Suite et fin de l'interview pour le blog Belisamart.
12. B'A : Comment fais-tu pour gérer plusieurs activités en même temps?
Alan SPADE : Je jongle. Je suis obligé de fractionner mon temps d'écriture de manière quasiment insupportable. La machine écriture est longue à lancer, et quand je dois m'interrompre pour aller
m'occuper des enfants, c'est très frustrant. Mon travail alimentaire est heureusement à temps partiel, ce qui me donne un peu de temps pour ma troisième activité, celle d'éditeur, qui consiste en
ce moment principalement à obtenir des dates de séances de dédicace, et à me faire payer mes factures. Et cela non plus n'est pas de tout repos. Imaginez-vous : vous obtenez une séance de
dédicaces, vous venez avec vos livres, vous en vendez quelques-uns dans un centre commercial et les gens vont les payer en caisse, vous envoyez une facture et un mois et demi plus tard, vous
n'êtes toujours pas payé ! C'est ce qui m'arrive en ce moment avec la séance de lancement du livre à Conflans. Heureusement qu'il existe des agences de recouvrement, mais c'est quand même dommage
d'en arriver là. Quand je vous disais que je pensais à spadassin en optant pour Spade…
13. B'A : Quel personnage et/ou quelle créature aurais-tu aimé être et/ou à laquelle pourrais-tu t'identifier le plus ?
Alan SPADE : Un elfe noir rejeté par son peuple et qui mènerait une vie d'errances. Un chasseur et un philosophe. En l'occurrence, Drizzt do'urden, le héros inventé par R.A. Salvatore.
Terre Natale, le premier volume
de la Trilogie de l'Elfe Noir, de R.A. Salvatore
14. B'A : Si tu ne faisais pas cela, quel aurait pu être ton autre métier ?
Alan SPADE : Je ne vois pas trop. Quelque chose de très physique, qui m'empêche de penser et me transforme en bête de somme. Treuillard, par exemple (c'est un néologisme inventé pour les soins de
mon roman : personnes qui font tourner les treuils reliés par des cordes à des nacelles faisant office d'ascenseur).
15. B'A : Peux-tu nous parler de tes futurs projets ?
Alan SPADE : Je suis en train d'écrire la suite du Souffle d'Aoles. Cette fois, le roman sera centré sur le thème de l'eau et non du vent. Les Malians y tiendront donc une place importante, mais
on retrouvera la plupart des personnages du premier. Ensuite, le troisième et sans doute dernier tome du cycle d'Ardalia, où il sera question de la terre et du feu. Après, j'envisage de retourner
vers le space opera, avec peut-être une petite incursion entre-temps dans le monde réel, qui sait.
La couverture de Thibaut Desio, lauréat du concours Le Souffle d'Aoles, mars 2010
16. B'A : Quels conseils donnerais-tu pour quelqu'un qui veut se lancer à son tour ?
Alan SPADE : Ne pas rester seul dans sa démarche d'écriture. Un, voire plusieurs regards extérieurs sont indispensables. Si la personne n'a aucun proche autour d'elle pour l'aider, il existe
heureusement des forums. Il faut croire à ce que l'on fait et persévérer. Savoir se remettre en cause tout en évitant de poser un regard définitif sur soi. Ne pas vouloir en vivre à tout prix
immédiatement, sauf à vouloir devenir un nègre littéraire. Ce qui signifie en général, se trouver une activité alimentaire stable.
A mon sens, les manuscrits envoyés par la poste sont des bouteilles à la mer. La démarche de recherche d'un éditeur comporte de nombreuses similitudes avec la recherche d'emploi. De nos jours,
envoyer un manuscrit sans relance ni contact humain revient au même que d'arroser des employeurs avec des lettres de motivation sans les relancer. Efficacité, zéro. De même qu'à compétence égale,
un employeur choisira au feeling ou par le biais de recommandations, un éditeur réagira le plus souvent sur un coup de cœur pour un premier roman. Mais mieux vaut qu'il vous connaisse aussi, car
entre deux coups de cœur, l'éditeur optera à coup sûr pour la personne qu'il connaît le mieux et qu'il préfère. Cela signifie que ce n'est pas forcément votre compétence d'auteur qui est remise
en cause en cas de refus. Si vous avez vraiment travaillé votre roman, il y a même de grandes chances que ce ne soit pas le cas.
Le fait est qu'en France, les agents artistiques ne s'occupent que des écrivains reconnus. Or, comme on l'a vu, le relationnel est important pour se faire éditer. Il se trouve justement que s'il
y a une catégorie de personnes introverties, qui ont du mal à « se vendre » et ont tendance à rester dans leur bulle sans faire de relationnel, ce sont bien les auteurs. L'absence d'agents
artistiques qui effectueraient un vrai travail de prospection et d'intermédiation se révèle donc très fortement préjudiciable à l'éclosion de nouveaux talents.
L'assentiment de proches ne suffit pas pour se faire une idée de son niveau bien sûr, néanmoins, si vous galérez vraiment trop pour trouver un éditeur, je conseillerais l'autoédition. Je dirais
même que ce ne doit pas être un choix par défaut, et que c'est un projet d'activité qui doit se préparer. Il ne faut pas hésiter à aller contre l'ordre établi en la matière, en considérant que
oui, l'autoédition est une activité qui a sa noblesse et sa légitimité. Il faut absolument que vous, auteur, soyez le premier à respecter cette activité si vous la choisissez, et à l'embrasser
dans toute sa complexité – elle vous le rendra. La légitimité, elle ne vous viendra pas tout de suite. Même si vous vendez en séance de dédicace, cela ne signifie pas encore grand-chose. Elle
vous viendra, si quelqu'un qui a lu votre ouvrage et que vous ne connaissez ni d'Eve ni d'Adam vous en parle avec les yeux qui brillent. C'est cela qui compte.
Je conseillerais enfin de se méfier de l'aspect psychologique des choses. Un éditeur, comme un employeur, a vite fait de se transformer en parent de substitution. On a tendance à rechercher
l'approbation de son éditeur ou du comité de lecture, ce qui est évidemment infantilisant. En définitive, je trouve plus valorisant et plus dynamisant de considérer les éditeurs comme des
concurrents que comme les uniques détenteurs de la Vérité.