.1277029839.jpg

Le lien s’est effectué via Fugues & fougue trouvé « par hasard sur le net ». Certains des articles lui plaisaient, comme ‘La petite vie rêvée des jeunes’ qui évoque le no future et l’indifférence provinciale à tout ce qui n’est pas familial, amical et local. Ou ‘Maître et esclave selon Nietzsche’ pour « en finir avec la mortification, la macération, la haine de soi, la mauvaise foi, les petits livres brandis, l’obscurité des troupeaux, la peur des autres, les ressentiments, la moraline. » Ont suivi quelques échanges fleuves comme il en existe entre une jeunesse qui veut comprendre et un senior chômeur qui va de missions en cours.

Malgré la timidité (je crois que j’impressionne) la rencontre s’est faite à la terrasse d’un café d’une place bien parisienne. De quoi dialoguer sur quoi étudier, comment comprendre et où devenir. Des touristes se promenaient ainsi que des voyages scolaires, un chippendale en slip a fait la roue filmé par le téléphone mobile d’un pote tandis que des gamins voisins rentraient de la piscine en short et tongs, sac plastique sur l’épaule. Le système scolaire français, vertical, laisse tout nu au bac ou à la prépa, après avoir infantilisé durant toute l’adolescence. Contrairement aux jeunes Scandinaves, Anglais, Allemands, Suisses ou Américains, le Français de 18 ou 20 ans a été maintenu dans l’irresponsabilité, l’obéissance scolaire et l’éternelle théorie. Desperate student croit donc que sa situation est « complexe » alors qu’elle n’est que tristement banale : comment choisir une voie alors que l’on n’est préparé à rien et que le cocon scolaire vous a maintenu jusqu’à présent hors du monde réel ?

enfant-ado-adulte-christian-boltanski-1972.1277029748.jpg

Les professeurs, jamais sortis des écoles, n’ont eu de relations adultes que de maîtres à élèves. Ils ne savent rien de la vraie vie, du monde des affaires et du commerce entre les hommes. Ils n’en ont que des idées générales, morales et abstraites. Non, l’économie n’est pas la philo. L’étudiant qui envisage de s’intéresser au monde économique réel devra quitter les hautes sphères pour les applications pratiques. L’économie, ce sont surtout les relations humaines, contractuelles, commerciales, politiques. Il faut donc aimer les gens. Qui a la propension jeune à théoriser doit s’appliquer à atterrir. Rien ne vaut la discipline des choses avant les grandes hypothèses sur le monde.

Il faut donc détordre encore et toujours les idées fausses sur le capitalisme. Le stalinisme de combat reste un bunker mental où il est facile aux enfeignants de se réfugier. Le fameux capitalisme n’est pas une idéologie comme le marxisme ou le socialisme. Il est un outil d’efficacité économique fondé sur la comptabilité en partie double (inventée dans les villes libres italiennes à la fin du moyen-âge), la propriété privée du capital (qui permet le risque et l’aventure des marchands), un système institutionnel établi (qui garanti le droit et les libertés, le marché ouvert, les infrastructures et la jouissance des profits), et une société en demande (d’autre chose que l’ici et le maintenant des productions locales de saison). Il fonctionne par innovations, libertés et prises de risques. Laissé à lui-même, il n’est qu’un outil : trop financier il explose, trop peu garanti (Russie) il n’existe pas, trop enserré dans des liens d’Etat (nazisme organique et raciste) il disparaît.

J’ai du dire que l’économie s’aborde par où on veut : l’histoire (Jacques Marseille était historien, Fernand Braudel aussi), la sociologie (Immanuel Wallerstein aux Etats-Unis, Paul Jorion qui parle de la crise comme s’il était un spécialiste des banques centrales…), la science politique (mon exemple) et évidemment la gestion ou les maths. Mon desperate student a entrepris une première année de fac en philo par goût de la théorie, puis a laissé tomber. Trop peu de charisme enseignant, le chacun pour soi des étudiants, l’avenir dans la seule profitude. Avec ce cri venu du cœur : « En France, l’université fonctionne pour les profs et l’administration, pas pour les élèves. »

Surtout ne pas se laisser berner par les manipulations politiciennes. Expliquer par exemple qu’il ne faut pas sous-estimer Sarkozy, ne pas prendre pour argent comptant la presse et la gauche jalouse qui tapent sur lui à boulets rouges. Les électeurs ne lisent pas, se foutent des intellos bobos et votent à la présidentielle pour une personne avant une idéologie. On disait tant de choses contre de Gaulle, surtout en 68, et il a été réélu triomphalement. La marée France profonde diffère largement de l’écume de presse. Encore faut-il que Sarkozy se dispense d’ici deux ans de ces manières qui ne passent pas (népotisme, bling-bling, insultes catégorielles, avantages aux seuls riches). Mais il en est capable et, comme Aubry se gauchise, sa position peut apparaître raisonnable.

Sommes-nous, avec la crise, proche de la fin du monde ? Probablement pas, seulement de la fin d’un monde : celui du bobo blanc maître de la puissance. Il va falloir apprendre les relations humaines trans-culturelles. Arrêter de faire la morale au monde entier du haut de son église ou de sa chaire. Commercer pour des échanges fructueux, matière grise contre matières premières. Changer d’utopie politique, celles qui viennent de s’écrouler (à droite comme à gauche) viennent tout droit du XIXe siècle. Nous changeons de cycle économique long de Kondratiev, ce n’est pas par hasard…

« Je n’arrive même pas à vous donner un âge, j’oscille entre 40 et 60  ans. Et puis, j’ai un peu peur que ça démystifie le truc de se voir. » Eh bien, même pas mal !


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Argoul 1120 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte